1959, la nuit de l’Observatoire : 4 – La rafale part et arrose la 403 bleue de François Mitterrand

Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
Pesquet poursuit son récit (lire épisode 3). Le lendemain 16 octobre, toujours à 17 heures, à la fontaine Médicis à Paris, les deux hommes arrêtent les derniers détails, puis Robert Pesquet accompagne François Mitterrand dans la cour d’honneur du Sénat.
- « Rendez-vous ce soir à minuit chez Lipp, aurait ordonné Mitterrand. Vous me suivrez. Vous connaissez l’itinéraire ? Boulevard Saint-Germain, rue de Tournon, etc. Surtout regardez bien, ne me perdez pas ! Et pas de blagues : ne tirez pas avant que j’aie quitté la voiture ! »
À nouveau, comme dans le récit de l’attentat par Mitterrand, quelques jours avant, on songe aux héros du film de Georges Lautner Les Barbouzes. Mais quel réalisateur aurait osé mettre sur pied pareil scénario ? Pourtant, « ce qui avait été dit fut fait », ponctue Pesquet.
Le 16 octobre au soir, alors que la France part en week-end, Mitterrand sort de la brasserie Lipp, monte dans sa 403 bleue et fait un signe de la main. Robert Pesquet le suit en voiture et rejoint à l’heure dite l'automobile de François Mitterrand, garée sur la gauche, comme convenu, sur les lieux du vrai-faux crime. Mitterrand a bien bondi pour se réfugier dans les buissons. Mais le diable est dans les détails et les imprévus gâchent les plans les mieux préparés. Ce soir-là, un couple d’amoureux « tendrement enlacés, témoins indésirables, s’attardait autour des jardins », raconte toujours Pesquet. Il fait dans sa voiture le tour du jardin et revient. Cette fois, c’est un passant qui s’attarde dans la nuit. Nouveau tour. Un taxi jaune « Versailles » éclaire alors l’endroit de ses phares... Sept à huit minutes passent pendant lesquelles François Mitterrand, toujours couché dans l’herbe, trouve le temps long, raconte l'ancien député. Lorsqu’il passe une nouvelle fois à hauteur du buisson, Robert Pesquet entend la voix « légèrement courroucée » du sénateur crier :
- « Alors, allez-y ! »
Enfin, l’horizon se dégage. La rafale part et arrose la 403 de François Mitterrand. Rivarol ne peut contenir une plaisanterie. Pesquet « n’est-il pas à féliciter pour son humanité ? Peut-être qu’un autre n’eût pas tiré… sur la voiture ! »
Pesquet, lui, assure qu’il part alors se coucher. La police, appelée sur les lieux, prend des photos et relève des indices. Mitterrand organise son point-presse.
Les deux hommes se revoient le lendemain, assure Pesquet, qui raconte toujours avec un luxe de détails vivants.
- « Bravo, je vous félicite, s’enthousiasme Mitterrand. Maintenant, il va falloir organiser un attentat contre Mendès France ! »
Et puis, soudain, menaçant :
- « Ne dites rien, si vous tenez à votre peau ! »
Fin du récit de Pesquet. Dans cette version, les faits et les dates s’emboîtent avec une précision diabolique, mais un mystère demeure. Pourquoi Robert Pesquet s’est-il prêté à cette farce ? Pourquoi a-t-il accepté de prendre des risques si lourds en jouant les bandits armés dans les rues de Paris ? Il n’est pas un ami de François Mitterrand, il n’a pas été rémunéré…
Là non plus, pas d’enquête, pas de confrontation. C’est Robert Pesquet qui répond d'avance. Le militant de l’Algérie française a voulu dénoncer « le véritable, le seul complot, celui des artisans de la trahison de l’Algérie ». Il a voulu montrer la duplicité de ceux qui se rendent complices du lâchage coupable, à ses yeux, d’une partie du territoire français et de ses habitants. En clair, à comploteur, comploteur et demi…
La suite, c’est le scandale de cet attentat parisien, l’Assemblée nationale debout, la hantise des attentats, l’attention des médias, l'ombre de l'extrême droite, jusqu’au coup de théâtre orchestré par Rivarol.
Dans les rédactions de France comme dans la classe politique, on lit Rivarol en cachette et en pinçant le nez, mais on le lit. Ce jeudi 22 octobre, la stupeur envahit les immenses salles de rédaction désordonnées des quotidiens des boulevards comme celles, bien plus restreintes, des radios et des télévisions naissantes. Il y a là, soudain, des éléments factuels, des dates, des circonstances qui ne s’inventent pas, des rendez-vous préparatoires, des témoins, des imprévus, des célébrités, des coups fourrés et une histoire à rebondissements, une intrigue, comme en raffolent le public… et les médias. Rivarol a pris à revers les élucubrations en chambre d’une presse insuffisante. Pesquet a flanqué un formidable coup de pied dans une fourmilière médiatique un peu trop sûre d’elle, de sa puissance et de ses schémas intellectuels. (À suivre)
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