1959, la nuit de l’Observatoire : 9 – La presse « amie » à la rescousse de Mitterrand
Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
Heureusement, la presse « amie » bataille à ses côtés (lire épisode 8). C’est l’atout majeur, le talent de Mitterrand.
L’Express s’élance sans retour derrière le sénateur embarrassé. Dans le numéro du 29 octobre, sa célèbre éditorialiste, Françoise Giroud, plaide l’incohérence psychologique : « Il a 43 ans, il a été le plus jeune ministre de France depuis l’Empire, puis le plus jeune garde des Sceaux. […] C’est un homme qui a le temps. Et c’est un homme qui sait attendre. On l’a vu lorsque Robert Schuman lui proposa le ministère de l’Intérieur et que ce parlementaire de 30 ans, loin de sauter sur ce qui constituait une prestigieuse promotion, refusa. Il est doué d’une intelligence froide, rapide, aux mécanismes implacables. Qu’il vous plaise ou non, ce François Mitterrand secret, insaisissable, vous savez que vous ne pouvez lui dénier l’intelligence. Vous l’abhorrez ? Concédez-lui l’ambition. L’intelligence plus l’ambition ne peuvent le conduire à solliciter la complicité d’un voyou notoire, qui charge Maître Tixier-Vignancour de défendre ses intérêts lorsqu’il est inculpé d’abus de confiance. Le chemin politique de François Mitterrand ne peut passer par Pesquet. »
Là aussi, l’écriture est belle, mais les faits manquent. Trop intelligent, trop ambitieux, François Mitterrand, pour se laisser prendre ? Françoise Giroud remonte elle aussi le rocher de Sisyphe. L’image de Mitterrand est au plus bas, auprès des électeurs de droite, bien sûr, mais aussi auprès des lecteurs de gauche et de centre gauche, ceux de L’Express.
« Vous qui nous téléphonez amicalement, vous qui nous pressez discrètement depuis quelques jours de "laisser tomber Mitterrand", écrit-elle, dites, que vous arrive-t-il donc ? Croyez-vous à cette fable ? Non », répond-elle à leur place. « Savez-vous quelque chose que nous ignorons ? Non. » Et de voler au secours de cet « homme seul que des hyènes tiennent à la gorge. Si Mitterrand a mal agi, n’ayez crainte, cela se saura. Aujourd’hui, ce qu’il faut savoir, c’est ce qu’il a à dire », conclut cette mère louve. Ne pas chercher la vérité, donc, mais écouter Mitterrand.
Mitterrand compte ses soutiens dans les médias sur les doigts d’une main. Mais ils sont résolus, convaincus, passionnés.
Le 29 octobre, le jeune magazine France Observateur de Claude Perdriel et Jean Daniel s’orne en une d’une grande photo de Mitterrand. L’hebdomadaire s’est fait prendre par la première conférence de presse de l'homme politique. Il lui a fallu attendre une semaine pour faire état du renversement de situation. Peu importe ! France Observateur ne négocie pas davantage que L’Express son soutien. « Nous avions salué l’attitude courageuse dont, à nos yeux, François Mitterrand venait de faire preuve à l’occasion de l’attentat dirigé contre lui dans la nuit du 15 au 16 octobre », admet Gilles Martinet en page 3, pour expliquer aussitôt qu'il n’accorde aucun crédit aux affirmations de Pesquet. « Aucune personne sensée ne pouvait imaginer un seul instant qu’un leader de l’opposition, ancien ministre de l’Intérieur et ancien garde des Sceaux, ait pu demander à un adversaire politique aussi suspect et aussi taré que Pesquet d’organiser contre lui d’abord, contre Pierre Mendès France ensuite, des simulacres d’assassinats », tranche l’éditorialiste. Mais France Observateur a le souci des faits. Mitterrand a vu Pesquet à trois reprises avant l’attentat qui s’est déroulé dans un endroit « prévu » par Pesquet. Une nouvelle rencontre Pesquet-Mitterrand a eu lieu après l’attentat. Enfin, ces faits ont bien été dissimulés à la Justice et aux hommes politiques amis ou alliés de Mitterrand.
Résultat, pour France Observateur : « Un chef-d’œuvre de provocation », soigneusement monté. C’est la défense de Mitterrand. Le journal recense, tout de même, une série d’erreurs de l’ancien garde des Sceaux. La principale : n’avoir pas réuni quelques personnes sûres dès le 16 octobre pour leur confier les détails de l’affaire. Mais voilà, « dire qu’un homme a commis une erreur n’est pas l’accabler, encore moins l’abandonner », poursuit France Observateur. Mitterrand, dans ce numéro, livre un plaidoyer vibrant, parle de ses hobbies, des livres qu’il aime, de ses enfants. Du reste, si cet attentat à son honneur avait échoué, on aurait attenté à sa vie, dit-il. « Je n’en serais pas revenu vivant. » Il maintient contre vents et marées sa version des faits. « Mes adversaires disent que j’ai organisé dans un but politique un attentat simulé ! Moi, je réponds simplement ceci : il y a eu un attentat réel manqué. » (À suivre...)
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