Demain, saura-t-on encore écrire à la main ?
Cet article a été publié le 14/04/2023.
Bonne question ! La question pourrait même être : sait-on encore écrire à la main ? Comparer les copies d'un élève des années 50 avec celles d'un gamin d'aujourd'hui a de quoi donner envie de pleurer. Le signe d'un changement de civilisation ?
Écrire un mot sur un Post-it™ pour le coller au frigo ou remplir un chèque seront peut-être bientôt des activités oubliées, teintées de sépia et reléguées au rayon des antiquités. Si l’évolution numérique semble inéluctable, soyons lucides, l’arrivée de ChatGPT ne fera qu’amplifier à vitesse exponentielle un phénomène déjà amorcé de « Grand Remplacement » des compétences humaines. Nous n’avons pas attendu l’intelligence artificielle pour intégrer smartphones et tablettes devenus indispensables à nos vies quotidiennes, voire addictifs, de plus en plus tôt. Parfois, le téléphone succède au biberon et remplace le hochet ou la pâte à modeler. Les chiffres publiés cette semaine par Santé publique France font froid dans le dos : à deux ans, un enfant passe en moyenne 56 minutes par jour devant un écran. Deux ans !
Est-ce à dire que l’usage des écrans nuit à notre graphie ? La graphopédagogue Anne Riocreux, contactée par BV, nuance sa réponse : « Quand bien même ils passeraient une heure devant un écran, il reste encore de nombreuses heures de classe pour apprendre à tenir un crayon ! En revanche, à l’époque où les enfants ne jouaient pas avec un portable, ils bricolaient plus ou jouaient avec des petites pièces. On voit de plus en plus d’enfants ne faisant pas grand-chose de leurs mains hors de l’école, et ce retard de motricité peut être préjudiciable. »
Continuez d’écrire à la main. L’#écriture manuscrite est une opération neuromotrice complexe qui stimule votre #cerveau et combat l’#arthrite. Elle favorise l’esprit de synthèse, facilite la mémorisation des #lettres, des #mots et des nombres, ce qui améliore votre façon de lire. pic.twitter.com/7794U0SxsT
— Philippe Roi (@7559pr) April 9, 2023
Il suffit de comparer une copie de dictée d’un élève des années 1940 ou 1950 à une autre contemporaine pour constater la dégradation de la qualité de notre écriture. Pour Anne Riocreux, « des adultes en reconversion professionnelle n’ayant plus l’usage du stylo se sont aperçus que leur graphie n’était pas efficace au moment de repasser des examens à l’écrit ». Les écrans sont-ils les seuls responsables de cette dégringolade ?
Selon la graphopédagogue, c’est avant tout « l'importance qu'on accorde à l'écriture dans l'enseignement » qui est en cause. Elle dénonce « une ambiance globale autour de l'écriture qui peut donner l'impression que ce n'est pas très important » et observe que, « maintenant, dans les concours d'enseignants, la qualité de la graphie n’est plus éliminatoire alors qu’avant, un enseignant qui écrivait très mal, cela pouvait être rédhibitoire ». Un phénomène qui pourrait être rattrapable, à condition qu’on s’y attelle vraiment.
Et là encore, souvent, la question est prise à rebours. Trop tôt, l’enfant en difficulté va être diagnostiqué « dys » et mis devant un ordinateur : « C’est un peu la solution de facilité », déplore Anne Riocreux, qui ajoute : « On croit souvent que le problème vient du geste, alors que ce sont des élèves qui n'ont pas compris ce qu'on attendait d'eux dans l'écriture. Ils ne seront pas plus efficaces à l'ordinateur. » Dès lors, d’où vient le problème ? Pour la spécialiste, « ces élèves sont restés au stade du tracé, ils regardent signe par signe pour refaire comme s’ils dessinaient. Ils ne vont pas avoir l'idée de lire le mot avant de le copier. » L’on comprend donc que le problème n’est pas moteur mais qu’il est déconnecté de la lecture.
Et le passage de la plume au stylo-bille ? A-t-il contribué à dégrader la qualité de notre écriture ? Là encore, la graphopédagogue ne mâche pas ses mots : « Le stylo-bille n’est qu’un cache-misère, car s'ils savaient bien tenir leur crayon à papier, les élèves n'auraient aucune difficulté à passer au stylo à encre. Le stylo-bille sert juste à masquer le mauvais résultat de l'écriture. » Quant à l’écriture à l’ordinateur, elle dépersonnalise complètement le message. Anne Riocreux rappelle que « le geste graphique est une expression de la personnalité ». Alors, avant de ne plus savoir définitivement tenir un stylo, reprenons la plume et redécouvrons le plaisir d’écrire à la main. Faites le test, vous risquez d'être surpris...
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15 commentaires
L’écriture manuelle a une vertu irremplaçable : elle renseigne sur la personnalité du scripteur, que ce soit par le soin porté à la formation des caractères, par la disposition du message, par le choix de l’outil.
Dotée d’une écriture régulière, claire et élégante, je me suis aperçue, après plusieurs années d’utilisation de l’ordinateur, pour mon travail puis par mes occupations d’auteur, qu’elle s’était déformée et avait perdu son caractère personnel. Je ne tente même pas d’en rendre responsable l’arthrose qui a déformé mes doigts !
Mais si nous réfléchissons ne reste que deux minutes les responsables se ne sont les enfants mais les parents. En effet pour avoir la « paix » ils leurs mettent entre leurs mains une tablette ou autres espèces de saletés de ce genre.
Les miens me mettaient un livre entre les mains. Ils avaient la paix, et réflexion faite, moi aussi.
Bienvenue dans un monde future où les hommes seront « fabriqués » en fonction de leur destination: des gros bras pour les travaux de force pénibles avec un encéphale réduit, jambes réduites pour des travaux sédentaires etc…
Cela a été très bien écrit dans « Le meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley (1931)
Ce problème est loin d’être anecdotique. Il faut le prendre au sérieux et il est plus que temps de réagir. Ce qui est vrai pour les lettres l’est aussi pour les chiffres
Et faire cinq opérations de tête en quarante secondes comme au « chiffres et des lettres » ?
sans la calculette beaucoup sont perdus
Si vous achetez pour 3,40 € dans une boulangerie, et que vous posez un billet de 5€ + une pièce de 0,50 sur le comptoir, vous verrez le visage de la vendeuse se couvrir d’une sueur anxieuse devant le calcul mental que vous lui imposez. Heureusement il y a la calculette…
Ne pas renverser la table ! Avant de passer à la plume, exercice qui demande beaucoup d’habileté, pleins, déliés et forme, commençons par le retour appliqué au stylo bille, la forme des lettres. Comme d’habitude, tout commence par l’école. Les prétentieux pédagogues, les plus sachants que les sachants, déconstruisent, imposent sans peser le poids des conséquences, sans recul. Apprentissage de la lecture par la méthode globale, un non sens évident mais qui a été imposé. Même pas de choix possible, de comparaison possible. Tout est à l’avenant, la déconstruction reconstruction sans appuis, sans références préliminaires. Et ces « sages » continuent en introduisant des associations des lobbys qui n’ont rien à faire dans une école, si ce n’est distraire de l’essentiel.
L’usage de la main. Il y aurait tant de choses à dire dans ce domaine, dont certaines abordées dans cet article. La main et le cerveau sont intimement liés. C’est le cerveau, siège de la pensée, qui commande à la main. Un petit bémol concernant le passage de la plume au stylo à bille dans l’article. A mon sens cela ne concerne que la « belle écriture », avec les pleins et les déliés (et les pâtés sur la page). Il est vrai que l’on pouvait alors écrire avec élégance, du moins dans la forme. Mais le stylo à bille, avec un réservoir d’encre quasi inusable (des dizaines de kilomètres d’écriture sans recharge) n’a pas enlevé aux enfants (et aux autres) l’envie d’écrire. Au contraire peut-être ! Quant au clavier d’ordinateur, qui permet de si bien ranger et assembler les lettres et les mots, il doit également être vu comme un progrès. Combien de romans, d’articles journalistiques, de textes importants ont-ils été composés sur ce clavier, dans tous les domaines, depuis l’invention de l’ordinateur ! En revanche, ce qui tue l’écrit (et tout le reste), ce sont les claviers des téléphones portables et des tablettes. Il faut aller vite, pour dire peu (ou rien la plupart du temps). Bjr pour bonjour, Lol pour je ne sais quoi, et summum de l’absurde, les émojis ou émoticones qui voudraient traduire les pensées intimes des scribouillards. On pianote avec les deux pouces (les jeunes sont rapides à ce jeu), on se tape le front sur le premier poteau installé sur le trottoir, on attend impatiemment la réponse en fixant le petit écran. Puis elle arrive : Quatre misérables lettres : « Cool ! » Le degré zéro de la pensée, du langage et de l’écriture. Et ce sont ceux-là qui présideront demain aux destinées d’un pays.
Très vrai ..A partir de 4 ans aidons nos enfants à apprendre à écrire :préhension tri digitale , poignet souple et tracé ferme …….Autrement les nouvelles générations risquent de devenir des manchots .
Ayant appris à écrire à la fin de la guerre de 39-40, j’ai avec une plume Sergent Major, appris l’art du Plein et du Délié, je fais donc parti des dinosaures de l’école.
Merci madame Bridier pour cet article bien lisible parce que bien écrit et frappé au coin du bon sens. Manier la plume demande un long apprentissage il est vrai, mais combien est-il valorisant d’aligner lettres, mots, phrases, etc.
Ecriture et lecture sont, pourrions nous dire les deux mamelles de la connaissance.
Merci pour cet article et surtout de rappeler l’importance de l’écriture .
Au début des années 2000, j’ai observé mes élèves de 3ème durant un devoir et j’ai constaté que 50% d’entre eux ne tenaient pas leur stylo correctement, mais plutôt comme un manche à balai. J’ai même vu une jeune fille, qui écrivait assez bien ma foi, en tenant sa feuille à l’envers. J’ai eu l’explication quelque temps plus tard en regardant une émission où une professeure des écoles en maternelle nous présentait pompeusement ses méthodes innovantes, chère à ceux qui veulent se faire mousser. Elle insistait sur son « atelier graphisme » avec, en arrière plan, un élève adepte du manche à balai.
On prétend vouloir réduire les inégalités, mais les élèves qui s’en sortent sont ceux qui sont suivis par leurs parents. Pour les autres, l’ascenseur social est en panne mais ils acquièrent une grande dextérité, contre laquelle je ne peux rivaliser, sur les manettes de jeu.