Eurydice de Jean Anouilh, ou la quête de l’idéal dans un monde médiocre
Eurydice, reprise au Théâtre de Poche Montparnasse à Paris, raconte l’histoire d’amour tragique d’Orphée et d’Eurydice, revisitée par Jean Anouilh en 1942. Une pièce salutaire, qui combat la médiocrité et redonne du souffle à la pureté de l’idéal amoureux.
Dramaturge prolifique, Jean Anouilh a revisité avec succès plusieurs mythes antiques dont ceux d’Antigone et de Médée. Dans Eurydice, finement mise en scène par Emmanuel Gaury, il explore la manière dont un jeune couple fuit la médiocrité et les destinées fixées d’avance. Dans La Culotte, écrite trente-cinq ans plus tard et récemment donnée au théâtre Montansier à Versailles, Anouilh combattait les dérives de la révolution féministe : Eurydice, quant à elle, incarne la femme forte et déterminée, accablée par l’implacable destin.
Histoire d’amour entravée
Actrice dans une troupe de comédiens en tournée, Eurydice vit mal cet avenir tout tracé, écrasée par une mère qui a fait de sa vie un drame, jouée par une Corinne Zarzavatdjian haute en couleur, et lasse d’histoires d’amour ennuyeuses dans lesquelles elle ne s’investit pas. Au buffet d'une gare, elle rencontre Orphée, violoniste ambulant flanqué de son père à la carrière ratée. Ils tombent immédiatement amoureux et s’enfuient pour vivre une histoire d’amour fusionnelle. Sur leur route, ils croisent à plusieurs reprises l’inquiétant Monsieur Henri, incarné avec justesse par Benjamin Romieux, incarnation d’un destin tragique qui prive l’homme de sa liberté.
Alors que les amants tentent de se concentrer sur leur relation empreinte de pureté et de simplicité, le directeur de la troupe vient susciter la jalousie d’Orphée en annonçant qu’Eurydice était sa maîtresse. Les amants se disputent et Eurydice quitte la chambre d’hôtel. Orphée apprend qu’elle a été tuée dans un accident de bus et accueille avec soulagement la promesse du sinistre Monsieur Henri : il pourra chercher Eurydice aux enfers. Celle-ci sera ramenée à la vie à une condition : ne pas croiser le regard d’Orphée jusqu’au matin… Le couple formé par Orphée - incarné par un Gaspard Cuillé à la gravité assumée - et Eurydice - jouée en alternance par Bérénice Boccara, excellente cet été à Avignon dans La Ligne rose, et Lou Lefèvre - est touchant et sublime de sincérité.
Anouilh, dramaturge libre
Classé à droite, Anouilh étonne par une liberté qui ne s’aligne pas systématiquement sur les tendances du moment. « Je suis un ouvrier du théâtre, le côté artisanal du théâtre me ravit », affirmait-il. Il écrivait des pièces qui sont autant de laboratoires d’expérimentation de la condition humaine. Créée en 1942 au théâtre de l’Atelier, Eurydice était une de ses pièces préférées. Thèmes récurrents chez Anouilh, l’idéal dégradé et la recherche de l’absolu sont parfaitement traités par Emmanuel Gaury, dont c’est la première mise en scène.
La pièce fourmille d’imprévus et de mystères non résolus sur le passé des personnages. L’attraction entre les deux jeunes amants est incompréhensible et défie toutes les lois logiques. On ne comprend pas ce qui anime Monsieur Henri, ce qu’il sait du destin du couple ni ce qu’il cherche à prouver. La jeune Eurydice a un passé amoureux, elle n’en parle pas parce qu’elle en a honte, mais cela modifie le regard que porte Orphée sur elle. Il craint de n’être pas aimé assez, voire d’être abandonné. Eurydice cherche désormais le bon, le beau et le vrai, avec ferveur et passion. L’interprétation des comédiens est réussie, elle sert le très beau texte d’Anouilh en recentrant le spectateur sur les sujets essentiels : la beauté, l’amour, la vérité, la rédemption.
Une vraie bonne pièce, à préférer à celles dont l'effort de promotion est inversement proportionnel à la qualité.
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2 commentaires
J’ai joué « Antigone » dans mon lycée Parisien dans les années 1950 !
A voir .