[STRICTEMENT PERSONNEL] Les chevaux du Soleil

IL20240409190919-jamet-dominique-929x522

« Historique » ? Historique. Et le mot, en l’occurrence, ne paraît pas excessif. Pour la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République, l’Assemblée nationale, en votant une motion de censure - cas prévu et réglementé par notre Constitution -, a renversé un gouvernement. Ce qu’aucun scandale, financier ou autre, aucune inflexion de la politique intérieure ou internationale, aucun assassinat - fût-il celui d’un ministre en fonction -, aucune trahison, par une majorité de gauche ou de droite, de ses engagements, aucune intervention de notre armée - parfaitement justifiée (Kolwezi) ou largement inexplicable (Libye) -, aucune bavure de nos services secrets (Rainbow Warrior) n’avait suscité vient de se produire. Deux fois en soixante-six ans, on ne peut pas dire que nos législateurs aient abusé de leur droit de vie et de mort sur l’exécutif et illustré, ainsi, je ne sais quelle propension gauloise à l’instabilité, voire à l’anarchie.

L’épisode, en revanche, illustre à merveille le célèbre adage de Karl Marx selon lequel l’Histoire, lorsqu’elle bégaie, se répète volontiers en farce. Lorsqu’en 1962, Georges Pompidou avait été mis en minorité au palais Bourbon, il s’agissait de savoir si le chef de l’État serait désormais élu au suffrage universel, comme l’avait été Louis-Napoléon Bonaparte en 1848. Ce n’était pas rien. Mercredi dernier, la grande question était de savoir si les retraites seraient revalorisées en fonction de l’inflation dès le 1er janvier prochain ou seulement au début de juillet. L’enjeu valait-il, comme il est dit dans La Fille de madame Angot, de changer de gouvernement ? Il est permis d’en douter.

Un temps de respiration

Michel Barnier a payé les innombrables pots cassés par les différents successeurs du général de Gaulle et de Georges Pompidou au long du demi-siècle écoulé, mais plus récemment et plus particulièrement par son supérieur hiérarchique immédiat dès son premier mandat, et surtout depuis l’énorme bourde qu’aura été la dissolution du 9 juin.

On ne peindra pas en grand homme qu’il n’a jamais prétendu être le fugace occupant de l’hôtel Matignon. On retiendra pourtant comme un temps de respiration les trois mois pendant lesquels l’éphémère Premier ministre a ouvert les fenêtres et tenté de renouveler l’air dans les coulisses d’un pouvoir devenu la caricature du microcosme dénoncé par Raymond Barre, replié sur lui-même, déconnecté et ignoré, quand il n’est pas détesté, par une majorité de Français dont il méconnaît les difficultés, les frustrations, les aspirations et les sentiments.

Venu de sa Savoie natale, riche de ses seuls yeux tranquilles et d’un bon sens paysan, en passant par les arcanes du gouvernement puis de l’Union européenne et de ses interminables négociations, le Premier ministre professait, à l’ancienne, que qui paie ses dettes s’enrichit et que celui qui laisse perdurer et prospérer les déficits court à la faillite. L’urgence, selon lui, consistait à dégager de nouvelles recettes et à tailler dans les dépenses de l’État. Tenu à distance par le Président qui l’avait nommé, combattu par ses adversaires (ce qui n’est pas anormal) et lâché ou trahi par ceux qui étaient supposés le soutenir, le montagnard a accouché de deux souris, budget général et budget social improvisés et étriqués, avant de tomber au champ d’honneur d’un débat misérable, tiré comme un pigeon et, finalement, abattu par l’improbable et incohérente conjonction de deux oppositions rassemblées pour un soir, le temps d’une motion et d’un vote, l’une ayant fait depuis longtemps, sous l’impitoyable férule d’un démagogue talentueux, le choix du chaos, l’autre exaspérée par l’injuste ostracisme dont elle est victime de la part de la classe politique, de la société, de la justice et des médias jusqu’à en perdre son sang-froid et à se défouler dans la vengeance. Sombre soirée !

De paratonnerre à fusible

Le Premier ministre a joué l’autre soir, dignement et sans avoir démérité, le rôle de fusible à quoi l’a de plus en plus souvent réduit la pratique de la Ve République sous les épigones de son fondateur. De quel bilan, de quels succès, de quelle espérance, de quelles perspectives, de quelle grandeur ou tout simplement de quel programme, de quelle idéologie aurait-il pu se prévaloir ou se réclamer ? Plutôt que de fusible, le chef du gouvernement censuré, comme le chef du gouvernement encore à venir, est condamné à être le paratonnerre et le rempart qui protège contre la foudre et la mitraille le titulaire du pouvoir suprême, le bouc émissaire dont l’éviction fait apparaître à découvert, en première ligne, sur le devant de la scène, comme il l’a voulu, tel qu’il est, dans la nudité de son échec, le responsable et le coupable de l’état pitoyable où nous sommes.

Car la France affaiblie, la France fracturée, la France divisée, la France déclassée, la France démoralisée, la France dépassée, la France chassée à coups de pied dans le cul de l’Afrique francophone, absente du drame que vivent Israël, le Liban, la Syrie, défiée par la dictature algérienne, contournée en Amérique latine par Mme von der Leyen, peu à peu phagocytée par l’Union européenne et vassalisée par l’OTAN, les États-Unis et le grand capitalisme libéral, c’est la France que, si rien ne change, Emmanuel Macron lèguera à celui qui le remplacera, au terme légal de son mandat, si tout continue d’aller son train. Ou auparavant ?

Après les 100 jours, les 30 mois

S’arrachant à regret aux préparatifs de son sacre, sous les voûtes bientôt millénaires de Notre-Dame de Paris, le président de la République a trouvé, jeudi soir, un quart d’heure pour évoquer la crise française. Le chef de l’État, fidèle à lui-même, ne nous a pas déçus, puisqu’il nous a déçus. On aurait dû s’y attendre. Quant à lui, n’a-t-il pas regretté les suites que d’autres - vous, moi, les Français, la classe politique - ont données à sa si intelligente, si ingénieuse, si féconde, si nécessaire dissolution ? Que les bonnes gens se rassurent : nous aurons un nouveau Premier ministre. Il y songe, il y veille, il y travaille. Une ère nouvelle va s’ouvrir, sous le signe de l’intérêt général. Words, words, words

M. Macron, qui est cultivé, connaît, bien sûr, l’histoire de Phaéton, imprudent rejeton de Phébus-Apollon en personne. Ce jeune homme, qui se voyait aussi brillant que son père, et qui n’était que clinquant - l’histoire ne nous dit pas s’il avait fait l’ENA -, eut la fâcheuse et finalement fatale idée – de tels comportements sont de tous les temps et de tous les adolescents – d’emprunter avant l’aube le bolide de son père. Il força la porte des écuries, parvint à atteler les fougueux coursiers, et fouette cocher ! La suite est connue. Emmanuel Macron ne maîtrise le char de l’État, comme on disait autrefois, ni plus ni mieux que Phaéton les chevaux du Soleil. Le malheureux – c’est de Phaéton, que je parle – ne savait pas conduire.

Picture of Dominique Jamet
Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

37 commentaires

  1. Star Academy Matignon continue mais pour combien de temps?
    Le Bayrou restant comme un Talleyrand des mauvais jours, va maintenant tenter de créer le nouveau NFP: nouveau front pédant….Pas de quoi tenir jusqu’aux élections car « d’une ou d’autre manière, les daubeurs auront leur tour »(La Fontaine, le lion, le loup et e renard)!
    Les candidats ministres se pressent ou désirent rester, selon le cas, pendant que les français votent de plus en plus RN, mais qui s’en préoccupe? en attendant mieux et l’exil de celui qui collectionnait les panoplies et l’apparence de son succès bien imaginaire!

  2. « M. Macron, qui est cultivé » Elle est excellente. Il est vrai qu’il avait mis Proust sur le bureau lors d’une de ses interventions télévisées… A part ça, je ne vois pas…

  3. Permettez-moi de m’inscrire en faux sur cette pusillanimité supposée de la censure votée par le RN.
    Vous affectez de dire que le motif de la censure n’était que le refus de l’indexation des retraites sur l’inflation en janvier au lieu d’en juillet, ce qui serait effectivement peu pour plonger un pays dans le flottement. C’est une vision des faits aussi méprisante, aussi réductrice que cette volonté de faire assimiler un vote commun avec le NFP à un accord politique général entre les deux groupes. C’est aussi très comparable à la technique gauchiste du bout de phrase sorti de son contexte, d’où mon désaveu sur le fonds…
    Il s’agit d’une affirmation digne de représentants du NFP, pointant l’incident déclencheur et invisibilisant le refus « quarantenaire » de l’exécutif de sabrer dans les dépenses inutiles ou non justifiées dans ce contexte de marasme économique, en préférant bien sur créer de nouveaux impôts.
    C’est une prise de position ridicule, ce n’est pas cette indexation, qui ne fut au fond que le pouïème de désaccord avec la politique macroniste, qui a déclenché les foudres du RN, mais bien le sectarisme gouvernemental, et une attitude qui, quelque part, puisait ses origines dans le pourtant récent dernier accès de « frontrépublicanisme ».
    C’est, plus que la personne de M.Barnier, l’alliance des intérêts macronistes et LR qui a été sanctionnée, la participation de la supposée droite LR ne s’étant concrétisée par aucune droitisation de la politique gouvernementale!
    Et je m’étonne donc qu’une critique aussi médiocre (puisque digne de la gauche) trouve sa place dans un éditorial de BV, on a été habitué à mieux.

  4. « L’urgence, selon lui, consistait (…) à tailler dans les dépenses de l’État. »
    Ah, c’est pour ça que son gouvernement comptait une quarantaine de ministres. Je suis mort de rire !
    Par ailleurs, si Barnier avait voulu changer quoique ce soit sans tondre le pays le plus taxé au monde, il avait un gisement de 100 milliards d’économie à faire. Mais ne demandons pas à un homme -qui n’a rien fait en 46 ans que de vivre aux crochets de nos impôts-, de mettre en œuvre des réformes qui eussent nécessité une virilité mise à mal par les perturbateurs endocriniens. A croire que Barnier en a abusé…

  5. Non il ne s’agit pas, pour le RN, d’une simple question de revalorisation des retraites mais d’un refus que l’on tire toujours plus vers le bas les classes moyennes (dont les riches retraités gagnant plus que le SMIC – avec Hollande on n’était riche qu’à partir de 4000 €, rappelons-le) afin de dégager de nouvelles recettes, ce qui évite de tailler dans les dépenses superflues.

  6. « M. Macron, qui est cultivé » cher Dominique, c’est du second degré ? Ah oui, il est vrai qu’il avait mis Proust sur son bureau lors d’un show vidéo aussi médiocre qu’à son habitude…

  7. En refusant – au dernier moment, le plus efficace – de voter la censure, Marine LE PEN assurait un ascendant sur Michel BARNIER, et NFP rentrait dans sa niche, pour un moment. Elle a raté cette occasion, pourquoi? A mon avis, c’est là le plus gros échecs.

    • Et, du coup, ne votant pas la censure, le RN adoubait la politique de Macron. Croyez-vous que l’ascendant supposément acquis de la sorte sur Barnier aurait pu amener ce dernier à infléchir les tenants de son budget, et désobéir au p’tit chef? Ou aurait-il simplement pris la confiance ainsi votée pour des encouragements à faire plus?
      Avez-vous réellement pesé de ce que vous dites?

  8. Depuis 2017, je dis que c’est un peu un marchand de bagnoles(car il aime les bagnoles vu qu’il conduit pas), qui n’aurait pas le permis….Aucune confiance!

  9. La politique de rupture se fera quand nous serons dans le mur. C’est à dire quand ses banquiers couperont le robinet de l état et qu’il sera insolvable. Les français sont ainsi et n ont toujours pas compris qu un budget repose sur les mêmes principes que celui des ménages. Si tu dépenses plus que tu ne gagnes , tu deviens interdit bancaire. C’est simple et pourtant … Vivement le FMI que l on sorte de cet engrenage infernal.

    • Malheureusement, je crois fermement que l’intervention du FMI que vous appelez de vos vœux ne changera que peu de choses à l’histoire, les politiciens responsables du désastre ne seront pas personnellement ou collectivement sanctionnés, et donc, resteront en place.
      Quant à la sanction populaire, je crains qu’elle ne passe pas par les urnes, on a vu cela en juin. Et qu’ainsi, ce sera la gauche, infiniment plus organisée pour le désordre, qui tirera les marrons du feu, alliée aux banlieues. Banlieues qui, avec le nombre, submergeront cette gauche d’inutiles fauteurs de troubles, au bénéfice d’un agenda qui ne sera plus français. merci, Mélenchon et consorts.
      Pessimiste je suis.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

ZFE : quand les écolos font la guerre aux pauvres

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois