[LIVRE] Léon Daudet, un appétit littéraire gargantuesque
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Auteur des célèbres Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet est un écrivain resté populaire. Son fils, Léon Daudet (1867-1942), n'a pas hérité de cette postérité. Journaliste de L’Action française, un temps député, il est victime d’un silence posthume épais. Et pourtant, quel écrivain, quel passionné de littérature ! Son jugement fut souvent visionnaire, nous rappelle Anne Le Pape, dans son étude Léon Daudet, critique littéraire (Éditions de Flore).
Contre l’académisme
Léon Daudet, c’est d’abord le refus de tout académisme, synonyme de médiocrité. Ses trois modèles de critiques, chacun à sa manière, sont incompatibles avec les accommodements et les ménagements. Jugez-en : Édouard Drumont, Jules Barbey d’Aurevilly, Léon Bloy. D’irréductibles penseurs libres, sabreurs des facilités et des lâchetés - et qui en payèrent le prix. De flamboyants stylistes, aussi, alors que l’académisme affadit le style et la pensée.
Or, la langue, Daudet ne la conçoit que débridée. La phrase est fulgurante, la langue truculente. L’écrivain fait feu de tout bois : argot, néologisme, jeux de mots, latinismes… Le critique ne s’interdit rien, du moment qu’il s’agit d’exprimer l’admiration ou la détestation de l’ouvrage qu’il commente. Sensible jusqu’à la sensualité, Daudet refuse de s’engoncer dans une langue grise et passe-partout. Il vérifie de la sorte l’axiome de Buffon : « Le style est l’homme même. »
Un découvreur tous azimuts
On comprend que la syntaxe cataractante de Voyage au bout de la nuit ait séduit Daudet ! Il fut l’un des trois qui votèrent pour lui au Goncourt 1932. Céline n’était pourtant pas de la paroisse politique et religieuse de Daudet. Mais, en littérature, Daudet comptait pour rien les différences de conviction du moment qu’un livre l’avait empoigné. Ainsi, il ne reste pas insensible aux « décisives explorations intérieures » de Nietzsche, malgré son anticatholicisme. Parallèlement, il ne suffisait pas d’être antidreyfusarde comme Gyp pour qu’il trouve des qualités à ses livres, « petites machines », selon lui, emplies de « héros salonnards et héroïnes pseudo-mondaines ».
Proust - dreyfusard, lui - doit à Léon Daudet son Goncourt 1919. Daudet fit campagne pour le roman auprès de ses confrères et À l’ombre des jeunes filles en fleurs emporta le morceau. Certains spécialistes de Proust ne se sont jamais remis de cette implication de l'écrivain de l’Action française. Et pourtant… « Qui ignore de nos jours le nom de Proust ? Qui n’a rien lu de Bernanos ? Qui ne connaît le rôle fondamental qu’a joué Voyage au bout de la nuit
dans notre littérature ? Les variations de l’histoire littéraire déposent en faveur de la justesse de vue de Daudet », écrit Anne Le Pape.
Du côté des anciens
Sa curiosité pour les auteurs contemporains s’accompagnait d’un égal appétit pour ceux des temps passés. Il a évoqué Shakespeare et Rabelais dans deux ouvrages originaux pour un critique, des sortes de romans (Le Voyage de Shakespeare, 1896 ; Un amour de Rabelais, 1933). L’étiquette de roman est « un prétexte, explique Anne Le Pape, qui lui permet d’exposer la somme de connaissances accumulées dans le commerce assidu de ces deux écrivains, devenus pour lui de véritables compagnons. » L’art critique de Daudet s’est souvent exprimé sous la forme de portraits, forme autrement incarnée que la « nouvelle critique » qui naîtra dans les années soixante.
En peinture, en musique, en littérature, les siècles ne comptent pas, aux yeux de Léon Daudet : c’est un homme, une femme qui s’exprime et le message est reçu comme s’il venait d’être écrit ou peint. Se constituent de la sorte, par affinités, des lignées littéraires, des familles spirituelles qui échappent au temps. Quand Daudet écrit qu’« on peut se passer de Virgile comme de pain et de vin », ce grand mangeur et grand buveur ne dit qu’une chose : on ne peut pas se passer de Virgile…
« L’esprit toujours en éveil et la plume en action, il cherchait à découvrir et à faire découvrir ce qu’il y avait de plus vrai dans le monde - et Dieu sait s’il avait de bons yeux ! », nous dit Anne Le Pape. L’histoire littéraire, en évacuant de son champ d’étude Léon Daudet pour des raisons politiques, se prive d’une œuvre d’autant plus essentielle qu’il ne portait pas d’œillères, lui.
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6 commentaires
Si je ne m’abuse ni ne commet d’erreur: « Commémorer la Révolution Française c’est comme célébrer le jour où l’on a attrapé la scarlatine »…J’aime bien ce mot!
La République qui n’a de pompes que funèbres, n’assure en toute sécurité, que l’enterrement de ses grands hommes et celui de la vérité. Quel imprécateur selon Anne Brassié!
Cher Samuel, c’est très bien d’évoquer la figure de Léon Daudet « critique littéraire », mais surtout n’oublions pas qu’il fut aussi et surtout un formidable essayiste… À ce titre je recommande « Le stupide XIXe siècle »
A voir ce qui est enseigné aujourd’hui en secondaire… il y a de quoi s’inquiéter pour la santé mentale des générations montantes, ( par ailleurs abruties au smartphone !)
Merci Monsieur Martin, d’avoir réveillé l’histoire de la Critique, et (me) l’avoir fait connaitre. LD me donnerait presque envie de me pencher sur Virgile, histoire de m’instruire et de le comprendre !
Il n’était donc pas bon de ramer seul contre l’académisme ? L’oubli pour sanction ?
Oui il a sauvé Proust