[CINÉMA] La Fabrique du mensonge, une biographie de Joseph Goebbels

La Fabrique du mensonge est un film dense, qui fera débattre les historiens.
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Joseph Goebbels est un sujet cinématographique en or, un propagandiste hors pair, maître de la mystification des masses par les médias. Nous étions pour le moins intrigué de voir comment le cinéma aborderait sa personne et son œuvre.

Réalisé par le cinéaste allemand Joachim Lang, La Fabrique du mensonge débute dans la débâcle du régime nazi, en 1945. Alors que la guerre touche à sa fin, Joseph Goebbels, concentré sur son écran de projection, exige la retouche d’un reportage où l’on voit trembler les mains du Führer tandis qu’il passe en revue les Jeunesses hitlériennes. Le ton est donné : nous allons assister, deux heures durant, à une entreprise de manipulation du réel par le numéro deux du Troisième Reich.

Un dignitaire nazi de premier ordre

Passée l’introduction, le récit recule sept ans en arrière, en mars 1938, au moment où l’Allemagne, en violation du traité de Versailles, s’apprête à annexer l’Autriche dans le silence assourdissant des grandes puissances qui composaient, en 14-18, la « Triple Entente » : la France, le Royaume-Uni et la Russie… Goebbels, dès cette époque, a les faveurs d’Hitler, bien que sa relation adultère avec une actrice tchèque, Lída Baarová, déplaise fortement au chancelier qui caresse déjà le projet d’envahir la Tchécoslovaquie. Contraint par son épouse Magda et par Hitler de renoncer à son amante – une scène absolument surréaliste –, le « dircom du IIIe Reich », plutôt hostile à la guerre, va devoir œuvrer activement à la faire accepter dans l’opinion publique allemande. Dès lors, son engagement aux côtés du Führer ne se démentira jamais. Du discours célèbre de 1943 au Palais des sports de Berlin jusque dans la folie de son dernier geste, Joseph Goebbels s’affichera comme un dignitaire nazi de premier ordre.

Un récit biographique incomplet

Dans la droite lignée de La Chute, d’Oliver Hirschbiegel, et de La Conférence, de Matti Geschonneck, La Fabrique du mensonge propose une plongée fascinante dans les rouages de la propagande de guerre. Malheureusement incomplet, le récit fait l’impasse sur tout ce qui précède 1938. On ne saura donc pas comment l’ancien journaliste et dramaturge a grimpé la hiérarchie du NSDAP dans les années 1920, ni comment cet ancien socialiste pur jus, anticapitaliste carabiné, a renoncé à ses idées premières contre la propriété privée pour soutenir Hitler. Lequel ne cachait pas son désir de complaire aux puissances d’argent – on renverra, à ce propos, le lecteur à l’ouvrage d’Antony Cyril Sutton, Wall Street et l’ascension de Hitler.

Enfin, le film ne nous montre pas les premières mesures politiques et la mainmise de Goebbels sur les médias lorsqu’il fut nommé, en 1933, ministre de l'Éducation du peuple et de la Propagande du Reich. Le récit se limite donc exclusivement aux années de guerre.

« Le Führer et le Séducteur »

Plutôt survolées, dans la mesure où l’on passe (trop) rapidement d’un événement à l’autre, ces années-là sont traitées principalement sous l’angle de la relation privilégiée qu’entretiennent Hitler et Goebbels. En cela, le titre original du film, Führer und Verführer (« Le Führer et le Séducteur »), correspond davantage à son contenu que le titre français, La Fabrique du mensonge. Ce dernier suggère à tort une analyse poussée des procédés mis en œuvre pour manipuler les masses. Mais force est d’admettre que sur cet aspect des choses, le film reste quelque peu en surface, malgré des développements intéressants sur la production du Juif Süss, de Veit Harlan, et des précisions sur la manière dont les nazis ont minimisé, dans les médias, la progression des troupes soviétiques sur leur territoire, au printemps 1945.

Riche en images d’archives, savamment mêlées aux prises de vues du cinéaste, La Fabrique du mensonge aurait pu, toutefois, s’abstenir, par respect, d’utiliser les images documentaires des victimes de la Shoah – le procédé est d’un goût douteux.

En outre, l’utilisation, en fin de récit, du témoignage filmé d’une rescapée de l’Holocauste, avec citation de Primo Levi à l’appui, tend à nous faire dévier du « sujet Goebbels ».

Reste, malgré tout, un film dense qui fera débattre les historiens.

 

3 étoiles sur 5

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Hé oui pour vous la gauche le National Socialiste était le pouvoir du dictateur Allemand c’est dur à avaler mais c’est la vériter dur dur d’étre de gauche.

  2. Chez nous ca marche très bien, la propagande, le mensonge 2.0. Les journaux gouvernementaux subventionnes, des Libération, Le monde, France Inter, TF1, BFM, LCI Etc…tout est bien au point, a croire qu’ après la guerre nous avons récupére Goebbels comme les US ont récupéré Von Braun et d’ autres (2000 environ)

  3. en ce moment nous sommes pas sous la propagande de voitures électrique qui manipule des petits esprits

    • C’est devenu LE moyen de gouvernement dans tout l’Occident. Les récalcitrants seront livrés à l’ARCOM.

  4. Belle analyse avec un bémol. Hitler était lui aussi socialiste, voire même anticapitaliste, comme l’indique le manifeste du parti des travailleurs allemands qu’il rédigea en 1920 personnellement et dont il se revendiquera publiquement jusqu’à la fin de sa vie – la politique sociale mise en oeuvre par le Parti national-socialiste en est aussi un témoignage. Par opportunisme et volonté surtout de réaliser le grand Reich (conformément à son livre Mein Kampf), il s’appuiera effectivement sur le monde économique, lequel s’imaginait pouvoir le retourner…

    • Le monde économique l’imaginait surtout comme dernier rempart contre le communisme. Sans se rendre compte qu’il s’agissait en fait de deux compères à l’assaut du monde.

  5. La dictature se construit par la manipulation & la persuasion des masses. Lire (ou relire) l’excellent ouvrage de David COLON sur le sujet; Joseph GOEBBELS y figure en bonne place, évidemment. Sans ce maître de la Propagande nazi, l’histoire aurait sans doute été autre…

  6. Vos chroniques Cinéma sont toujours judicieuses (Hiver à Sokcho: bon conseil)
    En ce qui concerne Goebbels, vous avez raison de rappeler qu’il a eu l’étiquette Socialiste (reprise dans Nazi). Il faut aussi rappeler que c’était un Intellectuel, du genre fréquentable : Docteur en Littérature, spécialiste du Romantisme, ce qui incline fortement à penser que l’érudition ne protège absolument pas de la barbarie. Peut-être même que la conviction d’être au dessus (en terme de « Culture ») des Autres incite au mépris et à l’intolérance, la combinaison des 2 (étiqueté « De Gauche » + étiqueté « érudit ») produisant des ravages jusqu’à l’époque actuelle (en trouve quelques exemplaires à LFI, dans certains syndicats, certaines organisations Islamo-Gauchistes, etc)

  7. Les mécanismes de la dictature ont été inventés par la gauche , de la Terreur de la Révolution française au Stalinisme la filiation est directe . Le National Socialisme est appelé de nos jours Nazisme , par pudeur sémantique .

  8. Le contrôle, la manipulation des foules, ce sont des thèmes fascinants car qui contrôle les peuples a le pouvoir. Cet homme sans envergure, boiteux, a su être le bras droit d’ Hitler par sa fine connaissance du psychisme humain. Ses écrits révèlent sa personnalité et hélas font écho à plus d’un titre à la période trouble que nous vivons actuellement.

    • d’où les stades de foot ou on se croirait à Nuremberg, tout le monde se lève en même temps, hurle, tend les bras pour….un but.

  9. Je n’ai pas vu ce film, mais je pense que montrer des images de la Shoah et de ses victimes, aussi atroces qui puissent être de telles images, est toujours une bonne chose. Par exemple, je déteste la façon dont YouTube floute les images de cadavres et de déportés morts au nom d’un politiquement correct qui censure la réalité. Si on veut faire de la pédagogie, il faut montrer ce qu’est véritablement le nazisme. Et c’est là qu’on arrive à Goebbels. Ici, nous avons la preuve que des mots, lorsqu’ils sont des mensonges, peuvent tuer.

  10. Le titre me rappelle cruellement celui d’un « documentaire » du service public, certainement choisi à dessein.

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