[CINÉMA] Le Mohican, l’appel à la révolte contre le banditisme corse

LE MOHICAN

Joseph Cardelli est éleveur de brebis en Corse-du-Sud, dans la région de Bonifacio. Un homme modeste, taiseux et sans histoires qui, conformément aux traditions, poursuit une vieille activité familiale. Il est l’un des rares bergers à occuper encore ce magnifique littoral de Santa Manza que convoitent tant l’industrie du tourisme et les promoteurs immobiliers. Si bien que parmi ses proches, certains le qualifient, pour rire, de « dernier des Mohicans »…

Un soir, hélas, Joseph reçoit la visite de Michel Battesti, une figure locale du grand banditisme qui lui fait savoir que des amis, en haut lieu, sont prêts à lui racheter son terrain pour 300.000 euros. Une somme coquette pour une simple surface agricole, officiellement déclarée inconstructible…

Clairement désintéressé, mais néanmoins poli – car il sait pertinemment à qui il a affaire –, Joseph décline l’offre et s’attire aussitôt les foudres de Battesti qui, les jours suivants, se fait plus menaçant à son encontre. Lorsqu’il commet finalement l’irréparable, le berger comprend instinctivement qu’il n’a plus d’autre choix, pour rester en vie, que de prendre le maquis avec, à ses trousses, les amis du truand. Par chance, la nièce de Joseph, Vannina, va alerter les réseaux sociaux et, contre toute attente, faire de lui un symbole de la lutte anti-mafia sur l’île…

Spoliation et spéculation

Pensé comme une sorte de western insulaire, de l’aveu même du cinéaste Frédéric Farrucci, Le Mohican, film corse à petit budget et au charme certain, s’ajoute à cette liste encore non exhaustive de longs-métrages produits en 2024 sur l’île de beauté, après À son image, de Thierry de Peretti, et Le Royaume, de Julien Colonna.

Récit fictif ancré dans une réalité sociale de plus en plus préoccupante, le film de Farrucci traite frontalement le sujet de la montée du grand banditisme en Corse qui non seulement prospère sur le racket de la population locale et suscite sans cesse de nouvelles vocations – le Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) identifie, aujourd’hui, vingt-cinq bandes criminelles dans la région (!) – mais contribue au bétonnage massif du littoral. Comme l’explique très bien le scénario, l’une des pratiques récurrentes des voyous corses consiste à y acheter à bas prix des terres agricoles, inconstructibles par définition, à faire pression sur les maires pour les rendre officiellement constructibles et à y implanter des complexes touristiques qui engrangent des millions d’euros à l’année. Parfois, ces terrains vierges devenus constructibles sont aussitôt revendus pour faire une plus-value. Mais dans les deux cas, la préservation de l’espace naturel est en péril. La presqu’île de Santa Manza, dont il est question dans le récit, attire tout particulièrement les convoitises des spéculateurs, au même titre que les terrains de Sperone ou que l’île de Cavallo.

Un appel à la révolte

Plutôt bien troussé, sans temps mort, le film de Farrucci, disons-le franchement, n’aurait jamais pu voir le jour sans l’apparition, en 2019, des collectifs anti-mafia « Massimu Susini » et « Maffia Nò A Vita Iè », qui ont largement œuvré à la libération de la parole en Corse.

S’inscrivant dans une même optique militante, ce récit de cavale au fin fond du maquis tire son originalité de la médiatisation de son héros, devenu populaire sur les réseaux sociaux et mué malgré lui en symbole politique d’un peuple corse qui refuse de se soumettre à la mafia. En cela, la séquence où la nièce, dans un bar, assiste au concert d’un groupe chantant les louanges du « Mohican » sonne aux oreilles du spectateur comme le souffle d’un vent nouveau sur l’île. Bien évidemment, cette héroïsation du berger en cavale est intolérable aux yeux des voyous et doit cesser au plus vite – Joseph Cardelli a bien du souci à se faire…

Courageux, le film de Frédéric Farrucci, en laissant volontairement une fin ouverte, entérine le caractère légendaire de ce héros insaisissable, refuse par principe de consacrer sa défaite et, ce faisant, exhorte à la rébellion le peuple corse contre ceux qui, depuis les années 80, ont décidé de mettre l’île en coupe réglée. Pas sûr que les voyous apprécient le message…

 

4 étoiles sur 5

 

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Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Je n’ai pas vu le film, mais le résumé me fait penser à ce qui nous entoure, que ce soit au niveau de la société, de l’État et de l’UE : haro sur le complotiste qui ne veut ni substances, ni invasion, ni guerre.

  2. Je soutien sans réserve et sans état d’âmes, l’appelle Mohicans des Corses ! Il n’y a aucune raison que l’Ile de Beauté soit mise en coupe réglé, par la mafia financière Mondiale et Occidentale ! Et les Corses ont entièrement raison de se battre pour conserver intact leur belle Ile ! Rappelez vous de la belle chanson de la Compagnie Créole Belle Ile en Mer ! Hervé de Néoules !

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