[EXPO] Guillon-Lethière « né à la Guadeloupe » : métis mais pas martyr

Guillon-Lethière, La Patrie en danger (détail). © Samuel Martin
Guillon-Lethière, La Patrie en danger (détail). © Samuel Martin

Guillon-Lethière est né en 1760 en Guadeloupe et mort à Paris en 1832. Ce peintre a fait une carrière officielle avant de sombrer dans un relatif oubli. Grâce au musée du Louvre, qui expose en permanence deux de ses « machines » de 4 mètres sur 8 dans le Salon Denon (Brutus condamnant ses fils à mort et La mort de Virginie), sa vie et son oeuvre sont ravivées.

Loin d’être la société raciste qu’on nous décrit parfois, la France d’alors est accueillante à Guillaume Guillon-Lethière, sans se soucier qu’il soit le métis né d’un père français, procureur du roi, et d’une mère, esclave affranchie. Il fédère autour de lui des amis peintres comme Louis-Léopold Boilly et Ingres, qui a laissé de beaux portraits dessinés de trois générations de Lethière. Mais aussi toute une société créole à Paris, sous la houlette de Joséphine de Beauharnais (Alexandre Dumas Père, le peintre Benjamin Rolland…).

Guillon-Lethière, Vénus et Adonis, avant 1817. Huile sur toile. Musée des Beaux-Arts de Rouen. © Samuel Martin

Avec un art consommé de l’opportunisme, l’artiste va être, dans l’ordre requis, révolutionnaire, bonapartiste, monarchiste. Un rapprochement de titres assez parlant: La Liberté et l’Egalité unie par la Nature (1793), Portrait d’Elise Bonaparte (portrait officiel, 1806), Saint Louis visitant les pestiférés dans les plaines de Carthage (1822). La seule idée à laquelle il sera fidèle sera celle de l’abolitionnisme, d’où le grand tableau Le Serment des Ancêtres (1822), qu’il signe explicitement « g. guillon Le Thiere né à La guadeloupe » et qu’il offre au peuple haïtien. On y voit Pétion et Dessalines, le libérateur, puis dictateur et épurateur ethnique de Blancs et foncièrement hostile aux métis (ce qu’ignorait peut-être Guillon-Lethière, et ce que l’expo tait).

En raccourci, que fut la carrière de Guillon-Lethière ? Arrivé en métropole en 1774, il est élève de Descamps et de Doyen. Echouant au Prix de Rome, il obtient une bourse de pensionnaire à l’académie de France à Rome (1786-1791). Il accompagne celui qui est son protecteur, Lucien Bonaparte, en Espagne (1802-1804). En 1807, il est nommé directeur de la Villa Médicis à Rome. A ce sujet court une anecdote. On dit qu’il eut une mauvaise querelle avec des officiers dans un café parisien, ceux-ci reprochant au pékin qu’il était de porter moustaches ! Bretteur, il en blessa plusieurs et c’est grâce à l’intervention de Lucien Bonaparte qu’on l’exfiltra de Paris où il encourait la vengeance des militaires. Guillon-Lethière resta directeur jusqu’en 1816. Devenu membre de l’Académie des beaux-arts en 1818, il est nommé professeur à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1819.

Guillon-Lethière, Jeune femme s’appuyant sur un porte-feuilles, vers 1799. Huile sur toile, Worcester Art Museum, achat du musée 1954.21 © Samuel Martin

Quant à sa peinture, elle est fort inégale. Son Philoctète est puissant, mais Le Jugement de Pâris est fait de figures mal raccordées entre elles. Un plus petit Vénus et Adonis est meilleur, et Homère chantant son Iliade aux portes d'Athènes se défend bien. Dans l'ensemble, la rhétorique emphatique, étant si peu picturale, a mal vieilli. Le meilleur de Guillon-Lethière est dans ses portraits, qu'ils soient officiels (très beau portrait de Lucien Bonaparte) ou intimistes (Jeune femme s’appuyant sur un porte-feuilles, vraisemblablement une de ses élèves). Mais que de talent égaré dans La Fayette présentant Louis-Philippe au peuple de Paris (vers 1830-1831) !

A la fin de sa vie, l’académisme du peintre est critiqué. « MM. des beaux-arts en sont encore à la Mort d’Adonis, aux doléances de la simpiternelle (sic) Vénus, aux programmes mythologiques composés par M. Léthière », écrit Le Messager des Chambres en 1929. Au XXe siècle, la mémoire de Guillon-Lethière se maintient dans la célébration de « la Plus Grande France ». Lorsqu’en 1935 on fête le rattachement tricentenaire des Antilles à la France, L’Action française cite ses oeuvres parmi les plus remarquables, aux côtés de celles de Gauguin, de Chassériau et de Merwart. Au final, le parcours de Guillon-Lethière éveille davantage la curiosité que son oeuvre.

• Guillon-Lethière, né à la Guadeloupe. Jusqu'au 17 février 2025. Musée du Louvre, 9h-18h lundi, jeudi, samedi et dimanche.  9h-21h mercredi et vendredi. Fermé le mardi.

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Samuel Martin
Journaliste

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