Agriculture : opération vérité

Capture écran AFP
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François Guillaume, fort de son expérience d'ancien président de la FNSEA puis de ministre de l’Agriculture, remonte jusqu'aux années 1980 pour expliquer où en sont, aujourd'hui, l'agriculture française et ses acteurs.

Le test de représentativité des organisations agricoles a rendu son verdict. Si la FNSEA a conservé la maîtrise de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, elle a cependant perdu pour la première fois de son histoire la majorité des suffrages des électeurs : son score n’a cessé de s’effriter, depuis son écrasante victoire de 1983 - 83 % de participation au scrutin et 72 % de votes en sa faveur-, malgré l’opposition farouche d’Édith Cresson qui, dès son arrivée au ministère de l’Agriculture, s’était juré de briser « le monopole de la toute-puissante FNSEA » (sic) ; ce fut pour elle un échec cuisant. François Mitterrand en avait tiré les conséquences politiques : après un délai de convenance, il l’avait remplacée par Michel Rocard en espérant qu’il s’y casserait les dents ; ce qui fut fait, deux ans plus tard. La FNSEA était alors à son apogée, alternant, selon les besoins, contestation et cogestion. Chacun y trouvait son compte : le syndicalisme sa participation à la définition et à la gestion de la politique agricole tout en conservant son pouvoir de contestation, l’autorité politique l’avantage d’être éclairée sur les réalités économiques et sociales et les revendications du monde paysan tout en gardant son pouvoir de décision ultime.

Un équilibre rompu en 1981

À l’aube de la Ve République, le syndicalisme en plein renouveau attendait du gouvernement une politique de conquête pour saisir les enjeux agricoles nationaux et européens. La grande loi d’Orientation de 1960, diligentée par le Premier ministre Michel Debré lui-même, en a été le fondement. La participation active du syndicalisme agricole au débat s’est alors révélée déterminante et pertinente pour conduire et encadrer la modernisation de l’agriculture.

La gauche arrivée au pouvoir en 1981 a rompu cet équilibre en prétendant imposer plutôt que négocier. L’affrontement s’est alors substitué au dialogue et chacun y a perdu. Avec le retour de la droite en 1986 et la nomination du président de la FNSEA au ministère de l’Agriculture, la cogestion a repris vigueur, s’avérant des plus utiles pour tenir tête à la Commission européenne prête à céder à la libéralisation des marchés agricoles requise par les États-Unis. Mais cette cogestion originale n’a pas survécu aux chassés-croisés politiques suivants.

De nouveau, la contestation fut le seul moyen de défense des agriculteurs, sans pouvoir s’exprimer comme par le passé - lorsque 120.000 paysans manifestaient dans les rues de Paris (1982) -, la population agricole s’étant aujourd’hui réduite à 300.000 actifs, ce qui l’a politiquement affaiblie. La Commission européenne en a profité pour lui imposer des accords de libre-échange agricole déséquilibrés en faveur du Canada, du Mercosur après ceux de Nouvelle-Zélande et d’Australie ; d’autres sont à venir.

Une agriculture attaquée, mais pas protégée

Au-delà de ces contraintes extérieures, nos agriculteurs sont déstabilisés dans leur propre pays : depuis des lustres, leurs gouvernements ne les protègent plus du harcèlement des écolos-bobos qui les agressent et détruisent leurs biens. La Justice traite leurs méfaits avec indulgence, quand elle n’est pas complice. Les parlementaires leur cèdent par conviction ou par calcul en pensant aux élections à venir.

Le flicage des paysans est bien organisé

Ils sont surveillés quotidiennement par des satellites européens et par les 3.000 contrôleurs-inquisiteurs de la biodiversité prompts à verbaliser tout contrevenant en leur retirant les fameuses primes européennes qui, à défaut de prix suffisants, compensent leur revenu à hauteur de moitié. Alors qu’on les croirait soutenus, conseillés comme autrefois par les 36.000 agents de l’administration de leur ministère (soit un pour 10 paysans !), ils déclarent qu’ils n’en ont rien à attendre mais tout à craindre chaque fois qu’ils ont à leur fournir des déclarations multiples pour lesquelles ils n’ont pas de droit à l’erreur. À ces fonctionnaires zélés s’affairent avec plus ou moins de succès 8.000 agents des chambres d’agriculture et un bon millier dans les syndicats agricoles. Entre ces deux mondes, le conflictuel l’emporte sur la confiance pour un coût financier et humain qui est désastreux. Cette sur-administration nuit à la cause en prenant le verbe pour l’action. En conséquence, les problèmes sont plus évacués que traités. Le paysan a-t-il besoin de revenus, on lui propose une loi, ce qui rassure le ministre plus que les agriculteurs et donne du grain à moudre à son administration et aux services de la profession.

La sur-transposition des textes européens

Pourtant, l’urgence est ailleurs : elle est dans la révision de la transposition des textes européens en droit français qui pénalise nos agriculteurs. À ce titre, 137 directives européennes ont été sur-transposées à la hausse des normes européennes par le Parlement français, le plus souvent pour des raisons environnementales, sans autre justification que donner des gages aux Verts. Les reprendre une par une pour débat à l’Assemblée et au Sénat est exclu. Une année parlementaire n’y suffirait pas. C’est une loi générale rectificative de réalignement des lois françaises sur les directives européennes originelles qui doit être votée, si nécessaire sous couvert d’un 49.3, ce qui aurait l’avantage de démasquer les adversaires des paysans et de la souveraineté alimentaire française.

Il y a mieux à faire que de légiférer en redondance pour un même résultat : l’effondrement économique et social de l’agriculture française, qui ne cesse de reculer sur les marchés européens et internationaux ; qui perd chaque année des dizaines de milliers d’hectares de terres cultivables, plusieurs centaines de milliers de têtes de bétail et, bientôt, la capacité de nourrir les Français. La population vieillit ; le remplacement n’est plus assuré. Les recettes ne couvrent plus les coûts de production. Le moral est atteint. À l’épreuve de leur échec dont ils ne portent qu’une part de responsabilité, des agriculteurs désespérés se suicident : un chaque jour dans l’anonymat, sans marche blanche, dans le silence des médias et la tristesse résignée des siens.

De gros moyens, mais dont ne profitent pas les paysans

Pourtant, la profession détient dans ses rangs et dans les très grands groupes coopératifs et bancaires qu’elle contrôle, les ressources de son propre redressement, à condition d’en mobiliser les moyens en les recentrant sur leurs métiers et le service à leurs sociétaires que choquent les rémunérations de leurs hauts dirigeants (100.000 euros par mois pour les directeurs généraux du Crédit agricole, de Groupama, Avril, InVivo… et la moitié pour leurs présidents respectifs (on se dévouerait à moins !). En vue de quel profit pour les paysans ? Pourquoi le groupe céréalier InVivo s’allie-t-il avec le groupe Niel, qui produit de la viande végétale (merci pour les éleveurs) ? Ne sait-il pas que les requins mangent aussi de gros poissons ? La Caisse nationale du Crédit agricole, devenue Crédit agricole SA, qui a profité de sa mutualisation pour se banaliser, dégage un bénéfice annuel de 9 milliards d’euros. Ne devrait-il pas en consacrer un ou deux pour venir en aide à ses sociétaires-fondateurs, les paysans, plutôt que de financer le Qatar par PSG interposé ? Ce ne serait que revenir aux pratiques du temps où sa Caisse nationale était un établissement industriel et commercial que l’État sollicitait sous pression de la FNSEA, chaque fois qu’un sinistre frappait une production agricole, sans se saisir de l’excuse de ses clients non agriculteurs et simples usagers de la banque pour ne rien faire. Et comme ce sont les jeunes agriculteurs récemment installés qui sont les plus fragiles, ils devraient être privilégiés dans le soutien de Crédit agricole SA par des aides financières. Ce serait aussi une bonne idée pour les fidéliser ; comment se fait-il que le syndicalisme jeune n’y ait pas pensé ?

Une loi qui enfonce des portes ouvertes

Pour compléter le scénario des discours verbeux et de l’argent verbal, le recours à la loi a l’avantage de calmer les impatiences en invitant à l’étude des textes proposés les forces vives agricoles… pour que rien ne change... et en votant des lois inutiles dont le titre vaut mieux que le contenu, grevées qu’elles sont de dispositions environnementales toujours plus contraignantes pour les agriculteurs. C’est le cas d’une loi sur l’agriculture préparée successivement par trois gouvernements et qui vient d’être votée : elle enfonce les portes ouvertes en proposant une aide à l’installation des jeunes agriculteurs sans dotation financière mobilisée et un développement de leur formation alors qu’ils sont quasiment tous ingénieurs ou titulaires d’un bac agricole ou d’un BTS. En revanche, le texte est pollué de contraintes environnementales nouvelles pour donner des gages au terrorisme vert qui ne s’en contentera pas. Quant à la loi EGalim (le talent ne manque pas à ses concepteurs pour inventer les acronymes !), elle a pour ambition de soumettre le grand commerce au respect d’un prix plancher au profit du producteur. Certes, cette loi part d’une bonne intention, mais sans les moyens de la faire respecter… car nous ne sommes pas en économie administrée mais en économie libérale ouverte sur les marchés européen et mondiaux : il est déjà très facile aux Leclerc, Carrefour, Lidl et autres de contourner EGalim. On est surpris que la mobilisation des hauts fonctionnaires, des organisations de la filière agroalimentaire, des cabinets-conseil (pour une dépense de fonctionnement qu’on aimerait connaître) n’ait pas trouvé mieux à dire dans les quatre EGalim négociés. Cette loi aurait pu préconiser, par exemple, l’interdiction de l’implantation de nouveaux supermarchés (dont la France détient la plus forte densité dans le monde) qui font payer à l’amont plus qu’à leur clientèle leurs investissements, et aussi l’obligation de contrats avec les producteurs agricoles, comme l’a fait Auchan à bénéfice partagé avec les éleveurs de bovins.

Se battre à Bruxelles, lieu du pouvoir

Si on veut libérer l’agriculture des contraintes qui la condamnent, il faut engager le fer là où est le pouvoir : à Bruxelles. Et, donc, contre la Commission européenne qui décide de tout, forte de ses légions de fonctionnaires apatrides à qui l’administration française et les ministres de l’Agriculture successifs laissent le champ libre depuis près de quarante ans. Reprendre la main par une gestion habile de la législation européenne « à l’allemande » et, au besoin, user de son droit de veto, la France, contributeur net au budget européen, peut se le permettre. Certes, n’est pas de Gaulle qui veut pour l’imposer au regard de l’affaiblissement actuel de notre pays et de l’impéritie de ceux qui nous gouvernent. Mais ce temps reviendra.

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François Guillaume
Ancien ministre de l’Agriculture

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Les agriculteurs ne réclament pas un droit à polluer comme ce que sous-entendent les écolos, mais n’ont jamais non plus demandé à être dépendant de l’industrie phytopharmaceutique. La FNSEA peut-être, mais c’est aussi ridicule de réduire les paysans à un seul syndicat que de rattacher tous les ouvriers à la CGT. En gros les paysans produisent ce que les industriels leur demandent, ce sont eux qui fixent le cahier des charges. Mais par exemple quand les industries semencières sont les mêmes structures que celles qui produisent des produits phytosanitaires, forcément qu’ils ne vont pas développer des variétés de céréales résistantes aux maladies. Quant aux négoces de céréales, ce sont sont eux aussi qui assurent la distribution des semences et des produits phytosanitaires. Même chose pour l’élevage, les centres de sélection génétique sont les mêmes sociétés que celles qui produisent de l’aliment pour bétail, bien souvent elles-mêmes rattachées aux négoces de céréales. À chaque fois les industriels veulent des plantes ou des animaux hyper productifs et se fichent royalement si ça se fait au détriment de la résistance des plantes et des animaux. Ah oui, l’industrie pharmaceutique, y compris vétérinaire, et l’industrie phytopharmaceutique sont encore les mêmes entités. Ajoutez à cela les coopératives agricoles qui sont tout sauf indépendants, ils ne créent pas de valeur ajoutée, leur seul travail c’est de racheter les produits aux paysans pour les revendre aux industriels, donc la belle affaire… Donc à la limite si les dirigeants plébiscitent cette agriculture, les paysans feront ce qu’on leur dit mais pourquoi faire payer à eux le coût écologique du système que les paysans n’ont pas choisi. Vous mettez les agriculteurs entre le marteau des industriels et l’enclume des écologistes. Tout en ne les rémunérant pas correctement par différents stratagèmes.

  2. Quelle mouche a piqué la rédaction pour relayer un papier d’un des plus grands fossoyeurs de l’agriculture. Ce monsieur est un précurseur de la gamelle et un contempteur, voire un penseur du système pyramidal de la paysannerie. Puisque l’objectif étant d’effectuer un plan social sur la population agricole, l’idée de subventionner davantage les plus gros propriétaires terriens a généré un cannibalisme à l’intérieur de la profession. Sans compter le système des coopératives agricoles, réformées à plusieurs reprises, désormais sans limite de plafond, qui permet d’avoir des mastodontes qui n’ont aucun scrupule à créer des filiales privées, afin de ne pas verser aux agriculteurs les dividendes qu’ils auraient droit, en injectant le bénéfice des coopératives dans ces filiales, car rappelons une coopérative a interdiction de réaliser des bénéfices.

  3. Texte un peu technique. On s’adapte. On comprends ici et là. E Galim = prix plancher au producteur. Oui mais quel producteur ? Chez les Leclerc , Carrefour etc les fruits et légumes ne sont presque plus de France ( de pire en pire ). En revanche, sur nos routes ( défoncées) énormément de camions aux plaques U.E. Reprise en main, en effet, a Bruxelles, de tout cela. Un énorme chantier !

  4. Dans un pays ou le journal Le Figaro est devenu de gauche (molle) et ou les communistes sont prêts à voter Villepin, il faudra se méfier même de la vérité!
    Je préfère avoir l’avis des vaches francaises en tant que français, c’est plus sur.

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