Le suicide paysan : Julien Odoul mérite-t-il d’être pendu ?

julien odoul

C’est Libération qui, vendredi dernier, a lâché la « boule puante », selon l’expression même du mis en cause. Le quotidien a divulgué l’enregistrement d’une réunion interne du groupe RN au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté qui daterait de 2019. On y entendrait Julien Odoul plaisanter, parmi d’autres, sur le suicide des agriculteurs pendus dans leurs granges. Sans doute pour ne pas être en reste d’un bon mot entre potes, il aurait demandé : « Est-ce que la corde est française ? »

Boule puante, oui. Mais de bonne guerre. Il faudrait être bien naïf pour espérer de cet organe, à la fois libertaire et docile à servir la doxa d’un pouvoir en panique, la moindre trêve avec ses ennemis déclarés. D’autant qu’à deux semaines du premier tour des régionales, Julien Odoul reste favori des sondages, avec 30 % des intentions de vote, et pourrait, en triangulaire, battre la sortante PS si la liste LREM se maintenait au second tour. Alors, l’artillerie lourde est engagée pour anéantir le « bogosse » : une vidéo « exhibitionniste » datant de 2014 diffusée à point nommé ou l’accusation d’avoir créé l’emploi fictif d’une assistante. Trahisons internes au RN et vengeances par dépit, qui font encore les choux gras d’un Canard enchaîné ou du « Petit Journal » devenus soudain vertueux, ou encore de Libération.

Un élu de la République française démocratique et laïque devrait-il être un saint ? Évidemment que non ! Cependant, puisque la règle qu’ils acceptent, pour espérer nous diriger, est d’être choisis par suffrage, l’électeur qui fait le roi est en droit de pouvoir sonder les cœurs et les reins de ceux qui le sollicitent. C’est ainsi : en démocratie, la captation des confiances est à ce prix. Alors, évidemment, nous ne devons pas nous offusquer que tous leurs instants d’action publique soient dévoilés et mis à nu – pardonnez-moi l’expression, évoquant aujourd’hui le cas d’un ancien mannequin assez fier de ses formes – pour nous les faire mieux connaître.

Cela dit, doit-on le condamner avec les charognards qui voudraient le dépecer tout vif sur la place publique ?

Notre société étant ce qu’elle est, cloisonnée, égoïste et amorale, lorsqu’elle n’est pas immorale, ne nous émouvons pas. Julien Odoul n’a fait là qu’un mauvais « bon mot » de circonstance. Pour s’émouvoir des désastres de la « ruralité » – sauf à être quelque héros ou saint, empli de charité christique qui fait embrasser toutes les souffrances –, il faut y être né, les pieds dans le fumier, et l’avoir vue sombrer. Que sait Julien Odoul de cet agriculteur, broyé par le système en lequel il a cru, bercé par les bonimenteurs de cette Europe productiviste, qui l’a conduit à se tirer une cartouche dans la tête, en plein soleil, loin des siens dans son champ de maïs ? Rien. Car l’émotion nous vient de notre propre histoire. Celle du jeune loup du RN s’est construite à Paris.

Alors, ne le traitons pas de Judas par procès en culpabilité rétroactive. Ne lui donnons pas, nous aussi, la corde pour se pendre. Car cette conversation du candidat Odoul, ressurgie à pic du néant, nous démontre, une fois de plus, le caractère orwellien de notre société technologique dévoreuse des libertés d’agir ou de parler ; où tous nos faits – et méfaits – sont archivés quelque part et seront utilisés contre nous, pour peu que nous ayons un zeste d’ambition. N’exigeons pas, non plus, qu’il aille faire repentance, en chemise, avec la corde au cou, devant les fausses bonnes consciences médiatiques qui le jugent et qui n’ont pas plus de sens humaniste ni d’empathie rurale que lui. Laissons chacun à son cynisme et posons-nous seulement la question des enjeux.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas Julien Odoul, avec son jeu de mots foireux, qui a conduit plusieurs milliers de ces agriculteurs, asservis au marché, à se pendre aux poutres métalliques de leurs hangars impayés, flambant neufs. Un ou deux suicides par jour. Victimes des politiques mondialistes du dérèglement agricole. Les complices, irresponsables-coupables, sont tous les gouvernants qui n’ont pas su les protéger, depuis plus de trente ans. Alors, oui, la question prend du sens : « Est-ce que la corde est française ? »

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Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

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