[LE GÉNIE FRANÇAIS] Pomme de terre : tubercule du diable et prince des légumes

Une certaine agriculture se porte très bien, dans l’Hexagone. En 2024, la France est le premier exportateur mondial de pommes de terre. Et le huitième producteur derrière la Chine, l’Inde, la Russie… C’est la troisième culture la plus consommée, après le riz et le blé. Soit par un milliard d’humains. Ce légume longtemps méprisé a suivi un long parcours du combattant avant d’être adopté « sur toute la Terre ».
Vive le roi !
Il faut revenir à l’Ancien Régime ! Louis XVI était un passionné de sciences, et scientifique lui-même. Son dernier mot adressé à son bourreau sur l’échafaud n’a-t-il pas été à l’intention d’un explorateur perdu en mer : « A-t-on des nouvelles de Monsieur de Lapérouse ? » Il a également entretenu un des joyaux de Versailles, le potager du roi, vitrine du savoir-faire français en horticulture, toujours d’avant-garde depuis le Roi-Soleil.
C’est sous terre, donc c’est l’enfer
C’est bien à Louis XVI qu’on doit le succès de la pomme de terre et au savant que le roi a su écouter : Antoine Parmentier (1737-1813). Pharmacien militaire, agronome, nutritionniste, Parmentier est un précurseur de la chimie alimentaire et de l'agrobiologie. Il est célèbre pour avoir, seul contre tous, promu la consommation de la pomme de terre, qui était considérée alors comme une œuvre du diable. « C’est sous terre, c’est donc l’enfer. »
Avant lui, Olivier de Serres, père de l’agriculture moderne sous le règne d’Henri IV, avait, le premier, tenté la promotion de la culture de la pomme de terre, alors qu’elle avait très mauvaise réputation, accusée d'être insipide et même de transmettre de graves maladies. Le succès de son livre n’aura pas suffi.
Des Incas aux Conquistadors
Tout commence au XVIe siècle. Les Conquistadors espagnols rapportent du Pérou les premiers spécimens de ces patates (patata, en espagnol) qui existaient depuis plusieurs millénaires, cultivées par l’Empire inca.
Au XVIIIe, les famines ravagent l’Europe. On cherche des aliments de substitution faciles à cultiver. Et le tubercule commence à s’imposer jusqu’en Russie, car il s’adapte à toutes les terres et à toutes les températures. La pomme de terre est adoptée dans les campagnes, mais reste encore dédaignée dans les villes.
En 1756, lors de la guerre de Sept Ans, Parmentier est capturé par les Prussiens et obligé de partager l’alimentation des prisonniers : une bouillie de pomme de terre quotidienne. Le nutritionniste juge, paradoxalement, ce tubercule parfait pour la consommation. Dès qu’il est libéré, il se penche sur cet aliment qui le passionne et réalise plusieurs expériences. Il est désormais convaincu de l’avenir prometteur de la « patate ». Il faut maintenant persuader les autres.
Un horticulteur de génie
Parmentier est aussi vulgarisateur, journaliste, auteur et… expert en communication avant l’heure. Lui vient une idée qui va faire merveille : organiser des repas avec des savants et des personnalités publiques, redorant ainsi l’image de la pomme de terre.
On se moque encore de ses plantations dans la plaine aride de Neuilly-sur-Seine, près de Paris, mais pas pour longtemps. Lui sait que la pomme de terre aime ces terrains sablonneux (tel celui des Sablons, un quartier connu de la ville). Lorsque les tiges sortent de terre, puis les fleurs bleues et blanches à pistil jaune, la population est émerveillée. Le roi vient en personne assister à la récolte. Avec son soutien, Parmentier triomphe définitivement des préjugés. Les fleurs de pomme de terre ornent encore aujourd’hui le blason de la ville de Neuilly. Et un tableau en témoigne à la mairie. En félicitant le génie de l’alimentation, Louis XVI lui aurait déclaré : « Le royaume vous remerciera un jour d’avoir trouvé le pain des pauvres. »
Qui donc a inventé la fameuse frite ?
Plusieurs pays se disputent la création de la pomme frite. Belge, espagnole, irlandaise… ? Selon les uns, french signifierait, en vieil irlandais, « coupé en morceaux », d’où french fries. Pour d’autres, étant une spécialité nationale, la frite ne peut être que d’origine belge. En réalité, la frite serait née dans les rues de la Ville Lumière des mains des marchandes de beignets. Ces vendeuses de friture installées sur le Pont-Neuf à Paris seraient les premières à avoir eu l'idée de plonger des pommes de terre dans de l'huile de friture. D’où leur nom « pommes Pont-Neuf », dites aussi pommes allumettes, pailles, bataille... Par la suite, leur succès a décliné à Paris, alors que la Belgique en fait encore aujourd’hui le meilleur accompagnement des moules ou de la délicieuse carbonnade flamande.
La frite traverse l’Atlantique
En 1784, Thomas Jefferson, troisième futur président des États-Unis, est ambassadeur en France, chargé de la négociation des traités commerciaux à la cour du roi. Il est aussi un vrai gourmet qui veut faire profiter son jeune pays des bonnes choses du Vieux Continent, dont les succulents petits bâtonnets de pomme de terre. Il est accompagné de son talentueux esclave noir, James Hemings, qui sera son cuisinier. C’est le premier Américain de l’Histoire à être devenu chef de tradition française, puis père fondateur de la cuisine américaine. Le délicieux aliment fera en grande partie le succès des fast-food. Comme le hamburger venu par bateau de Hambourg avec les migrants.
2025 : des agriculteurs français qui ont la patate
Les Hauts-de-France sont un terroir exceptionnel. 8.500 agriculteurs vivent de la pomme de terre, dans la région de Dunkerque. Face à une demande toujours croissante, ils augmentent sans cesse la surface à cultiver et convertissent leurs champs de céréales et de betteraves en champs de pommes de terre. Depuis le port de Dunkerque, 800 tonnes sont exportées, par jour, dans 80 pays incluant l’Asie, le Moyen-Orient et… retour aux sources : l’Amérique du Sud. La pomme de terre française (frite, dauphine, rösti, noisette, rissolée, purée, etc.) séduit le monde entier. La demande croît de 5 % par an. Il faudra augmenter la production de quarante millions de tonnes, d’ici 2030. Vive la reine des légumes !
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2 commentaires
La patate. .. j’adooore !
J’ai entendu une histoire savoureuse à propos de la pomme de terre. Parmentier avait du mal à la faire adopter par la population. Il a eu alors l’idée de faire garder ses plantations par des vigiles qui avaient comme consigne de ne pas être trop consciencieux et d’avoir assez de distraction pour laisser les gens les chaparder. Ce serait ainsi que la pomme de terre fut adoptée (et même recherchée) par la population. C’est tellement meilleur quand c’est volé…