[POINT DE VUE] Tintamare sur la défense européenne

Le désastreux épisode de la Maison Blanche a relancé les élucubrations les plus diverses sur la relance de la défense européenne après un hypothétique lâchage de l’Union européenne par les États-Unis. Analysons sereinement la situation du point de vue de l’effort financier qui serait demandé, de la décision de l’usage de l’arme nucléaire française, du choix du soutien militaire à l’Ukraine plutôt que de la voie diplomatique, de l’usage de fonds privés pour soutenir l’effort de défense, et enfin du déploiement éventuel de militaires français et européens en Ukraine.
Effort financier
Si l’effort financier de défense des pays européens est nécessaire, il faut reconnaître que la France en a déjà fait par la loi de programmation militaire 2024-2030 qui nous amène a environ 2 % du PIB, après les restrictions budgétaires et d'effectifs engagées depuis Nicolas Sarkozy. Si on peut améliorer encore un peu la situation de nos armées en passant à 3 ou 3,5 % du PIB au profit de notre base industrielle et technologique de défense et de nos armées, c’est la dissuasion nucléaire, au meilleur niveau technique et quantitatif qui doit rester notre priorité et notre assurance majeure.
Arme nucléaire
Pour ce qui concerne l’usage de l’arme nucléaire française, celle-ci ne peut être décidée que par le président de la République et je ne vois pas comment celui-ci pourrait décider de l’utiliser contre la Russie au profit d’un autre pays, alors que c’est la France qui serait visée par une riposte. Les thuriféraires de notre partage de l’arme nucléaire avec l’UE évoquent la position supposée de De Gaulle sur la sauvegarde des intérêts vitaux de la France qui pourrait être élargie au delà du territoire national. Or la définition de ces intérêts est laissée à l'appréciation du chef de l’Etat à un moment donné, et il est généralement admis que le territoire, la population et la souveraineté de la France en constituent le cœur. C’est Emmanuel Macron qui, en février 2020, devant les officiers de l’école de guerre a déclaré que « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». C’est son appréciation de fédéraliste d’aujourd’hui. Et quand bien même, c’est vite oublier de dire que le général de Gaulle avait institué la notion de frappe de "dernier avertissement" sur les troupes ennemies, en particulier avec nos missiles nucléaires tactiques Pluton. Ces derniers ont été abandonnés en 1991 et nous devons donc raisonner dans le contexte d’aujourd’hui. Imagine-t-on un président de la République lancer nos missiles atomiques sur la Russie en cas d’intrusion militaire russe sur le sol polonais ? Bien sûr que non.
Il y a par ailleurs une contradiction à vouloir réarmer massivement, comme le propose Emanuel Macron, et la doctrine nucléaire française qui veut que l’arme nucléaire ait un objectif dissuasif, afin d’éviter d'avoir à s’en servir. Vouloir un réarmement conventionnel massif c’est indiquer que l’on est prêt à engager un conflit classique. Et donc que l’on ne croit plus à l’effet dissuasif du nucléaire. C’est une position stratégique désastreuse pour le pays.
Soutien militaire à l'Ukraine
En voulant continuer à financer l’armée ukrainienne plutôt que de rechercher la paix, l’UE va passer pour le "va-t-en guerre, quoi qu’il en coûte", et les USA pour le "va-t-en paix". Le monde à l’envers. Seule la voie diplomatique est jouable pour l’UE en raccrochant la Russie au wagon européen, en refusant l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN pour une longue période, quoi qu’en pensent les Américains.
Financements privés
Dans les temps de vaches maigres que nous connaissons, l’appel au financement privé qui est avancé devrait profiter plutôt à la réindustrialisation du pays et à notre agriculture plutôt qu’à nos armées. Cette proposition révèle une perte de repère de notre Président. Quant à la préférence communautaire pour l’achat d’armement, que certains évoquent pour justifier que nous "prêtions" notre dissuasion à l’UE, ça reste à voir et suppose une sortie générale de l’OTAN. On en est très loin.
Déploiement de militaires français
Pour ce qui concerne le déploiement de militaires français et d’autres pays européens en Ukraine, Vladimir Poutine n’acceptera jamais un déploiement de forces de l’OTAN en Ukraine. Ce n’est pas dans l’air du temps.
Il ressort de ce qui précède que les gesticulations actuelles de l’UE afin de “sauver” l’Ukraine sont d’abord et avant tout une occasion supplémentaire de crise pour exiger encore plus d’Europe, cette fois-ci de la Défense, et un nouvel emprunt massif européen comme lors de la crise du Covid. L’UE est aux abois et nous devons nous y opposer fermement.
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19 commentaires
ça fait 60 ans qu’on me promet un Europe politique, une Europe de la défense, mais à part élargir l’Europe au point où plus personne y trouve son compte on peut se poser des questions.