[CINÉMA] Hiver à Sokcho, récit émouvant d’une quête identitaire

© 2024 OFFSHORE
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C’est un premier film qui ne manque pas de charme. Une histoire qui mêle à la fois quête identitaire, à l’heure de la mondialisation et de la banalisation des unions binationales, et manque lié à l’absence de figure paternelle. Un film qui, en définitive, reflète tristement les problématiques de notre époque.

Dans la petite ville balnéaire de Sokcho, dans la province de Gangwon, en Corée du Sud, Soo-Ha, la vingtaine, travaille dans une vieille pension pour touristes en tant que femme de ménage et cuisinière. Une orientation professionnelle qui ne correspond nullement à son cursus, elle qui a suivi des études de lettres à Séoul. Néanmoins, la jeune femme semble se plaire dans ce métier de contact qui lui fait rencontrer des individus venus du monde entier.

L’appel des origines

Un jour, un auteur français de bande dessinée, Yan Kerrand, vient à la pension louer une chambre pour une durée limitée ; il souhaite, en effet, s’imprégner de la ville et trouver l’inspiration pour son prochain album. Une occasion, pour la Franco-Coréenne Soo-Ha, de se frotter à une culture, à une mentalité qu’elle ne côtoie véritablement qu’à travers ses lectures. Car la jeune femme n’a pas connu son père français, parti peu avant sa naissance. Cette rencontre avec Yan Kerrand, proche de la soixantaine – l’âge que pourrait avoir son géniteur –, va exacerber, en elle, un sentiment de manque, ancré depuis toujours, au point, peut-être, de nourrir des attentes utopiques à l’égard de cet homme…

En portant à l’écran le roman Hiver à Sokcho, écrit par Élisa Shua Dusapin et publié en 2016, Koya Kamura aborde une thématique qui fait directement écho à son parcours personnel. Le cinéaste, né d’une union franco-japonaise, s’est naturellement reconnu dans le roman de cette Franco-Coréenne qui traite aussi bien la quête identitaire des individus issus du métissage entre deux cultures – et qui, par conséquent, n’appartiennent totalement ni à l’une ni à l’autre – que l’absence du père, trop souvent démissionnaire.

Un père introuvable

Sur ce dernier point, l’on note globalement que les personnages masculins du récit ne sont pas à la hauteur du rôle qu’ils sont censés occuper : le compagnon de Soo-Ha est narcissique au possible et immature ; quand le patron de la jeune femme, Monsieur Park, se défausse un peu trop sur elle des tâches ingrates, malgré une bienveillance manifeste.

Yan Kerrand, quant à lui, se révèle un animal sauvage, indomptable, qui parcourt le monde en solitaire pour développer ses sens et assouvir sa passion artistique. Les attentes de Soo-Ha à son égard – qu’il ne devine que trop bien – n’ont pas leur place dans ce schéma. Le spectateur français sera sans doute peiné de l’image véhiculée de la France à travers ces hommes – Kerrand, mais aussi le géniteur de l’héroïne – foncièrement individualistes, centrés sur eux-mêmes, détachés sentimentalement et, quelque part, superficiels, mais n’est-ce pas ce que nous sommes devenus, aux yeux du monde, au cours du siècle passé, avec notre universalisme de pacotille et nos idéaux libertaires ? Quel dialogue peut-on alors espérer avec les sociétés asiatiques, holistes et confucéennes, dans lesquelles l’électron libre, l’Occidental, est observé avec méfiance ?

Le combat intérieur

Soo-Ha aura bien du mal à maintenir ce dialogue avec Yan Kerrand et à trouver un compromis entre ses deux cultures d’appartenance ; peut-être, nous dit-on, devra-t-elle songer à faire le deuil de cette part française inconnue – la question demeure.

Pour figurer les états d’âme tumultueux de la jeune femme autrement que par le biais d’une voix off héritée du roman, le cinéaste a eu recours à des séquences d’animation réalisées par Agnès Patron. Une prise de risque qui est à porter à son crédit, bien qu’elle ne puisse objectivement restituer toute la finesse de la littérature. En somme, un premier film prometteur pour Koya Kamura, qui donne envie de nous pencher davantage sur les écrits d’Élisa Shua Dusapin.

 

4 étoiles sur 5

 

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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