Patrick Juvet, la tête pour toujours entre fête et paillettes
« La pendule, de Juvet, s’est arrêtée sur minuit »… À quelques détails près, c’est le premier vers du « Lundi au soleil », l’une des chansons de Claude François préférées des Français. La musique en était signée de Patrick Juvet, lequel vient de nous quitter, à soixante-dix ans, ce 1er avril 2021 ; triste poisson qui, malheureusement, n’en est pas un.
L’occasion de se rappeler que le défunt, né en Suisse, à Montreux, était un compositeur de très haute volée, car sous ses allures de ritournelle populaire, « Le Lundi au soleil » débute par une suite d’accords éminemment complexes. Logique, pour un homme ayant usé ses fonds de culotte au conservatoire de Lausanne, dès l’âge de six ans. En 1973, il représente même les couleurs de sa Suisse natale à l’Eurovision – à l’époque où on pouvait encore y entendre des chansons dignes de ce nom – avec « Je vais me marier, Marie ». Il finira treizième de la compétition, mais se venge illico avec un premier tube, « Rappelle-toi Minette ».
D’ailleurs, ne reconnaît-il pas être avant tout « un chanteur à minettes » ? Mais qui n’a rien contre les minets, sachant que la même année, il emprunte à David Bowie, alors au premier sommet de sa gloire avec son avatar, Ziggy Stardust, le look androgyne et l’ambivalence érotique allant avec. Il avoue, alors, volontiers être bisexuel, mais sans en faire toute une histoire.
En 1977, il rencontre Jean-Michel Jarre, autre musicien surdoué. Sa carrière prend aussitôt un nouvel envol. Le fils de l’immense compositeur Maurice Jarre (la musique de Lawrence d’Arabie, c’est lui) a déjà ressuscité celle de Christophe, autre « chanteur à minettes », en lui offrant la renversante mélodie des « Mots bleus » ; avec Patrick Juvet, ce sera l’album Paris by Night et le fameux tube « Où sont les femmes ? » ; lequel pouvait prêter à sourire pour qui connaissait le mode de vie de son interprète.
L’année suivante, il s’envole pour les USA, où il se lie avec l’invraisemblable duo formé par Henri Belolo et Jacques Morali. Le premier évolue dans le show-biz depuis des années et possède un sens des affaires hors pair, le second, ancien secrétaire particulier d’Hervé Vilard, est doté d’un redoutable flair. Leur coup de maître ? La création, en 1977, du groupe Village People, invraisemblable boys band à connotation homosexuelle plus qu’affirmée, mais qui fera danser la planète tout entière, hétérosexuels y compris.
Là encore, nous sommes loin des actuels LGBTQ+, de leur militance triste et de leurs revendications pleurnichardes : les Village People n’ont d’autre ambition que de s’amuser et de distraire leur public, au son d’une musique disco des plus joyeuses. Avec son second album cosigné avec Jean-Michel Jarre, I Love America, Patrick Juvet s’engouffre dans la brèche. La chanson éponyme est un succès mondial. L’argent coule à flot, l’alcool et la cocaïne aussi. Et le rimmel de commencer à couler à son tour sous la boule à facettes. Mais pour festive qu’elle soit, sa musique demeure exigeante et il n’est pas incongru de prétendre que le défunt n’a rien à envier aux Bee Gees et leur Fièvre du samedi soir, ne serait-ce qu’en raison de son magnifique falsetto.
Les décennies qui suivent se montreront évidemment moins souriantes. La mode passe et Patrick Juvet se démode. La chirurgie inesthétique aidant, il n’est plus l’Adonis d’antan et, bientôt, son public ne le verra plus que dans ces tournées nostalgiques, façon « Âge tendre et tête de bois », immortalisées par Star 80, le si joli film de Frédéric Forestier.
Pas véritablement amer, mais hautement mélancolique, Patrick Juvet vivait depuis longtemps à Barcelone, ville où la nuit est reine et la fête sans fin. Nul doute qu’il a quitté ce monde régi par la tyrannie hygiéniste de puritains hystériques sans trop de regret. En espérant toutefois pour lui que, là-haut, il n’y ait pas pénurie de paillettes. Mais on sait la maison bien tenue.
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