Cinéma : El Buen patrón, satire espagnole de l’hypocrisie managériale

el buen patron

Les comédies espagnoles ont décidément le vent en poupe. Nous recensions récemment, sur Boulevard Voltaire, le film de Gaston Duprat et Mariano Cohn, Compétition officielle, sur les milieux culturo-mondains. Plus convenu, sans doute, El Buen patrón, de Fernando León de Aranoa, offre à l’excellent Javier Bardem un rôle de chef d’entreprise, spécialisée dans la confection de balances, ayant à cœur d’appliquer dans son rapport aux employés les valeurs que véhicule symboliquement son produit : équité et harmonie. En somme, monsieur Blanco est un patron à l’ancienne, adepte du paternalisme industriel de jadis, volontiers débonnaire et prétendument proche de ses employés qu’il feint de considérer comme sa propre famille. Mensonge aux autres, comme à soi, dans la mesure où dès lors que ceux-ci nuisent de quelque façon que ce soit au bon déroulement de la vie en entreprise, portent atteinte à ses objectifs financiers ou menacent directement ses chances de remporter un prix, le patron n’hésite pas à réutiliser tout ce qu’il peut – ragots, confidences intimes, contacts dangereux – pour neutraliser les brebis galeuses et s’assurer de garder la main sur les événements.

Loin d’une comédie vive ou potache, El Buen patrón décrit avec une ironie diffuse l’hypocrisie managériale dont nous avons peut-être été témoins dans notre vie professionnelle. Celle qui consiste à faire semblant de prendre en considération le bien-être et la parole de ses subordonnés alors même que les dés sont jetés, que la décision les concernant a déjà été prise. Cela, évidemment, « dans leur propre intérêt », et accessoirement dans celui de la boîte…

Le personnage qu’incarne à l’écran Javier Bardem n’est pas un mauvais type en soi, seulement un homme déconnecté du réel, trop occupé à s’écouter parler, à flirter avec ses stagiaires et à contempler sa propre image de patron flegmatique et rigolard, généreux et humain, pour réellement prendre en compte les besoins de ses troupes dont il n’imagine pas un seul instant le mode de vie, les difficultés financières ou les préoccupations quotidiennes. Comme si le succès et la prospérité de la boîte devaient être prioritaires dans l’esprit de chacun. Pour le patron, la confrontation avec le réel ne peut qu’être violente, conduire à des désillusions et à des décisions qui feront définitivement voler en éclats sa vision « familiale » de l’entreprise.

Là où le film de Fernando León de Aranoa est honnête, c’est que non seulement le patron, a priori, est animé de bonnes intentions, mais ses employés ne sont pas irréprochables. Entre celui qui, suffisamment fêlé, utilise ses enfants pour le harceler et le culpabiliser de l’avoir licencié, et celui qui couche avec la secrétaire et laisse son boulot en friche sous prétexte que sa femme le trompe à son tour, le patron doit composer avec une ribambelle de gens plus foireux les uns que les autres. Avec El Buen patrón, chacun en prend pour son grade. Finalement, le tort principal de monsieur Blanco est de se bercer d’illusions quant à la nature de l’entreprise, de ne pas considérer les rapports professionnels pour ce qu’ils sont.

3,5 étoiles sur 5

 

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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