Christophe Guilluy : plaidoyer pour les classes moyennes et dénonciation du petit théâtre antifasciste
Christophe Guilluy était interviewé, lundi, par Alexandre Devecchio pour le FigaroVox : il y esquisse une radiographie de la France d’aujourd’hui, en cette année cruciale d’élection présidentielle où la France, plus qu’à tout autre moment, va devoir se choisir un avenir, un destin. Sans surprise, il met brillamment en perspective les ressorts du malaise français.
Il part du constat largement partagé que la bourgeoisie « de droite et de gauche, des boomers, des retraités, des gens intégrés » constitue le socle électoral d’Emmanuel Macron, socle inamovible qui explique ces étonnants 25 % d’opinions favorables malgré un quinquennat sous le signe de l’impuissance politique et économique, de la casse sociale, de l’autoritarisme sanitaire et antidémocratique. Face à cela, les classes moyennes et populaires qui étaient, jusqu’aux années quatre-vingt, le mur porteur de la société française ont été reléguées aux périphéries de la vie politique, économique et sociale. Une société française morcelée, un prétexte idéal pour « déconstruire l’idée même d’une majorité, car cela leur permet de s’extraire des conditions de la démocratie .» On ne saurait mieux décrire la situation actuelle…
À propos de l’assimilation des populations d’origine extraeuropéenne, il donne un biais de réflexion différent de ce que l’on peut lire chez Éric Zemmour ou Marine Le Pen, mais complémentaire de l’analyse de ces derniers. En effet, évoquant la crise d’identité qui traverse les pays d’Europe occidentale, il la relie à « la fin de la classe moyenne occidentale ». Or, rappelle-t-il, « quand on débarque d’un pays étranger, quelle que soit sa culture, on observe son voisin et on est prêt à s’assimiler seulement si son mode de vie paraît attrayant ». Il poursuit : « L’essentiel des précepteurs d’opinion considère ces catégories [classes moyennes et populaires, NDLR] comme des losers, des “déplorables”. Quand on débarque de l’autre bout du monde et qu’on nous dit que notre voisin est raciste, à moitié débile, à fond dans la consommation, son objectif de vie étant de bouffer et de regarder la télé, on ne va pas épouser ses valeurs. Si le projet politique, économique et culturel de demain n’est pas la réintégration de ces populations [classes moyennes dévalorisées, NDLR} encore majoritaires, alors il est inutile de parler d’intégration, d’assimilation ou que sais-je encore. »
Et les incantations grandiloquentes pour rappeler « les valeurs de la République » seront, au mieux, inutiles, quand elles ne renforcent pas la défiance de la population envers les élites, et la méfiance des Français déclassés les uns envers les autres.
Autrement dit, la remise de l’Éducation nationale à l’endroit, et plus particulièrement l’apprentissage de l’Histoire glorieuse de la France, la connaissance de la langue et de la littérature françaises, la mise au pas des banlieues islamisées, la restauration de la légalité sont essentielles mais il faudra, pour retrouver le bonheur français, qu’elles se déploient dans un contexte de prospérité générale retrouvée.
Raillant d’un trait vif l’imposture des écolos - « Je dis toujours que la première mesure écologique est d’arrêter de faire venir des produits de Chine en cargo. Or, les écolos ne sont pas en faveur de la fin du libre-échange » -, il dénonce, une fois de plus, ce dogme religieux du libre-échange, « système qui profite à 20 % des plus riches ».
Les Français des classes moyennes et populaires, majoritaires mais rendus invisibles, n’ont pas encore trouvé de traduction politique en France. Il les décrit « majoritairement attachés à leur territoire, hyper attachés au fait que l’État-providence est lié au travail. Ils veulent juste préserver leur mode de vie. Les gens n’ont pas bougé d’un iota. Quand on s’étonne du potentiel électoral des populistes, pour ma part, je suis avant tout surpris qu’on s’en étonne. »
Et de fustiger au passage, et c’est assez savoureux, « la gestion par la peur [qui] consiste à promettre l’apocalypse, qu’elle soit démocratique, écologique ou sanitaire. L’apocalypse démocratique consiste, par exemple, à nous faire croire, depuis trente ans, à l’arrivée du fascisme. C’est du théâtre. »
Comment ne pas se souvenir des mots de Lionel Jospin, au micro d’Alain Finkielkraut, sur France Culture, en septembre 2007 : « Pendant toutes les années du mitterrandisme, nous n’avons jamais été face à une menace fasciste et, donc, tout antifascisme n’était que du théâtre, nous avons été face à un parti, le Front national, qui était d’extrême droite, qui était un parti populiste aussi à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste, même pas face à un parti fasciste. »
Gérald Darmanin, qui, dans Le Parisien, vient de déclarer que « Marine Le Pen et Éric Zemmour sont des formes d'accélérationnistes » - l’accélérationnisme, terrorisme néo-nazi venu de l’ultra-gauche, consistant à accélérer la marche de l’Histoire et précipiter la guerre raciale -, cède tout à la fois au ridicule et à la grandiloquence. Une outrance verbale révélatrice d’une impuissance politique, d’une stérilité intellectuelle et d’une fébrilité qui sont peut-être les signes avant-coureurs de la chute finale.
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