Le monde économique peut-il basculer pour le RN, comme il l’a fait pour Trump ?

Jordan Bardella et Harold Parisot ©BV
Jordan Bardella et Harold Parisot ©BV

Le monde de l’entreprise peut-il basculer pour le RN, comme il l’a fait pour Trump aux États-Unis ?

C’est, en tout cas, ce qu’appelle de ses vœux Jordan Bardella, invité d’honneur, ce vendredi 13 décembre, du prestigieux Chinese Business Club. Fondé en 2012 par Harold Parisot, ce cercle, qui revendique être le premier réseau d’affaires en France, a reçu par le passé Jean-Pierre Raffarin, Édouard Philippe, Nicolas Sarkozy et… Emmanuel Macron.

À l'hôtel Le Collectionneur, dans le VIIIe arrondissement de Paris, face à un parterre de 150 chefs d’entreprise, cadres du CAC 40, diplomates, députés, sénateurs, anciens ministres et journalistes - tels qu'Éric Revel ou Ulysse Gosset -, Jordan Bardella déroule sa vision de l’économie et tente de convaincre un public loin d'être acquis. Le discours est peu ou prou le même qu’en mars dernier, lorsque avant les européennes, il voulait séduire les patrons et avait passé un grand oral devant la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : ses maîtres mots sont « produire, protéger, permettre ». Il fustige la philosophie décroissante de la Commission européenne et de la gauche, promet de baisser les impôts de production et, sur les salaires, annonce que le RN, au pouvoir, donnera les moyens à la France de ne pas laisser s’envoler vers d’autres cieux des entreprises stratégiques.

Bascule inédite

Mais deux faits majeurs survenus ces dernières semaines - l’un national, l’autre international - servent son argumentaire de façon très concrète : Jordan Bardella affirme qu’en censurant le gouvernement Barnier, le RN a empêché une augmentation globale de 40 milliards d’impôts, prévue par un gouvernement… de droite. Cette droite censée, dans l’imaginaire collectif du monde entrepreneurial, lutter contre une fiscalité confiscatoire anti-productive, c'est le RN, explique-t-il, qui l'a empêchée de nuire aux entreprises. Aura-t-il convaincu ?

L’autre facteur nouveau, massif et qui change la donne, c’est, bien sûr, l’élection de Trump. Ce que Jordan Bardella n’a pas manqué de souligner : si, en 2016 et 2020, Donald Trump avait séduit les rednecks, les déplorables, les hillbillies chers à Vance et les white trash, en 2024, il a su rallier en sus - et c’est ce qui a fait la différence ! - le monde économique, symbolisé bien sûr par le soutien du patron de X et Tesla Elon Musk, mettant ainsi un terme à une lutte des classes artificiellement entretenue par les démocrates, La preuve ? Les PAC (Political Action Committees, organisations par lesquelles les entreprises américaines financent les partis politiques) ont vu, cette fois-ci, leur tendance s’inverser : ce ne sont plus les démocrates mais les républicains qui ont reçu le plus de dons. Avec, notamment, des pétroliers, le monde de l’automobile, les cryptomonnaies mais aussi la tech, l’IA ou même le secteur bancaire. Conscient des effets de cette bascule inédite, mutatis mutandis, Bardella entend marcher sur les traces de Donald Trump : il veut réunir Hénin-Beaumont et l’Ouest parisien, où les entrepreneurs fortunés installent leur famille, tablant sur une cote immobilière prohibitive tenant lieu de mur (de moins en moins) infranchissable pour la préserver des méfaits d'une immigration massive. Un voeu pieux jusqu'ici...

Comme en écho au fameux slogan du parti républicain - « drill, baby, drill ! » (fore, bébé, fore) - visant à encourager les forages pétroliers et, donc, la recherche de ressources énergétiques souveraines, Jordan Bardella a consacré un long moment à évoquer la volonté du RN de soutenir le nucléaire.

Non que Jordan Bardella s’illusionne sur Trump - « son élection est une bonne nouvelle pour les Américains » - mais pas sur le plan commercial, pour l’Europe ni pour France, a-t-il rappelé, car Donald Trump, et c’est de bonne guerre, leur fera une concurrence acharnée. Jordan Bardella exhorte à suivre ce modèle : défendre les intérêts de la France comme Trump défend ceux des États-Unis. Farouchement. Par un protectionnisme intelligent.

« Permettre » pour libérer

Le public des décideurs économiques considère volontiers le RN comme un parti très étatiste. Jordan Bardella ne se dit d'ailleurs jamais libéral, au sens convenu d’aujourd’hui - c’est-à-dire de libre circulation des biens et des personnes, mondialiste et sans-frontiériste -, mais quand il utilise le verbe « permettre », il reconnaît lui-même qu’il veut dire « libérer »… à la façon, sans doute de Reagan, pour continuer de filer la métaphore américaine : « J’aimerais que l’État descende de mon dos et sorte ses mains de mes poches. »

Interrogé (c’était prévisible) sur la réforme des retraites, Jordan Bardella rappelle qu’il raisonne plus en termes d’annuités et, donc, d’entrée dans la vie active qu’en âge de départ, et rajoute qu’il est bien joli de vouloir garder en activité les seniors jusqu’à 67 ans… mais qu’encore faudrait-il avoir du travail à leur donner, une proportion importante d’entre eux, autour de la soixantaine, se trouvant sans emploi ni retraite.

En mars dernier, face à la CPME, Jordan Bardella avait dit qu’il était là non pas pour séduire mais pour convaincre. A-t-il convaincu et séduit ? Pas tout le monde, c'est évident, puisque dans l'assistance un anonyme chuchote qu'il ne suffit pas d'enfiler les habits neufs de Trump pour convaincre, et que de son avis, le programme RN reste bien trop "socialiste".  Mais, en tout cas, il intéresse les milieux d’affaire, comme l’a montré la foule de ceux qui ont cherché à lui parler, à son arrivée et à l’issue de son laïus.

On ne peut pas en dire autant du Premier ministre François Bayrou, dont l’annonce de la nomination est pourtant tombée au début de l’intervention de Bardella et qui a été à peine relevée. Comme si, loin d'y voir un changement d'ère, tout le monde avait compris que ce n'était qu'une péripétie.

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

4 commentaires

  1. Le pouvoir ne fait rien pour freiner le travail au noir .
    Qu’il soit effectué par des français ou des étrangers réguliers ou des clandestins.

    Rien sur des véritables sanctions contre les patrons indélicats.
    Dans certains pays un patron qui embauche un étranger sans papiers.
    Il sera mis en prison ferme et sa société fermée administrativement pour des semaines.
    Et si le gérant est un étranger , l’avion retour l’attend.
    Rien n’est fait pour décourager le patronat a embaucher des français ou des européens .
    Au congo ,une taxe de 1000 € annuelle par étranger embauché.
    Dans les pays du golfe, les employeurs doivent loger les étrangers qui travaillent pour eux .

    Le coût de l’immigration est estimé a 55 milliards d’euros par an. Selon les contribuables associés.
    Coût de la délinquance, éducation, médical, et social .
    Il faut une immigration qualifiée de travail et temporaire .
    Visa lié au contrat de travail.
    Et en cacase chômage, ils repartent dans leur pays.
    Avantage, pas de chômage a payer .

  2. Oui, il pourra, car la décision de censure était économiquement très saine: Barnier ayant fait l’inverse de la raison, de vouloir faire monter les impôts des particuliers et des entreprises en réduisant les économies de l’état. La Droite, le Centre surtout, ne semble pas plus économiquement sain – ou à peine – que la Gauche qui ne connaît que la taxe. Quant aux perspectives politiques, les élections futures, le mot du conseiller de Clinton prend aujourd’hui tout son sens: « It’s the economy, stupid! »

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