Gene Hackman, la mort énigmatique d’un des derniers grands d’Hollywood
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Ça pourrait être la scène d’ouverture d’un film hollywoodien, que la découverte des corps de ces deux époux et d’une autre dépouille : celle de leur chien. Nous sommes le 26 février 2025, dans une villa cossue de Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Les cadavres sont en état de décomposition avancée et les enquêteurs découvrent tôt des pilules, abandonnées sur le sol. Si la piste criminelle semble écartée, les résultats de l’autopsie ne sont pas encore connus. Les deux corps, eux, l’étaient pourtant, s’agissant de l’acteur Gene Hackman (95 ans) et de sa femme, la pianiste Betsy Arakawa (63 ans).
Bref, si n’est pas un film noir, ça aurait pu. Dans le milieu très souvent frelaté du septième art, Gene Hackman y tenait une place un peu à part.
Engagé dans les Marines dès 16 ans…
En effet, il s’agit d’un acteur tardif, puisque n’intégrant la Pasadena Playhouse, l’une des plus prestigieuses écoles de cinéma, qu’à trente ans. Entre-temps, il a eu celui de connaître la vie, ayant quitté sa famille dès 16 ans pour s’engager dans les Marines. Taillé comme un colosse, mentir sur son âge n’était qu’un jeu d’enfant. En 1951, il quitte l’armée avec le grade de caporal, après une mystérieuse mission en Chine, l’opération Beleaguer. En 1964, il s’essaye sur les planches, à Broadway, aux côtés d’un certain Warren Beatty. À l’un les rôles de play-boy ; à l’autre une palette autrement plus diversifiée : l’avantage de ne ressembler à rien, c’est qu’on peut tout jouer.
Warren Beatty, plus fidèle en amitié qu’en matière conjugale, lui met tôt le pied à l’étrier en lui confiant un second rôle dans le fameux Bonnie and Clyde, d’Arthur Penn, en 1967. Après des années à jouer les seconds couteaux dans des séries télévisées et des films de troisième plan, sa carrière est lancée.
Une des figures du « Nouvel Hollywood »
En 1971, la véritable consécration arrive quand il incarne Jimmy Doyle, dit « Popeye », l’inspecteur teigneux de French Connection, le chef-d’œuvre de William Friedkin. Il y traque les mafieux marseillais, affublé d’un imperméable douteux et d’un invraisemblable galurin. Il crève tant l’écran que cette prestation hors normes lui vaut un Oscar™ bien mérité, l’année qui suit. Nous sommes alors en pleine vague de ce que l’on nommera le « Nouvel Hollywood ». C’est la fin du règne sans partage des grands studios. L’heure est aux auteurs, aux films moins coûteux et aux acteurs descendant de leurs piédestaux. Fini le glamour et place à la vraie vie ; aux « vrais gens », dirait-on aujourd’hui. Ainsi, Dustin Hoffman et Al Pacino supplantent, dans le cœur du public, les John Wayne et les Clark Gable d’antan. Gene Hackman est de la fournée, qui se sert comme personne de son physique passe-partout. Les chefs de file de ce mouvement ? Le plus fameux est évidemment Francis Ford Coppola, avec son Parrain (1972), mais qui finira par se griller les ailes en 1982 avec ce grand film malade que fut Coup de cœur.
Les deux autres ne sont autres que Steven Spielberg et George Lucas, qui font leurs premières armes dans ce cinéma inédit, largement inspiré de la très française Nouvelle Vague, avant de se renier après ; l’un signant Les Dents de la mer (1975) et l’autre La Guerre des étoiles (1977) ; soit la matrice de ce que deviendra vite le prochain Hollywood, usinant à la chaîne des films formatés dont l’un des buts principaux consiste avant tout à vendre des produits dérivés, jouets et autres peluches.
Gene Hackman, lui, ne fera jamais partie d’une quelconque petite bande ou d’on ne sait quelle coterie, persistant à poursuivre son petit bonhomme de chemin, en tournant au gré de ses propres envies, et parfois de l’humeur de son banquier. D’où sa prestation dans la série des Superman, initiée par Richard Donner en 1978, où il jubile à cabotiner en Lex Luthor, savant aussi fou que chauve, dont le but est, tel qu’il se doit, de conquérir le monde et ses proches environs.
Un citoyen face à l’État profond…
Plus sérieusement, il est poignant dans La Théorie des dominos (1977), film d’espionnage signé du vétéran Stanley Kramer, tortueuse histoire d’espionnage sur fond d’État profond américain. Si l’on n’a jamais rien su des opinions politiques du défunt, il est en revanche probable que la lutte du citoyen contre un gouvernement entendant régenter nos vies est un thème qui semblait lui tenir à cœur. La preuve en est qu’en 1974, avec le Conversation secrète du même Coppola, il incarnait déjà un paranoïaque retors, avant de le décliner, en président américain, dans Les Pleins Pouvoirs (1997), de son grand ami Clint Eastwood. Puis l’année d’après, il y a l’Ennemi d’État de Tony Scott. Comme quoi on peut être sans prétentions, mais pas sans idées.
Bref, Gene Hackman aura mené sa carrière à sa façon : avec discrétion. Il était un immense acteur, mais faisait tout pour que cela ne se voie pas, préférant toujours jouer la nuance. Salaud au cœur tendre dans La Firme (1993), le remarquable thriller de Sydney Pollack, mais encore shérif ignoble, une fois de plus chez Clint Eastwood, dans son Impitoyable, en 1992, western qui lui vaudra un autre Oscar™, celui du Meilleur second rôle, l’année suivante.
On devrait bientôt en savoir plus sur les raisons de sa mort, la dernière énigme qu’il nous aura laissée.
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4 commentaires
Superbe acteur.
On avait l’impression d’un Gène Hackman immortel , toujours présent comme d’ailleurs Clint Eastwood , les décennies passaient et popeye était toujours là . Un pan de l’histoire cinématographique vient de tomber , ça fait bizarre
Oui, cela pourrait ressembler à une fiction : Il avait 95 ans, elle était sa cadette de plus de 30 ans. Lui usé, elle ne pouvant vivre sans lui, ils se donnèrent donc la mort. Qui sait ? Cet acteur au charisme certain pouvait jouer autant les durs que les tendres. Les brutes et les délicats. Quand il y avait un film, où il apparaissait, je ne manquais jamais de le regarder, sûre qu’il serait intéressant voire fameux. Tout à une fin. Après l’enquête, on en saura plus. Quelle que soit la raison de ce brusque départ, je ne l’en admirerai pas moins quand même. Et si Dieu existe, qu’il ait ces âmes unies en un même écrin si c’était leur souhait.
Je trouve votre commentaire très joli et délicat! Qui sait si là haut il va demander aux dealers « est ce que tu t’ es curé les pieds à Poughkeepsie? »… RIP Popeye for ever…