[Cinéma] Sick of Myself, ou le narcissisme jusqu’à l’autodestruction

Vide, insignifiante, frivole et médiocre, l’héroïne ne suscite aucune compassion
sick

Paradoxe de l’époque : les pays scandinaves sont à l’avant-garde des dérives de la modernité occidentale mais leur cinéma se montre régulièrement le plus virulent à leur encontre. Nous connaissions déjà le réalisateur danois Thomas Vinterberg, qui avait réalisé La Chasse et Drunk, le Suédois Ruben Östlund (The Square, Sans filtre), il faudra désormais compter avec le Norvégien Kristoffer Borgli.

Pour son premier long-métrage, Sick of Myself, le jeune cinéaste brosse avec un humour corrosif le portrait d’une « adulescente » trentenaire en quête d’attention perpétuelle, ne supportant ni l’indifférence ni la relégation au second rang des priorités d’autrui. Narcissique au possible, saoulée de sa propre personne, Signe ne rate aucune occasion de se hisser sur le devant de la scène et, au besoin, d’écarter ceux qui l’occupent avec une plus grande légitimité. Encline à surjouer, plusieurs semaines durant, le traumatisme après avoir secouru une pauvre dame mordue par un chien, Signe s’invente tout et n’importe quoi, y compris des allergies, pour se rendre intéressante dans les dîners en ville et capter l’attention de ceux qui, jusque-là, l’ignoraient. Un besoin d’exister qui ne connaît plus aucune limite, la pousse à provoquer un chien dans l’espoir d’être mordue à son tour et de jouir du statut très convoité de victime. Cela, avant d’opter finalement pour une tout autre stratégie : se procurer par Internet des médicaments interdits qui entraînent des effets secondaires gravissimes et attaquent la peau de façon irréversible. Ainsi, sujette à cette soudaine « maladie auto-immune et incurable », Signe espère bien faire valoir sa singularité parmi la masse, apitoyer le monde entier et capitaliser sur cette notoriété fraîchement acquise. Rarement le délabrement de la persona, au cinéma, n’a été si bien corrélé à celui de l’âme. Vide, insignifiante, frivole et médiocre, l’héroïne ne suscite aucune compassion de la part du spectateur, ni même le désir de voir aboutir sa logique mortifère.

À peine moins détestables qu’elle, les personnages secondaires ne valent guère mieux. Son compagnon, un artiste contemporain branchouille, conceptuel et minable, n’hésite pas à se servir d’elle et de son « malheur » pour cultiver son aura, gagner en popularité et vendre ses œuvres. Ou quand le narcissisme de l’un rencontre celui de l’autre… C’est sans doute là que se situe la limite du film : cantonné à sa posture ironique et jusqu’au-boutiste, Kristoffer Borgli n’a que faire de ses personnages, là où le cinéaste Magnus von Horn, sur le même sujet, avait su livrer un regard plus humain et nuancé avec Sweat. En effet, Sick of Myself, par son goût de l’absurde et de la cruauté, se rapproche bien davantage de La Veronica, le film chilien de Leonardo Medel sorti l’an dernier, en cela qu’il s’apparente à une mise à mort impitoyable : on nous jette en pâture une héroïne à mépriser et rien ne semble pouvoir la racheter. L’exercice paraît un peu vain. Sans surprise, le récit ne sait pas comment finir…

Néanmoins prometteur pour la suite de sa carrière en tant que réalisateur, le film de Borgli a le mérite d’offrir un rôle en or à Kristine Kujath Thorp qui s’en sort avec tous les honneurs.

3 étoiles sur 5

 

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

5 commentaires

  1. On en est là de cet Occident qui ne sait plus quoi inventer pour exister, qui met en valeur les individualismes les plus forcenés et les tares les plus médiocres comme une exaltation dans la recherche de soi, c’est-à-dire le plus souvent du vide existentiel. Une civilisation en état de décomposition avancée qui sera bientôt balayée par d’autres qui ont plus le goût de la vie que de la mort.

  2. Puisque nous sommes rendus à remettre en question certains mots du dictionnaire, pourquoi ne pas remplacer le nom de cette drogue, « héroïne », par un autre nom plus adéquat ? Il n’y a rien d’héroïque dans le fait de se droguer ni à laide de cette substance, ni à l’aide d’une autre drogue.

    • Si on l’a appelé Héroïne (son nom scientifique est diacétylmorphine ), c’est simplement parce que ceux qui en prennent se sentent des héros (ou des héroïnes); C’est donc une molécule qui « fabrique des héros » (dans leur tête uniquement). On reconnaît les consommateurs au fait qu’ils ont un myosis (pupilles rétrécies)

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