Ça valse à gauche : comment se dépêtrer du cas Bertrand Blier ?
Ce mercredi, le metteur en scène Bertrand Blier avait les honneurs de l’église Saint-Roch, à Paris, là où ont traditionnellement lieu les funérailles des acteurs. L’occasion, pour le père Luc Reydel, aumônier des artistes du spectacle depuis 2017, d’emprunter ce mot d’auteur au défunt : « On n’est pas bien, là, paisibles, à la fraîche, décontractés de l’esprit. Et on croira quand on aura envie de croire. » La foule, bien maigre (à peine plus de deux cents personnes), qui connaît évidemment ses classiques, ne peut que songer à cette fameuse réplique issue des Valseuses (1974), même si livrée ici avec quelques aménagements, la version originale faisant état de décontractés « du gland ».
Et notre prêtre d’évoquer la mémoire de ce « boutefeu goguenard du cinéma français, homme du verbe et trublion de la culture ». Comme portrait craché, on a vu plus mal troussé. Bref, l’humour n’est pas absent du discours, alors que Gérard Depardieu était « absent dans tous les esprits » et surtout de la cérémonie, à en croire Paris Match.
À croire que la grande famille du cinéma français puisse faire preuve de moins de grâce que cet estimable abbé. Il est vrai que la carrière de Bertrand Blier n’a jamais laissé personne indifférent, tel qu’en témoigne la polémique suscitée par la sortie de ces mêmes Valseuses. Jean Domarchi, de la très snob revue Écran, y voit « un film authentiquement nazi », tandis que Jean Baroncelli, du Monde, joue en retrait, se contentant de ce très prudent commentaire : « Un film en forme de bourrasque auquel on ne résiste pas. » Et la presse de droite ? Interrogé par nos soins, Michel Marmin, longtemps critique cinéma de Valeurs actuelles, se souvient : « J’avais aimé le film. Mais il était de ceux, telle La Grande bouffe (1973), qui n’étaient alors pas toujours faciles à défendre dans la presse de droite. Pourtant, ce film de Marco Ferreri était une assez belle allégorie de la société de consommation qui, justement, aurait pu plaire aux lecteurs de droite à l’ancienne… » Et de conclure : « Je crois que Bertrand Blier a toujours été un grand incompris. Je crains même qu’il n’ait jamais été compris du tout. » Pas faux.
Avec le recul, Éric Neuhoff, qui n’est pas précisément un gauchiste acharné, écrit, dans Le Figaro, pour le cinquantenaire du film : « La critique éructa. Bertrand Blier fut accusé de tous les péchés, misogynie, sexisme, grossièreté. Le film avait un rythme, un ton qui n’étaient qu’à lui. En le revoyant, on y découvre une mélancolie camouflée sous l’argot, un désespoir qui n’ose pas dire son nom. Il s’agit d’un Orange mécanique version rigolarde […] Depuis, Dewaere est mort, Depardieu est au bout du rouleau. Blier ne tourne plus. Les beaufs avaient du talent, dans les années 1970. »
Après, on ne saura jamais si le défunt était de gauche ou de droite. Mais au moins, un fait est avéré : il ne se prenait pas au sérieux. Ainsi, quand le livre éponyme sort, quelques années avant le film, Minute y voit « un tombereau d’immondices », il se sert de ces quelques mots au lieu de porter plainte contre cet hebdomadaire. À l’époque, les rebelles ne se plaignaient pas ; ils assumaient et, surtout, se marraient.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, Bertrand Blier cause bien plus de malaise chez cette gauche cléricale qu’en cette droite buissonnière. La preuve par Olivier Maulin, écrivain délicieusement réactionnaire. Ce chroniqueur littéraire à Valeurs actuelles est un grand fan du cinéaste en général, et des Valseuses en particulier. À gauche, en revanche, le malaise est persistant. Car bon an mal an, et peut-être à leur corps défendant, l’homme est aussi, un peu, leur créature. Celle du jouir sans entraves et du grand chambardement de Mai 68. Sauf que, voilà, Bertrand Blier entendait ne pas être un peine-à-jouir, chambardant à son aise les convenances d’alors, celles du conservatisme catholique, mais aussi du MLF. Il n’avait pas pu prévoir que ceux qui jetaient alors leur gourme allaient devenir les plus frileux des bourgeois, prompts à rougir du moindre « dérapage ». Un peu comme ces vieilles tantes à moustaches qui, jadis, frémissaient d’honneur pour peu qu’on ait prononcé le mot de Cambronne lors du déjeuner dominical. Comme quoi les plus coincés ne sont désormais pas forcément ceux que l’on croirait.
Là où il est, nul doute que Bertrand Blier savoure la chose. Et, histoire de mettre tout le monde d’accord, rappelons que la musique des Valseuses, signée de l’immense Stéphane Grappelli, est tout simplement sublime.
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Un commentaire
C’est maladif de vouloir toujours classer politiquement les gens soit à droite, soit à gauche. Classons simplement Bertrand Blier parmi les gens de cinéma : il était un grand metteur en scène. Point Final !