Samuel Pruvot : « Il n’y a pas 36.000 façons d’affronter le mal, c’est de le dénoncer »

VIGNETTE SON (4)

Rédacteur en chef de Famille chrétienne et directeur de la rédaction de la nouvelle revue Mission, Samuel Pruvot réagit à ce « coup de massue » que représente le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE). Il rappelle que l'Église « n'a qu'une légitimité, c'est la sainteté de ses membres » et « qu'à force de ne pas prendre au sérieux les appels du Christ à la sainteté, elle risque de disparaître ».

 

 

 

Vous êtes rédacteur en chef pour l’hebdomadaire Famille chrétienne et êtes aussi le directeur de la rédaction de la nouvelle revue Mission. Le rapport Sauvé a été rendu ce matin. Des centaines de milliers de victimes, entre 2.800 et 3.200, prêtres, clercs et membres du clergé sont coupables. C’est colossal. En tant que catholique, comment réagissez-vous face à ces révélations ?

 

Je pense réagir à peu près comme les responsables religieux et comme la plupart des journalistes. Vous disiez, tout à l’heure, que le rapport était accablant. Pour ma part, c’est un coup de massue. Je suis un ancien dans la formation religieuse, j’ai vingt ans de journalisme au compteur. J’ai lu des rapports semblables sortis en Allemagne et aux États-Unis avec des chiffres accablants, mais c’est différent lorsque cela arrive dans votre propre pays. Cette histoire se situe entre aujourd’hui et 1950. C’est toute une part de l’histoire religieuse de notre pays qui resurgit, et c’est sa part la plus sombre et la plus empoisonnée. On ne parle pas juste de morts-vivants dans des bouquins ou dans une sorte de mauvais film. Cette réalité massive et systémique resurgit malheureusement brutalement. Je crois que je suis assommé comme la plupart des observateurs.

 

 

Je rappelle que cette commission a été montée à la demande de l’Église. Cette commission est indépendante, mais l’Église a demandé à ce que toute la lumière soit faite sur les crimes commis dans ses rangs. N’est-ce pas un peu tard ?

 

Mieux vaut tard que jamais. Le raisonnement précédent était par amour de l’Église ou plutôt par amour d’une institution. Certes, c’était l’Église, mais cela aurait pu être le Parti communiste. Il ne faut pas de scandale et il ne faut pas dénoncer le mal parce que cela produira plus de mal.

Il n’y a pas trente-six mille façons d’affronter le mal. Il faut le dénoncer. Lorsqu’on regarde la source du catholicisme ou du christianisme, c’est bien Jésus-Christ en croix. Il a affronté le mal dès le départ. On peut trouver que l’Église réagit trop tard et c’est malheureusement vrai.

Je suis rassuré qu’un certain nombre de responsables, dans l’Église catholique au plus haut niveau, soient résolus à lutter contre ce fléau qui ne s’avère pas être juste un fléau social. Ce rapport identifie cinq ou six millions de victimes mineures d’agression sexuelle. C’est énorme. Cela dépasse toute la société qui est traversée par ce fléau. Le fait de vouloir affronter le mal en tant que mal, on attend que les catholiques soient à l’avant-garde de la lutte contre le mal. C’est capital.

En un mot, d’avoir l’humilité de dire que ces actes sont vertigineux.

En tant que journaliste, j’ai pu interroger plusieurs victimes et j’étais complètement démoli avec elles. L’agression est horrible mais, surtout, l’agresseur n’est pas n’importe qui. C’est quelqu’un censé vous apporter le salut, mais il vous apporte la malédiction.

 

 

Ce rapport a été accueilli avec honte, selon les mots de Monseigneur de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France. Selon-vous, qui avez interrogé des victimes et des membres du clergé, ce rapport a-t-il été bien accueilli ? Répondait-il aux attentes des victimes ?

 

On ne peut pas se réjouir d’un rapport qui vous démolit et qui démolit, dans l’institution, ce qui est le plus contraire à cette institution. Je vais prendre une image qui vaut ce qu’elle vaut, elle est un peu brutale, mais je crois qu’elle est à l’image de ce rapport. C’est comme si, aujourd’hui, nous avions dit à l'Eglise de France : « Vous avez tardé à faire votre examen et vous êtes au niveau du cancer généralisé. Les premières métastases dataient de 1950 et d’autres datent de 2020. Il y a des traitements possibles et drastiques. En revanche, il faut les engager tout de suite sans avoir la certitude que le corps en sera guéri, mais vous ne pouvez pas continuer ainsi, sinon c’est la mort clinique. »

C’est un peu brutal, mais c’est un peu cela. Je pense que c’est souvent de cette manière que beaucoup de catholiques ont reçu et reçoivent ce rapport.

 

Paradoxalement, quelques jours avant la remise de ce rapport, l’Église tenait son Congrès Mission. Ce congrès était censé interroger les membres de l’Église sur la meilleure façon de convertir et d’évangéliser. Avec le rendu de ce rapport, l’Église n’a-t-elle pas déjà fait assez mal au monde ?

 

La question est redoutable, mais cet événement Congrès Mission, c’était 17.000 participants. Cette institution a comme seule légitimité la sainteté de ses membres puisqu’il n’y a pas de programme politique. Le seul programme que le Christ laisse à ses apôtres et à ses disciples, c’est la sainteté, rayonner la lumière qu’ils ont reçue. C’est une lumière qu’ils ne peuvent pas fabriquer.

Cette coïncidence est très troublante, mais elle est vraie.

D’une certaine manière, l’Église n’est rien d’autre qu’une société de pécheurs qui essaient de regarder en face le mal et de l’éradiquer. C’est possible avec l’aide de Dieu et de la justice humaine lorsque c’est nécessaire et, surtout, de prendre au sérieux cet appel du Christ à la sainteté. À force de ne pas prendre au sérieux l’appel du Christ à la sainteté, eh bien, à chaque période de son histoire, l’Église risque de disparaître. Il y a quand même des endroits sur la planète où l’Église catholique a disparu, par exemple en Afrique du Nord, pour de multiples raisons, mais la raison la plus profonde, c’est que l’appel à la sainteté n’a pas été pris au sérieux. Par conséquent, là, c’est un regard de foi et non de journaliste, l’Église ne sert plus à rien si elle ne suscite pas des saints.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 07/10/2021 à 11:15.
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Samuel Pruvot
Rédacteur en chef à Famille chrétienne

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