Théorie politique du rap : quand Le Figaro fait du Libé !

On apprend, dans Le Figaro du 21 juin, à l'occasion de la fête de la Musique sans doute, que le rap est la musique la plus écoutée dans le monde. Cette musique fait même l'objet de théories intellectuelles savantes, dont l'analyse de Bénédicte Delorme-Montini dans cet article. Son constat de départ pourrait suffire à nous éclairer : « On rêva jadis de démocratiser la haute culture en la mettant à la portée de tous. C’était le modèle André Malraux. Il s’agissait d’une idée d’Européen des Lumières. Le mot d’ordre de renversement des valeurs occidentales a changé les priorités. Il est question désormais de promouvoir une démocratie sans référence commune et sans appartenance identitaire préalable. Le grand art et la culture livresque, armes anciennes de l’Occident honni, ne sont plus tout en haut de l’échelle, mais éparpillés sur le sol. » Pour le dire plus simplement : démocratiser la haute culture (culture classique ou culture « du dominant », pour le dire avec Bourdieu) ne fonctionnait pas. L'horizontalité contemporaine, dans laquelle tout se vaut et tout le monde est déraciné, amène naturellement les gens à écouter du rap. Tiens, mais pourquoi ça ? Le rap serait-il à la musique ce que la junk food est à l'art de la table, le porno en streaming à l'érotisme, Tinder à l'amour courtois, Twitter aux cafés philosophiques, certains chefs d'État à leurs prédécesseurs - c'est-à-dire une poubelle qui se prendrait pour une cathédrale ? Oui et non.
Certes, le rap contemporain semble pauvre. Harmonies électroniques nulles, voix retouchées, paroles volontairement vulgaires et violentes, modèle esthétique surjoué et creux (dont la masculinité en toc – on en parlait cette semaine pour Emmanuel Macron- n’est pas sans évoquer les « crustacés », durs dehors, mous dedans, dont parlait Evola dans Métaphysique du sexe). Il ne semble pas y avoir grand-chose à sauver dans cette glorification de la culture ghetto. Les bourgeois (et bourgeoises) qui poussent de petits soupirs d’aise devant ces manifestations peuvent être comparés à leurs devanciers, qui s’extasiaient devant les coups de couteau des « Apaches » et lisaient Les Mystères de Paris pour s’encanailler.
Pourtant, le rap, jusque vers la fin des années 90, parce qu’il peinait à se faire une place dans la musique « autorisée », a dû opérer un tri en ne faisant surgir de l’anonymat que les meilleurs auteurs et les meilleurs « instrus ». Il y a, objectivement, de bons albums de rap, comme L’École du micro d’argent (IAM), sorti en 1999. Quand le rap est devenu une musique mainstream, il est devenu la caricature de lui-même, comme le rock (passé des Rolling Stones à Téléphone), et s’est fait musique d’ambiance (comme le jazz, passé d’un statut sulfureux et virtuose à un rôle de bande originale d’ascenseur). Les rappeurs d’aujourd’hui en font des tonnes, s’arrogent les codes d’un patriarcat brutal (sans que ça ne dérange les féministes, puisque la plupart des rappeurs sont d'origine extra-européenne) et, sans y voir de contradiction, distribuent des brevets de respectabilité très politiquement corrects (Orelsan insultant Valeurs actuelles, Youssoupha voulant faire taire « ce con d’Éric Zemmour »).
Bénédicte Delorme-Montini prétend que cette haine et cette violence sont probablement du second degré et que c’est, d’ailleurs, ce que semble penser le public. Les règlements de comptes entre rappeurs de seconde zone, les clips sauvages tournés dans des cités ou les menaces de mort (contre Damien Rieu, tout dernièrement) ne semblent pas aller dans son sens. Elle ajoute que ces artistes veulent tout simplement une reconnaissance muséale - bourgeoise, en quelque sorte. Ce n’est pas nouveau : c’est l’objectif de tous les parvenus avides de revanche. Dans un genre musical différent, le chanteur du groupe Magic System vient d'ailleurs, à 44 ans, de terminer un master à HEC. C’est infiniment respectable, mais c’est très probablement, là encore, une affaire de symbole bourgeois avant tout. S’y ajoute, dans le cas précis des rappeurs, la haine du « colon » et la volonté de souiller son pays et ceux qui l'habitent, et de tourner en dérision ce qui a de l'importance pour lui.
Le plus navrant, pour conclure, n’est pas la pauvreté de tout cela. Le plus navrant, c’est la fascination d’une jeunesse européenne, héritière de trente millénaires de combat contre l’adversité, façonnée par vingt siècles de batailles, de découvertes, d’inventions, de statues, de peinture (et de musique, donc) dues au génie de ses ancêtres, pour une sous-culture musicale qui veut sa mort et le lui dit, méprise ses codes et le lui montre. Qui n'a jamais vus de « petits Blancs » parlant comme des « wesh » et connaissant par cœur des textes qui les vomissent, qui n'a jamais vu de petites Françaises en train de twerker sur des paroles qu'elles ne comprennent pas, ne sait pas ce qu'est l'abattement. La France aime le rap, qui n'aime pas la France. Et pourtant, elle danse.
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19 commentaires
Très bonne analyse de cet article du Figaro. Un peu dur concernant Téléphone ;-)
Le Figaro ne sait faire que du Macron, donc du rap, du woke, de la droite de gauche, en quelque sorte!
Le plus navrant étant tout de même que l’on en soit arrivé à se demander si l’on a encore le droit de dire (si chère liberté d’expression…) que l’on n’aime pas le « rap »…
C’est uniquement une question d’argent bien pensée, on soude autour de cette « musique » une communauté qui, quoi qu’on en dise n’est pas si pauvre que cela, par que dans le business de certaines matières elle se débrouille plutôt bien, on lui raconte des histoires pour la mener à la détestation de l’autre souvent la main qui les nourrit ensuite un bon marketing et ça roule, sans compter que derrière il y a le financement des religieux, des provocateurs, des terroristes et des autres qui sans se faire remarquer parce qu’ils sont détestés par cette communauté en profitent pour se remplir les poches eux aussi, l’argent n’ayant pas d’odeur.
Encore un outil bien façonné pour détruire la culture occidentale.
Cela me rappelle les années 90 quand les parents et grands parents de ces jeunes se piquaint de lire Libération et étaient offusqués quand on leur faisait remarquer qu’is financaient des journalistes qui voulaient leur disparition.
Le rap ..je déteste …..sous toutes ses formes ..c’est comme l’écologie ..cela me donne de l’urticaire…
Cela doit être jouissif pour ces rappeurs de voir les jeunes français danser sur une musique qui les humilie. Dansez rebelles écervelés.
Qui a baptisé le rap « musique » ? Quelle musique et quelles paroles subtiles, pacifiques, aubibles, etc. Musique autoproclamée comme beaucoup de nos intellectuels décébrés ?
j’approuve !
En tant que musicienne je vous le dis ici le rap ce n’est pas de la musique .
Absolument raison ;
La dérive bobo du Figaro ne date pas d’aujourd’hui, n’adhérant qu’à des préoccupations mercantiles.
Le Figaro auquel je suis abonnée, dérive, de temps en temps, côté bâbord… cela dépend du journaliste qui écrit l’article !
Ah ben non ; moi j’aime pas . J e déteste même . Signé : une pure française. Donnez-moi une bonne chorale en grégorien : ça repose le cerveau , l’éveille, et lutte contre les instincts ( bas)
Nous sommes dans une époque où lorsque le laid remplace le beau et où pour paraître dans le vent on s’ébaudit. L’effort n’est plus recherché, l’excellence non plus. Pourtant, au fond de nous, seul le beau devrait compter, car pour qu’une société fonctionne ce n’est pas à la fange de dicter sa loi comme le démontre si bien George Orwell.
C’est tout à fait ça. Très bien dit ! ( la fange)
Cauchemardesque cette progression de l’apologie de la laideur, car elle affecte tous les secteurs…
Mozart avait exprimé sa révolte en devenant … Franc-Maçon !