Brian Jones, le Rolling Stone peu connu qui ne gagne pas forcément à l’être

Sherbell Jones Cooper 1967.jpg
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Brian Jones et les Rolling Stones, le film de Nick Broomfield, documentariste chevronné et contemporain des événements alors qu’il n’était qu’adolescent, fait figure de sensation du moment. En effet, Brian Jones est le fondateur historique du fameux groupe anglais, allant jusqu’à trouver leur nom, même si emprunté à la chanson Rollin’ Stone de Muddy Waters, le légendaire bluesman qu’on sait.

L’homme en question, mort à 27 ans, noyé dans sa piscine, avait un atout majeur, le seul, peut-être : la beauté, même si elle ne durera pas, et un casque de cheveux blonds dont s’inspira tôt une certaine Annie Gautrat, plus connue sous le sobriquet de Stone ; avec ou sans Charden. Son rayonnement artistique aura donc été avant tout capillaire, contrairement à la légende entretenue par une certaine critique rock française faisant de Brian Jones une sorte de génie romantique, tant incompris que tourmenté. Le snobisme fait parfois tomber dans bien des panneaux ; ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de Nick Broomfield, qui reconnaît dans Le Point : « Je me suis interrogé sur les raisons pour lesquelles il était devenu un tel con, alors qu’il pouvait se révéler un être charmant. »

Connu pour être violent avec les femmes, il eut trois enfants illégitimes qu’il abandonna alors qu’il était encore mineur. Certes, le rock anglais des sixties n’avait rien d’une abbaye cistercienne, mais un Mick Jagger, lui, au moins, reconnaîtra toute sa progéniture parallèle, tout en s’en occupant, comme un véritable père. Il est donc possible d’être un aspirateur à groupies sans forcément se comporter tel le dernier des sagouins.

Voilà pour l’artiste, côté cour. Côté rue, une légende tenace persiste à le faire passer pour « un multi-instrumentiste de génie », bobard une fois encore assené, à l’occasion de la sortie de ce documentaire, par le magazine Elle, qui devrait se contenter de parler chiffons plutôt que musique de grands.

Il est vrai que Brian Jones jouait un peu de guitare, un peu de piano et parvenait, parfois, à sortir trois notes d’un saxophone. Fort bien ; mais ce n’était pas Eric Clapton, pas plus que Fats Domino ou Charlie Parker, loin s’en faut. Bref, il excellait plus dans le faire-savoir que le savoir-faire. Ah si, on allait oublier : il pouvait gratter quelques rudiments de sitar. Mais dans le genre, George Harrison, des Beatles, était autrement plus convaincant.

Pour le reste, au risque de faire s’étrangler les gardiens du temple, on rappellera que Brian Jones ne savait pas chanter et se montra parfaitement incapable, sa courte carrière durant, d’écrire la moindre foutue chanson. D’où, aussi, son image de martyr des Rolling Stones qu’un Mick Jagger et un Keith Richards auraient en permanence persécuté. Mais eux, au moins, produisaient alors des tubes à la pelle, et le guitariste à la tête de pirate, même naviguant à vue sur une mer de bourbon et une seringue plantée dans chaque bras, n’a jamais foiré un concert, alors que Brian Jones était connu pour monter sur scène une fois sur trois dans ses moments les plus assidus. L’un avait du métier, de la conscience professionnelle ; l’autre pas.

Ce que souligne d’ailleurs opportunément Nick Broomfield : « Mick Jagger est tellement motivé, habité, sérieux, surhumain en un sens, comme Keith Richards d’ailleurs. Il ne comprend pas les gens qui ne font pas preuve de la même volonté, même parmi ses enfants. » Ce qui explique sûrement pourquoi les Rolling Stones, même octogénaires, sont toujours en activité, après plus de soixante ans de carrière. Dans le cas de Brian Jones, il y eut certes l’alcool et la drogue, qu’il supportait manifestement moins bien que Keith Richards. Après tout, c’était son problème, mais cela ne contribua en rien à un génie dont il était par ailleurs totalement dépourvu. N’est pas Jimi Hendrix qui veut. Car lui était un authentique génie ayant révolutionné l’art de la guitare électrique, doublé d'un excellent chanteur et d’un immense compositeur ; il suffit d’écouter Little Wing et Purple Haze pour s’en convaincre. Et c’est malgré cette drogue, qu’il prenait pour supporter le rythme infernal des tournées et des enregistrements, que génie il fut.

À ce titre, il est désolant que tant de journalistes se soient entêtés, des années durant, à considérer Brian Jones comme un artiste majeur ; ce qu’il n’était pas, n’en ayant ni les épaules et encore moins la cervelle. C’était juste un pauvre type malheureux dont Keith Richards disait : « Je ne pense pas que vous trouverez jamais quelqu’un qui ait apprécié Brian Jones. Ce n’était pas un type aimable. Il était tellement complexé qu’il ne savait pas où se pendre. Alors, il s’est noyé. »

On a décidément les icônes qu’on peut.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

8 commentaires

  1. J’ai entendu hier, dans Clap, je crois, l’exact contraire de ce que vous avancez, Nicolas Gauthier. Je n’ai pas d’avis tranché sur la question, alors je ne vous ferai pas de reproches. Mais je vais écouter les morceaux de Jimi Hendrix que vous mentionnez.

  2. Vous êtes un peu sévère avec Brian Jones ! Il est pour moi indissociable de la première partie de l’épopée du groupe .
    Je pense d’après ce que j’ai lu qu’il était plus un arrangeur qu’un compositeur , et de plus un touche à tout instrumental qui a donné une certaine couleur et originalité
    aux premières compositions des Stones jusque vers la fin. Même si à ce moment il n’était pas prépondérant dans la marche du groupe , il y avait toujours cette touche Brian Jones , jusqu’à » Beggars Banquet » et
    « Let it bleed ». D’ailleurs Le disque « Sticky fingers  » donne un tout nouveau ton à la musique des Stones et entérine le tournant du groupe avec Mick Taylor à la guitare .
    Ce sera une seconde phase du groupe , qui donnera quelques très bons disques, le virage sera achevé avec le guitariste Ron Wood un transfuge du groupe  » the Faces  » ,qui sonnait déjà très Stones et pouvait ,donc ,parfaitement seconder Keith Richard .sur scène .
    Ce sera tout de même ce groupe anglais qui me fera préférer la pop anglaise à la variété française avec un titre écouté un 45 tour de la marque Decca  » Satisfaction » ..
    Avant c’était Johnny qui était notre idole que je n’ai jamais renié puisque c’est un peu lui qui nous avait initié à ce qui nous paraissait tellement nouveau à l’époque .

  3. Merci, ami Nico. Mais soulignons qu’en matière de carrière basée davantage sur le plumage que sur le ramage, une certaine Porte californienne a fait encore plus fort: Jim Morrison ne savait pas chanter, ses mélodies se limitaient à trois notes, les compères Manzarek-Krieger-Densmore devaient accomplir des miracles pour maintenir le tempo et son recueil de poésies « an american prayer » contient trente fois moins de signes qu’un bouquin de Françoise Sagan. Malgré cela, les Doors auront été un authentique très grand groupe, la part d’âme que chacun apporte à l’édifice n’a que peu à voir avec la prouesse technique, voir Ringo Starr avec le Fab-Four.
    Sinon, espérons que Nico n’attendra pas la mort de Dylan pour nous concocter un topo sur un groupe éphémère et dont l’existence à elle seule a tenu du miracle: Travelling Wilburys.

    • Cher Jacksoul, vous avez parfaitement raison à propos de Jim Morrison, même si les Doors ont tout de même pondu de sacrées grandes chansons. Mais ce guignol en cuir noir, avec ses poèmes adolescents acnéïques, quel suppositoire… Quant à Bob Dylan, je ne suis pas un immense fan non plus, hormis Knockin’ On Heaven’s Door et quelques autres classiques. En revanche, l’homme avait ses côtés marrants. Dans le premier tome de ses mémoires inachevés, il cite un certain Barry Goldwater avec le plus grand respect tout en se moquant des hippies. Mais n’anticipons pas, M. Robert Zimmerman est encore de ce monde !

    • Il a effectivement été viré. Mais pour lui permettre de ne pas perdre la face, la version officielle fait état d’un départ volontaire, suite à un bref communiqué de Brian: « La musique des Stones ne me plaît plus. Je quitte le groupe pour créer ma propre musique ». Lors de ses funérailles, où Mick récite le fameux poème de Shelley (« Il n’est pas mort, il ne dort pas. Il s’est juste réveillé du rêve de la vie ») son remplaçant, Mick Taylor, meilleur guitariste que les Stones aient jamais eu, était déjà solidement en place.

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