Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture… ou au Musée de l’agriculture ?

Emmanuel Macron au SIA en 2024. Photo by Ludovic MARIN / POOL / AFP
Emmanuel Macron au SIA en 2024. Photo by Ludovic MARIN / POOL / AFP

Salon de l'agriculture, le retour. Seule modification : la sécurité est un peu renforcée pour éviter les mouvements de colère inopportuns…

Comme chaque année, dans la paille et les effluves d’aligot, le Président et les ministres vont défiler, en rang d’oignons, pour flatter le cul des vaches et les paysans en les assurant, d’une voix mouillée et d’une poignée de main appuyée, de leur indéfectible empathie.

Sur leur passage, les accordéons jouent une bourrée, mais il faut être sourd pour ne pas entendre l'autre petite musique en fond : c’est la pavane pour une agriculture défunte. De dérogations en fonds d’urgence, les mesures prévues par le projet de loi agricole qui vient (enfin) d'être voté s’apparentent à des soins palliatifs : c’est moins brutal que l’euthanasie immédiate, mais on en connaît l’issue. Nos paysans sont condamnés.

Métiers en tension

Sans compter qu’on leur vend au passage, comme un merveilleux cadeau, l’inscription de leur activité dans la liste des métiers en tension. Certains viticulteurs ou maraîchers, ne voyant pas plus loin que le bout de leur fourche, vont sans doute, à court terme, se réjouir comme d’une manne de cette arrivée facilitée d’une main-d’œuvre extra-européenne. Sauf que même en tirant au maximum les salaires à la baisse pour les migrants - en flux continu, car le temps durant lequel, peu habitués aux standards français, ceux-ci acceptent de se faire exploiter est court -, ils n’arriveront pas à concurrencer des pays aux charges et rémunérations dérisoires. Mais ils auront été les idiots utiles du projet d’installation de l’immigration dans les campagnes appelé de leurs vœux tant par Jean-Luc Mélenchon qu’Emmanuel Macron.

Hasard du calendrier, le chauffard sous OQTF qui a tué, sur un barrage l’an passé, Alexandra Sonal, agricultrice dans l’Ariège, et Camille, sa fille de 12 ans, était jugé cette semaine. Il a écopé de 5 ans de prison… combien en fera-t-il, réellement ? Pour la famille, en revanche, pas d’aménagement de la peine, dans tous les sens du mot.

Une partie de la défense a fait sortir de ses gonds (et de la salle) l’époux d’Alexandra et le père de Camille, Jean-Michel Sonac. Comme pour déresponsabiliser le chauffard, l'avocat explique que s’il n’y avait pas eu de gronde sociale et si l’OQTF avait été mise en œuvre par l’État, son client n’aurait tué personne. On comprend que « l’excuse » ait révolté le mari… À quand des OQTF poursuivant l’État pour non-expulsion ? Mais dans les allégations de l’avocat, il y a cependant un fond de vrai : ce double drame est à la confluence de deux impérities : migratoire et agricole. Et ce point de jonction porte un nom :  mondialisation. C’est la libre circulation des biens - qui étrangle les paysans par une concurrence déloyale et a poussé Alexandra Sonac à aller manifester -  et des personnes - cet Arménien sous OQTF n’aurait jamais dû être là - qui se télescopent et se cumulent ici. On dit souvent que la politique folle de l’Europe depuis des dizaines d’années assassine nos agriculteurs. On peut le répéter ici, au sens propre comme au sens figuré.

Le Mercosur pour marteau, l'Ukraine pour enclume

Emmanuel Macron, qui déambulera demain matin, a été incapable de contrer le Mercosur et il ne faut pas compter sur lui, bien sûr, pour s’opposer à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Il court même devant !

Alors que se construit l’accord de paix sur l’Ukraine, le porte-parole du Kremlin a accordé, le 18 février, le « droit souverain » de l'Ukraine à adhérer, non pas à l’OTAN - cela, c’est inenvisageable pour la Russie -, mais à l’Union européenne. Les deux parties, tels deux amants éperdus, l’appellent de leurs vœux depuis si longtemps, c’est donc accordé ! Le « mage du Kremlin » est bon prince… mais le prince de Machiavel, car ce cadeau-là est une tunique de Nessus. Une bombe à retardement qu'il jette, sans avoir l’air d’y toucher, dans les pattes d’un continent masochiste consentant et même demandeur, et d’un pays (le nôtre) qui promettait de mettre son économie à genoux. Ce sera le prix de consolation de l’Ukraine, mais pourquoi serait-ce aux agriculteurs de le payer ? Le processus est déjà enclenché. On apprend par le député européen RN Gilles Pennelle - mais la gronde a gagné jusqu’aux rangs du PPE - que la commission européenne fait voter (à huis clos) la pérennisation (jusque-là censée être reconduite chaque année) de l’accord commercial signé avec l’Ukraine au moment de l’attaque russe. Cela concerne les céréales, bien sûr, mais aussi la filière du sucre et des poulets, qui vont se trouver prises en tenaille entre Mercosur et Ukraine.

De quoi consolider la fortune (qui n’en a nul besoin) du milliardaire Yuriy Kosyuk, à la tête de la société MHP, cotée à la Bourse de Londres, qui détient 80 % des exportations de volailles, écoulées notamment - c'est plus discret - dans les plats cuisinés. Pour compléter le tableau, le « roi du poulet ukrainien » vit à Chypre ; on est donc très loin du pauvre paysan ukrainien spolié par des années de conflit. Même Emmanuel Macron l’avait épinglé en marge d’un sommet européen. En entrant dans l’Europe, par ailleurs, l’Ukraine captera immédiatement 95 milliards d’euros de la PAC en primes directes qui s’accordent par hectare (baisse de 20 % de la quote-part des 27 autres pays).

Le Maroc en invité d'honneur

(Tomate-)cerise sur le gâteau, le Maroc est l’invité d’honneur de ce Salon de l’agriculture. Véronique Le Floch, présidente de la Coordination rurale, dénonce ce qu’elle appelle une « énième provocation » : « 69 % des tomates consommées en France viennent du Maroc, et notre déficit commercial avec eux, incluant toute la tomate, atteint presque un milliard », fulmine-t-elle. Cette présence s'expliquerait par la lune de miel que vivent les deux pays depuis la reconnaissance du Sahara occidental. Et il faudrait donc nécessairement offrir l'agriculture dans la corbeille de la mariée ? Là encore, elle est sacrifiée sur l'autel de la géopolitique. Pourquoi ?

En mémoire d'Alexandra et de Camille, qui va se battre pour que le Salon de l'agriculture ne se mue pas, lentement, en Musée de l'agriculture ?

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

53 commentaires

  1. MERCOSUR 2

    D’après un « bandeau-info » de LCI, Macron au salon aurait dit « Le Mercosur est un mauvais texte tel qu’il a été signé ».
    On aurait compris qu’il dise « tel qu’il a été rédigé ». Mais Ursula , veillant, lui aurait donné, pour le moins, quelque coups de règle sur les doigts.

  2. Quelle hypocrisie abjecte. Mais qui peut-encore croire ce mauvais bateleur ?
    C’est incroyable qu’un grand et beau pays comme la France berceau d’une agriculture aux produits si délicieux soit tombé si bas et si vite.
    Cette fois-ci il faudra un miracle ou alors une personnalité providentielle, Jeanne d’Arc, Clemenceau, De Gaulle l’ont été. L’espoir demeure.

  3. bravo madame cluzel! vous etes la seule a avoir cité l’ukraine,comme par hasard les autres médias n’en parlent pas et pourtant le plus grand danger pour notre agriculture vient de là.vous devriez en parler sur cnews(si c’est autorisé).

  4. Macron parle, mais ce ne sont que des mots puisqu’il laisse Van Der Leyen faire ce que bon lui semble. La ministre n’a aucune efficacité, sa seule préoccupation est de conserver son mandat. Aucune empathie pour ceux qui souffrent.

  5. MERCOSUR

    D’après un « bandeau-info » de LCI, Macron au salon aurait dit « Le Mercosur est un mauvais texte tel qu’il a été signé ».
    Se rend-on bien compte que cette phrase n’a aucun sens logique ou grammatical ?
    Le seul sens plausible est : « de la manière que (ou dont) ». Prendre un stylo à bille aurait rendu le texte mauvais ce qui n’aurait pas été le cas avec un stylo à plume.

    La voiture X est une mauvaise voiture telle que je l’ai achetée. Sic?

    Ne serait-ce pas moins « tordu » de dire « Le Mercosur est un mauvais texte : il n’aurait pas du être signé ».

  6. Macron menteur invétéré, qui peut accorder quelque crédit à sa parole. Seule son image l’intéresse et il la croit belle. Il se rêve empereur d’Europe donnant la leçon à Des Trump, Poutine…… Preuve que son cerveau est plutôt limité. Pour moi la Russie fait partie du vieux continent. Qu’ont donné les sanctions?! L’Ukraine menée par un pitre nous ruine, nous ridiculise en nous faisant les poches mais Macron fait le beau!
    Evidemment je n’ai pu lire cet article sans un pincement au coeur au nom de Chypre où je suis allée durant une trentaine d’années. Une île magnifique mais combien j’ai souffert à chaque pèlerinage au mur de Nicosie, barbelés et casques bleus espérant une réunification. J’ai compris quand le mur s’est fendillé (à l’époque droit de passage une livre, au bout d’une petite 1/2h nous étions de retour plus que mal à l’aise).
    Actuellement la république turque du nord de Chypre autoproclamée et reconnue par la seule Turquie. Chypre état membre de l’UE a environ 30% de son territoire occupé et non ce ne sont pas les chypriotes d’origine turque mais des Anatoliens qui ont été installés. Par ailleurs Chypre a changé, l’argent de la mafia russe, la venue de ressortissants des pays de l’Est comme on disait : vols , et même crimes ce que ce petit coin de paradis ignorait. Situation géographique intéressante pour nombre de puissances. Quand était évoqué une entrée possible de la Turquie dans l’UE j’avais interpellé F. Hollande. Réponse il n’y aura pas cela de toute façon sans un référendum! On ne parle plus de cela, de l’occupation de Chypre non plus.

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