[EXPO] Au musée du Louvre, les fous sont lâchés
« Infini est le nombre des fous », dit l’Ecclésiaste. L’exposition du musée du Louvre en fait la démonstration, avec un nombre infini, ou presque, d’œuvres sur le thème du fou, du Moyen Âge à la période romantique.
Le monde médiéval est religieux, certes, mais raisonnable aussi, voire rationnel (la scolastique). Dans cette perspective, le fou est tout autant celui qui déraisonne que celui qui refuse Dieu. Ce sont les deux faces d’une même médaille. L’insensé des psaumes, avec sa marotte et ses guenilles, les Vierges folles avec leurs lampes renversées, en sont des exemples frappants. Mais comme toujours, le symbole est ambivalent : la sainteté est folie, aux yeux du monde. Saint François d’Assise quitte sa position sociale, s’habille en mendiant, parle aux oiseaux : il devient une sorte de fou - pour la bonne cause.
Autre folie, celle du cœur et des sens. Le Lai d’Aristote connaît un grand succès littéraire et iconographique. Alexandre est tombé amoureux d’une Indienne, Phyllis, et délaisse les armes. Le philosophe le rappelle à ses devoirs de chef de guerre. Pour s’en venger, la jeune femme séduit Aristote et le transforme en jouet : il se laisse chevaucher par elle comme un baudet, aux grands rires d’Alexandre qui prend son vieux maître en flagrant délit de faiblesse face à une femme. Un magnifique aquamanile (un récipient pour se laver les mains) nous montre cette défaite de la philosophie.
Dans les tapisseries, les enluminures, les vitraux, le fou n’est jamais loin du couple d’amoureux qui folâtrent ou se lutinent. On identifie sans peine le personnage : sa marotte goguenarde, son costume qui tranche sur tous les autres… Il signale le caractère luxurieux de la situation. D’où sa présence récurrente, également, aux côtés du fils prodigue, plongé dans une mauvaise compagnie de femmes, de joueurs et de buveurs.
Aux côtés des rois et des princes, le fou prend un autre rôle : celui de bouffon. On a quelques portraits, imaginaires pour certains, réels pour d’autres, de ces gens à part, et par leur disgrâce physique, et par leur statut. Le bon roi René fait portraiturer son fou Triboulet en médaillon digne d’un roi ou d’un empereur, malgré la microcéphalie du modèle. Petit, son crâne n’était pas vide : Triboulet fut comédien, chef de troupe, auteur de pièces comiques. Parfois le roi lui-même est devenu son propre fou… Charles VI, la princesse Jeanne de Castille ont été précédés dans cette folie par Nabuchodonosor, dont l’orgueil a été puni par la perte de la raison et sa transformation en bête durant sept ans. Un vitrail le représente broutant au milieu du bétail.
Car nul n’est à l’abri de la folie. Ni les paysans et les bourgeois dans les tableaux nordiques illustrant les proverbes peints par Brueghel le Jeune, ou lors du carnaval (peinture de Martin I van Cleve). Ni les religieux qui figurent dans la célèbre nef peinte par Jérôme Bosch : un fou, juché sur une branche, préside à une chorale d’ivrognes où un moine et une religieuse mènent la danse.
Le sommeil de la raison
Refoulé au XVIIIe siècle, le fou ne tarde pas à réapparaître, chez Goya par exemple, dont une des célèbres eaux-fortes s’intitule Le sommeil de la raison engendre des monstres. Chez les romantiques, également. Géricault peint d’impressionnants portraits de fous et de folles. Lady Mac Beth, de criminelle devenue folle, inspire les peintres, Quasimodo est élu « pape des fous »… Et, justement, Viollet-le-Duc fait sculpter des chimères et des gargouilles pour Notre-Dame de Paris, où se retrouvent les êtres hybrides des manuscrits médiévaux et qui sont comme une folie dans la Création. Ainsi se clôt un parcours qui révèle toute une thématique dispersée mais continue dans l’histoire de l’art.
Figures du fou, du Moyen Âge aux romantiques. Jusqu’au 3 février 2025. Musée du Louvre, de 9h à 18h, sauf le mardi, jusqu’à 21h le mercredi et le vendredi.
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