Mark Zuckerberg vire ses « vérificateurs », qui ont trop « censuré »

Capture écran Mark Zuckerberg sur Facebook
Capture écran Mark Zuckerberg sur Facebook

Mardi 7 janvier. Mark Zuckerberg diffuse une vidéo doublée d’un communiqué écrit, annonçant que sa société Meta va opérer des changements dans la politique de modération des contenus de ses réseaux sociaux Facebook et Instagram, comme l'annonçait récemment BV. Il declare aussi qu’en conséquence, il met fin au contrats passés avec ses partenaires vérificateurs d’information (fast-checkers) partout dans le monde. Ces contrats, qui avaient été passés en 2016 (au moment de la première élection de Donald Trump), devaient être prorogés en 2026.

Messieurs les censeurs, bonsoir !

Pour le patron de Meta, les médias vérificateurs ont trop « censuré » et sont « politiquement biaisés. » En fait, Mark Zuckerberg avait déjà commencé à faire un mea culpa l’été dernier. En pleine campagne présidentielle américaine, dans un courrier adressé au Congrès américain et daté du 26 août, il révélait que l’administration Biden avait « fait pression sur [ses] équipes pendant des mois pour qu’elles censurent certains contenus liés au Covid-19. » Il ajoutait que cette « pression du gouvernement était une erreur […]  Je regrette que nous n’ayons pas été plus francs à ce sujet. »  A l’évidence, le patron de Meta considère aujourd’hui que c’est le système de la vérification qui est en cause, dans son principe même. A-t-il senti que la réélection de Donald Trump ouvrait une nouvelle ère, dans laquelle le système de contrôle des contenus en ligne par des médias très marqués à gauche serait une contre-publicité susceptible de fragiliser l’existence même de Meta ? Quoi qu’il en soit, dans sa vidéo du 7 octobre, il annonce le remplacement des partenariats avec des médias vérificateurs par un système de notes d’internautes. Système qui ressemble furieusement sur son principe à ce qu’a mise en place Elon Musk depuis qu’il a repris Twitter, devenu X. Il annonce aussi un changement d’orientation tous azimuts, qui remet par exemple en cause les programmes de « diversité » dont sont si friands les milieux wokistes. Explication : « le paysage juridique et politique autour des efforts de diversité, d’équité et d’inclusion aux États-Unis est en train de changer ». Le vent tourne, Mark Zuckerberg vire donc de bord, estimant que ses réseaux doivent correspondre aux attentes de l’air du temps.

Policiers et juges à la fois

Exit, donc, ces « fast-checkers », qui géraient ces dernières années l’ensemble du système de contrôle des contenus diffusés sur Facebook et Instagram. Meta leur sous-traitait la « vérification » des informations, au sens très large, donc pas seulement leur véracité, mais aussi leur contextualisation, les mots employés, leur « validité » dans un registre politiquement correct… celui-là même que Mark Zuckerberg juge aujourd’hui « politiquement biaisé ». Mais la mission des vérificateurs allait plus loin, puisqu’au-delà de « l’enquête de police », ils sont aussi juges. A eux de décider si sanction il doit y avoir et laquelle, le catalogue allant du simple avertissement à la suppression du compte, en passant par de nombreuses peines intermédiaires. Bref tout un système avec lequel le fondateur de Facebook veut désormais rompre parce qu’il a trop « censuré ».

Qui sont ces vérificateurs aujourd’hui répudiés pour avoir collaboré avec trop de zèle ? Des dizaines de sociétés de presse intervenant dans la plupart des pays du monde, à l’exception de la Chine, de la Corée du Nord, de la Fédération de Russie et autres États dits BRICS. Ces médias sont regroupés au sein de l’International Fact-Checking Network (IFCN), un réseau spécialisé dans la vérification, créé en 2015 par l’organisation non gouvernementale américaine Poynter. En France, Le Monde a fait partie des vérificateurs jusqu’en 2022 via Les Décodeurs, une organisation dédiée. Et quatre organisations font partie intégrante de l’IFCN : Libération, qui a créé son propre service baptisé CheckNews, 20 Minutes Fake off, France 24 observateurs, Les Surligneurs, et l’agence de presse AFP avec un service spécifique employant une centaine de personnes dans le monde : AFP Factuel. Autant de contingents de vérificateurs qui gonflaient jusqu’à aujourd’hui les effectifs, le chiffre d’affaires et le pouvoir d’influence de ses médias. Une « diversification » juteuse, donc, et entièrement et grassement financée par Meta. Combien cela leur rapporte-t-il ? Difficile à savoir, même si Libération avance un gain total de 245.000 dollars en 2018 pour 249 articles vérifiés et entrés dans la base de Facebook, soit un millier de dollars par article.

Liberticides décontractés

Mais ces jackpots risquent fort de se transformer désormais en autant de plans sociaux. Ce qui explique les réactions qui ont immédiatement suivi la sortie vidéo de Mark Zuckerberg. L’IFCN s’est fendue le 9 janvier d’une lettre ouverte au patron de Meta, où un « Cher Monsieur Zuckerberg » précède un long plaidoyer qui relate neuf ans de fast-checking pour en tirer un bilan évidemment aussi riche que flatteur, « un grand pas en avant pour encourager l'exactitude factuelle en ligne », et se défendre des reproches du destinataire : « Les médias fact-checkers ont toujours travaillé sans biais politiques. Les attaques qui suggèrent le contraire viennent souvent de personnes qui pensent qu’elles devraient pouvoir mentir sans être réfutées ou contredites. » Contactés par BV, Libération n'a pas daigné répondre, et l'AFP nous a renvoyé à la lettre ouverte de l'IFCN, refusant tout commentaire.

D’autres, qui ne sont pas ou plus impliqués dans l’affaire et ne risquent donc rien, se montrent beaucoup plus virulents, justifiant au passage par cette hargne l’accusation de censeurs « politiquement biaisés » que leur adresse Mark Zuckerberg. Ses propos seraient « une reprise parfaite du discours d’Elon Musk et de Donald Trump » selon Julien Pain, rédacteur en chef à France Télévisions et ancien partenaire de Meta pour le fact-checking avec Vrai ou Faux. Et pour le directeur général de Reporters sans frontières, Thibaut Bruttin, « au-delà de la “muskification” de Meta et de Mark Zuckerberg, cette annonce montre bien le changement de paradigme : les rares avancées par Facebook vis-à-vis du fact-checking, pas toujours efficaces, qui avaient été consenties jusqu’ici vont disparaître ».

Il y a plus de deux siècles déjà, les censeurs d'alors, autoproclamés défenseurs de la liberté, nous expliquaient déjà qu’il ne devrait pas y avoir : « de liberté pour les ennemis de la liberté. » Y-aurait-il dans l’air, en cette aube de 2025, un petit fumet de thermidor ?

Vos commentaires

5 commentaires

  1. C’est très bien, mais j’ai un doute. M. Zuckerberg agit il par conviction ou par opportunisme? Parce que si on ne peut pas accuser Elon Musk qui a instauré ces principes alors que c’était à contre courant, on peut en douter pour Zuckerberg qui suit le vent soufflé par Trump…

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