[STRICTEMENT PERSONNEL] « Tant pis pour le Sud… »

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« Il est temps de passer à un état d’esprit de temps de guerre… » Il me semble que ce propos viril de M. Mark Rutte n’a suscité ni l’écho ni l’émotion, rien de moins que planétaire, qu’il méritait. M. Rutte n’est pourtant pas n’importe qui et l’OTAN, pour sa part, n’est pas n’importe quoi. Premier ministre néerlandais quatorze ans d’affilée, ce qui n’est pas rien, M. Rutte a hérité, depuis octobre dernier, du titre de Secrétaire général de l’OTAN, ce qui, au moins sur le papier, en fait un homme de première importance. L’OTAN, faut-il le rappeler, est cette alliance politico-militaire aussi impressionnante que génétiquement bancale qui rassemble, sous la houlette et le parapluie de la plus grande puissance du monde, trente et un États, certains autrefois grands eux-mêmes, d’autres tout juste moyens, les derniers définitivement minuscules. Alliés, protégés, vassaux ou simples satellites ? C’est selon.

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord qui, comme nul ne l’ignore, s’étend de la mer Noire à l’océan Pacifique a été fondée en 1949 pour faire face, en cas de besoin, au bloc de l’Est, création et créature de l’URSS, qui constituait alors une menace pour la fragile paix du monde. Le bloc de l’Est n’existe plus. L’URSS n’est plus qu’un souvenir. L’OTAN demeure.

L'argument massue de la référence à « Munich »

Lorsque la Russie, il y aura bientôt trois ans, a envahi l’Ukraine, dont les liens avec la Moscovie remontent à mille ans et la toute jeune indépendance à un quart de siècle, ce ne sont pas seulement les pays frontaliers ou voisins du champ de bataille qui se sont inquiétés, émus et mobilisés en faveur de l’agressé. Leur proximité géographique avec l’agresseur et les souvenirs que leur avait laissés, de Catherine la Grande à Joseph Vissarionovitch, alias Staline, petit père et bourreau de ses peuples, l’impérialisme tsariste puis le joug soviétique l’expliquent assez. L’OTAN, elle aussi, sous l’impulsion des États-Unis, a prétendu faire échec à la Russie de Vladimir Poutine, dont le moins que l’on puisse dire est qu’en l’occurrence, elle n’a pas plus respecté, à l’extérieur, le droit international qu’elle ne garantit à ses propres ressortissants la jouissance des libertés les plus élémentaires. Pour être honnête, on rappellera quand même que, non content de rogner les griffes de l’ours russe, l’Occident, autrement dit les États-Unis, avait multiplié provocations, vexations et humiliations à l’égard de ce rival, à ses yeux affaibli, voire abattu, qui avait osé si longtemps menacer, contester et disputer l’hégémonie qui lui revenait de droit.

L’argument massue invoqué dans les premiers temps du conflit par les pays amis et soutiens de l’Ukraine était essentiellement la référence à « Munich » et, donc, à la lâcheté ou à la cécité des démocraties qui avaient laissé, sans lever le petit doigt, Hitler réoccuper la Rhénanie, puis dépecer la Tchécoslovaquie puis annexer l’Autriche puis envahir la Pologne. Il est parfaitement exact que, faute d’avoir arrêté le dictateur nazi lorsque ses moyens n’étaient pas à la hauteur de ses ambitions, au lieu de mener en 1935 la très simple opération de police qui aurait tué dans l’œuf le IIIe Reich, ce n’est qu’au prix exorbitant de quatre ans d’une guerre qui embrasa le monde, de cinquante millions de morts et de la mainmise du communisme sur la moitié de l’Europe, que les hostilités cessèrent et que, sous l’égide des vainqueurs et de l’ONU, s’ouvrit l’ère de paix, de justice et de bonheur que nous connaissons depuis 1945.

Les nuages s’accumulent à tous les horizons

L’aveuglement, le « somnambulisme » des dirigeants d’avant la Première Guerre mondiale n’avaient finalement fait que vingt millions de victimes, prix bien modique, et ouvert l’ère du déclin de l’Europe, qui ne l’avait pas volé. La guerre d’Ukraine, jusqu’à présent, n’a fait qu’un million de morts et de blessés et, militairement parlant, n’a pas débordé, stricto sensu, au-delà des frontières des deux adversaires en cause. Mais il faudrait être aussi aveugle que les politiques de 1914, aussi stupide que les dirigeants de l’entre-deux-guerres, aussi moutonnier et aussi partial que nos médias pour ne pas constater que les nuages s’accumulent à tous les horizons et que les décisions, les déclarations et les engagements pris par des responsables aussi irresponsables que M. Rutte, M. Biden ou M. Macron ne peuvent que transformer un conflit régional en affrontement international. Nous glissons inexorablement sur la pente qui a mené aux deux premières guerres mondiales, rendu inéluctable ce que l’on croyait inenvisageable et fait d’une éventualité absurde, folle et suicidaire une fatalité. L’ombre d’une guerre plus meurtrière et plus barbare que les précédentes s’étend sur le monde et le discours de M. Rutte, simple marionnette sur un théâtre où il croit être acteur, est révélateur d’une évolution qui s’accélère.

Nous avons glissé vers le rôle plus dangereux de cobelligérants...

D’abord simples spectateurs d’une guerre aussi exotique et aussi confortable à la suivre à la télévision que n’importe quel western ou que les guerres du Soudan, du Vietnam ou de Corée, nous sommes devenus les financeurs et les fournisseurs d’armes de l’Ukraine, au détriment de notre économie et de notre propre défense, puis, progressivement, par la fourniture de nos matériels les plus modernes et l’autorisation donnée à l’Ukraine de riposter à la Russie, puissance nucléaire, sur son territoire, nous avons glissé vers le rôle plus dangereux de cobelligérants, en puissance, en intention. Et, demain, en fait ?

Devant les informations, les images et les craintes qui nous parviennent aujourd’hui d’Ukraine, devant les menaces qui se précisent sur Taïwan et la tentation qui taraude visiblement les dirigeants européens, américains ou chinois de contribuer au troisième (et dernier ?) déchaînement de la folie sur le monde, me hantent ces derniers temps les paroles de la si belle et si lucide chanson de Nino Ferrer : « Un jour ou l’autre/Il faudra qu’il y ait la guerre/On le sait bien/On n’aime pas ça/Mais on ne sait pas quoi faire/On dit : c’est le destin/Tant pis pour le Sud/C’était pourtant bien… »

Les propos de M. Rutte reflètent un dérèglement du climat qui n’est pas, en l’espèce, météorologique. Ils anticipent, ils précipitent peut-être le danger que leur auteur prétend conjurer. Alors, tant pis pour l’Est, l’Ouest, le Nord et le Sud ?

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Dominique Jamet
Journaliste et écrivain Président de l'UNC (Union nationale Citoyenne)

Vos commentaires

55 commentaires

  1. Il devrait être clair pour tout le monde que :
    1/ Cette guerre fratricide entre la Russie et l’Ukraine , bien que dangereuse, ne nous concerne pas directement. Mais nous aurions pu, et nous aurions dû, agir diplomatiquement pour l’éviter : simplement en veillant à l’application des accords de Minsk.
    2/ Nous assistons pourtant depuis près de 3 ans à un côté particulièrement nuisible et dangereux de nos gouvernements, serviteurs zélés du gouvernement des Etats-Unis, mais semble-t-il peu soucieux des intérêts de leurs peuples. Depuis le début, Macron ne cesse de prendre parti pour l’Ukraine. On profite du fait que c’est la Russie qui a commencé la guerre, mais Poutine avait bien averti que faire entrer l’Ukraine dans l’OTAN, et installer ainsi des fusées américaines a proximité de la frontière russe était un casus belli et que la Russie ne l’accepterait pas. L’OTAN, c’est-à-dire les Etats-Unis, sont responsables de cette guerre, et nos gouvernants ne cessent de jeter de l’huile sur le feu, sans aucun intérêt pour nos pays, et au risque grandissant de déclencher une guerre mondiale.

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