[ENTRETIEN] « Pompidou avait choisi un Premier ministre au discours post-soixante-huitard »
Alors que la France entière célèbre le cinquantième anniversaire du décès de Georges Pompidou, l’ancien haut fonctionnaire et essayiste Jean-Yves Le Gallou a voulu rétablir quelques vérités sur le second président de la Ve.
Louis de Torcy. L’un des premiers torts de Pompidou, selon vous, fut d’avoir choisi comme Premier ministre Jacques Chaban-Delmas ?
Jean-Yves Le Gallou. Pompidou croyait ménager la vieille garde gaulliste dont Chaban faisait partie. Mais c’est une erreur qu’il a regrettée dès le discours d’investiture. De Gaulle se méfiait de lui, il l’avait laissé à la présidence de l’Assemblée nationale sans jamais le nommer ministre. Pompidou pensait qu’il « tiendrait » la majorité RPR et qu’il lui éviterait des difficultés, mais Chaban avait des ambitions personnelles et il voulait faire « jeune ».
L. d. T. Qu’est-ce que « la nouvelle société» promise par le Premier ministre Chaban-Delmas dans son discours d’investiture ?
J.-Y. L. G. Dans ce discours rédigé par Jacques Delors, Jacques Chaban-Delmas parle en effet de « nouvelle société ». Il s’inscrit donc dans une démarche progressiste et constructiviste. Son discours repose sur une critique de la société française telle qu’elle est dans ses traditions et dans ce qui est appelé « ses blocages » par Chaban-Delmas. Pompidou est élu sur une ligne conservatrice, en tout cas dans l’opinion de ses électeurs et il nomme pourtant ce Premier ministre qui tient un discours post-soixante-huitard.
L. d. T. Quelles étaient les relations entre Jacques Delors, l’un des grands architectes de l’Europe moderne, et Pompidou ?
J.-Y. L. G. À l’époque, Delors n’était que conseiller du Premier ministre, Pompidou n’avait pas de relation directe avec Delors. Ce dernier joue, en revanche, un rôle important auprès de Chaban-Delmas, notamment pour inspirer un certain nombre de réformes comme celle de la formation professionnelle, qui donna un pouvoir considérable aux syndicats. Je ne pense pas, en revanche, qu’il y ait eu de relations directes, à l’époque, entre Delors et Pompidou. L’interlocuteur de Pompidou était Chaban-Delmas. Celui-ci pouvait interagir avec les conseillers du Président comme Marie-France Garaud ou Pierre Juillet, mais Pompidou ne parlait pas à Delors pour autant.
L. d. T. En quoi la réforme de la formation professionnelle a-t-elle augmenté le pouvoir des syndicats ?
J.-Y. L. G. Elle l’a augmenté en créant tout un tas de structures servant à les financer. Si vous regardez la formation professionnelle, aujourd’hui, il y a énormément de structures paritaires qui, dans les faits, sont des structures de financement des syndicats.
L. d. T. Pompidou a-t-il joué un rôle dans le lent dévoiement de l’Éducation nationale post-Mai 68 ?
J.-Y. L. G. Il n’a pas particulièrement dégradé l’Éducation nationale, mais il n’a pas repris les choses en main. Ici comme en bien des choses, la passivité et l’inaction sont ses principaux torts. Il n’a pas accéléré le processus, contrairement à ce qu’ont fait les gouvernements Chirac et surtout Giscard avec la loi Haby sur le collège unique. Pompidou n’a pas accéléré le processus mais il ne l’a pas freiné : il a laissé filer les choses.
L. d. T. En 1972, l’Assemblée nationale adopte la loi Pléven, qui restreint pour la première fois la liberté d’expression. Considérez vous que cette loi devait nécessairement mener à la loi Lefèvre, qui sera débattue par les députés le 10 avril prochain ?
J.-Y. L. G. La loi Pléven met le pied dans la porte de la liberté d’expression. À partir du moment où le pied est dans la porte, tout rentre. La loi Pléven aurait pu évoluer différemment. Elle aurait pu ne connaître qu’une interprétation restrictive, comme c’était le cas au départ, mais il y a eu une interprétation de plus en plus extensive, ce qui en fait maintenant une loi de délit d’opinion. Ce délit s’est peu à peu étendu à toute une série d’incriminations nouvelles, puisqu’il n’y avait, au départ, que quelques incriminations au titre de l’ethnie, de la race, de la nationalité ou de la religion et que l’on a, depuis, rajouté tout un tas de choses comme l’orientation sexuelle ou le handicap jusqu’à vouloir aujourd’hui réprimer la « discrimination capillaire ». La loi Pléven est l’acte fondateur de tout ce processus, non seulement en France mais en Europe, puisque tous les pays du continent ont à présent des législations similaires.
L. d. T. Ne trouvez-vous pas étonnant que la France, patrie des Lumières, souvent associée dans le monde à l’idéal de liberté, soit le pays inspirateur de ces lois restrictives ?
J.-Y. L. G. Oui et non, car les Lumières inspirèrent également les thermidoriens et la Terreur. La Déclaration des droits de l’homme qui protège la liberté d’expression le fait dans le cadre des lois qui garantissent l’ordre public. Ainsi, même dans cette Déclaration, vous trouvez en germe les possibilités de toutes les restrictions possibles.
L. d. T. Compareriez-vous, toutes proportions gardées, la loi Lefèvre qui arrive à la loi des suspects de 1793 ?
J.-Y. L. G. Oui, car c’est une loi de délation, elle ne repose que là-dessus. Par définition, elle concerne le domaine privé. Si un propos public est tenu, il est ouvert à tout le monde et, donc, il peut être poursuivi. Ici, la loi Lefèvre concerne des propos privés, elle ne peut donc reposer que sur la délation.
L. d. T. La loi de 1973 sur l’accès à la citoyenneté est souvent mise en avant par les critiques de Pompidou. Que pouvez-vous nous dire sur le sujet ?
J.-Y. L. G. Cette loi facilite l’accès à la citoyenneté française pour les étrangers nés en France. C’est toute une série de petites mesures facilitant l’accès à la citoyenneté française. Or, cette loi a été portée par le gouvernement Mesme et a été votée par une Assemblée où Pompidou avait acquis une large majorité. Il est donc évident qu’il en est globalement responsable.
L. d. T. Comment se fait-il que Pompidou, pourtant gaulliste et bras droit du Général lorsque celui-ci était au pouvoir, ait « trahi » la pensée gaullienne sur de nombreux thèmes, et notamment sur la question migratoire ?
J.-Y. L. G. Sur cette question, il y a deux éléments importants à comprendre. Il y a, d’un côté, l’immigration massive de travailleurs qui s’explique principalement par l’après-68 : pour compenser la hausse des prix, pour tenir les salaires, on fait venir des travailleurs étrangers. C’est un argument économique. Ensuite, puisqu’ils sont sur le territoire national, on estime en même temps qu’il faut faciliter leur intégration, leur assimilation, d’où l’idée de faciliter les conditions d’accès à la citoyenneté française.
L. d. T. Pourtant, Pompidou devait bien connaître l’avis du Général sur la question. Que si l’on faisait venir un trop grand nombre d’étrangers, surtout en un temps réduit, Colombey-les-Deux-Églises deviendrait Colombey-les-Deux-Mosquées. Qu’en est-il ?
J.-Y. L. G. À l’époque, dans les étrangers qui rentraient, environ la moitié étaient européens, principalement des Espagnols et des Portugais. L’autre moitié venait du monde entier. Encore une fois, c’est le primat de l’économie qui fit adopter cette politique. C’était une vision court-termiste.
L. d. T. La présidence de Pompidou, c’est également le Conseil constitutionnel qui, en 1971, s’arroge des pouvoirs qui n’étaient pas les siens. Que pouvez-vous nous en dire ?
J.-Y. L. G. C’est sans doute la pire chose qui soit arrivée durant son mandat. Il n’en est pas directement responsable, mais il est responsable de son inaction car il aurait dû chercher à combattre cela. À l’époque, le Conseil constitutionnel décide de censurer une loi sur les associations au nom de ce qu’il a appelé les principes républicains. Il est passé d’un contrôle formel de la loi à un contrôle sur le fond de la loi. Il devait se contenter de juger si la loi avait été adoptée dans des conditions normales et si elle se limitait bien à son domaine, en lieu de quoi le Conseil s’est arrogé le droit de juger les lois sur leurs contenus. C’est depuis cette époque qu’il peut juger de nos lois selon certains principes qu’il peut interpréter comme il le souhaite. Cela signifie que dans certains domaines comme la sécurité ou l’immigration, le Conseil fait la loi, beaucoup plus que les députés. Pompidou n’est pas à l’origine de cette décision, puisqu’il s’agit du président du Conseil constitutionnel, mais il a laissé faire alors qu’il aurait dû engager un bras de fer, peut-être même une révision de la Constitution, pour ramener le Conseil constitutionnel à sa place. Là aussi, son principal tort fut sa passivité.
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8 commentaires
Exactement Jacques Chaban Delmas, qui était lui même un grand ami de Jacques Delors et qui étaient eux mêmes des amis des Grands financiers les frères Viénot , Giles Viénot était Président de la Société Civil Immobilière le groupe SALVEPAR et Marc Viénot était Président de la Banque la Société Générale ! La Société Générale était la Banque de mes Grands parents matenelle, Mamy Dady, Suzanne de Lavalle époux Scheiwiller et Eugène Auguste Scheiwiller ! Amitiés à tous Hervé de Néoules !
Je suis tout à fait d’accord avec Jean Yves Le Gallou ! Jacques Chaban Delmas était un progrèssiste, puisque il était très ami avec Jacques Delors, le père de Martine Aubry ! D’ou le thème de son premier discourt de Politique Générale en Juillet 1969, à l’Assemblé Nationale de la nouvelle Société Française, dont il avait son cheval de Bataille ! Personnellement je ne suis pas hostile au progrès, tant qu’il ne remet pas en cause et ne fragilise pas les performances économiques et financières des entreprises ! Faire des profits et des bénéfices est un gage d’avenir ! Le progrès ne doit pas s’opposer aux performances économiques et financières de la France ! Le progrès doit suivre et non anticiper, l’amélioration des performances économiques et financières des entreprises et de la France ! C’est ce qui m’a toujours opposé à la gauche Française ! Je suis pour le progrès pour tous, mais ca doit être conditionné à l’amélioration de nos performances économiques et financière de nos entreprises et du Pays ! Amitiés à tous Hervé de Néoules !
Le Conseil Constitutionnel devrait être dissous. Il n’est pas normal que cet organisme puisse supprimer des textes votés par le Parlement.
Une commission près l’AN devrait s’assurer de la conformité des projets de lois et opérer rectifications ou suppressions en liaison avec le gouvernement.
Ajoutons à ce portrait le dédain de Pompidou pour ce qui touche au patrimoine historique :destruction des halles de Baltard ,projet d’autoroute en plein Paris,volonté de détruire la Gare d’Orsay, ravage de tout un quartier pour bâtir Beaubourg véritable édifice industriel sans cohérence urbaine .
Seul le destin lui a interdit de poursuivre ce vandalisme .
Pompidou n’était pas gaulliste et il n’a d’ailleurs pas participé à quelque action de la Résistance que ce soit, ce qui permet de se poser des questions sur son patriotisme. Il a fait partie de la cabale qui a permis de ruiner le grand projet gaullien, la Participation, et il a collaboré avec les forces libérales (Giscard d’Estaing et consorts) qui s’opposaient à ce projet approuvé par 62% des Français, selon un sondage, et qui firent échouer, de justesse, le référendum de 1969 ce qui provoqua le départ du Général; c’était précisément ce que les libéraux, dont Pompidou et Giscard, attendaient avec impatience. Le nationalisme et le libéralisme ne font pas bon ménage; ils sont même antagoniques.
Les vrais resistants ont Été une infime minorité ;même si ceux de la 25 heure ont Été nombreux en 1945. Le référendum de 1969 était suicidaire ;personne n’y comprenait rien. Le Général en était conscient.
Bientôt je ne pourrais plus pester contre l’inconscience et l’incompétence de ceux qui nous gouvernent de peur d’être dénoncé par un de mes enfants, petits enfants et pourquoi pas par ma propre épouse. Ne parlons même pas de mes voisins !!!
L’horreur de 1984.