Signe des temps, le carême a moins la cote que le ramadan dans l’espace public

Alors que le Ramadan bénéficie d'une large visibilité dans certaines enseignes, le Carême semble ignoré par les mêmes.
@Juancho Torres / ANADOLU AGENCY / Anadolu via AFP
@Juancho Torres / ANADOLU AGENCY / Anadolu via AFP

Le mercredi des Cendres marque pour les catholiques du monde entier le début du Carême, une période de quarante jours de jeûne et de pénitence précédant le Triduum pascal. Célébré le lendemain du Mardi Gras, il constitue un moment clé du calendrier liturgique et de la vie spirituelle, rappelant ainsi à tous la fragilité de l’Homme mais invitant au changement.

Origines bibliques

La symbolique des cendres dans le rite du mercredi des Cendres trouve son origine première dans la Bible, dès la création d’Adam et Ève : « Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant » (Gn 2:7). Plus loin dans l’Ancien Testament, les cendres deviennent un symbole de deuil, de pénitence, mais aussi d’humilité. On retrouve ainsi cette pratique chez le peuple d’Israël lorsqu’il cherche le pardon de Dieu. « Ô fille de mon peuple, revêts-toi de sac et roule-toi dans la cendre ! Prends le deuil comme pour un fils unique », dit le prophète Jérémie (6:26). Ainsi font Job (Job 42:6) ou le roi de Ninive (Jonas 3:6).

Dans le Nouveau Testament, bien que le Christ ne mentionne pas les cendres, il insiste sur l’importance de la repentance intérieure plutôt que sur les signes extérieurs, dans un passage célèbre. Plutôt que d'agir comme les hypocrites qui prennent un air décomposé, le Christ recommande: « quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Matthieu 6:16-18). Le mercredi des Cendres s’inscrit ainsi dans une longue tradition de purification spirituelle.

Instauration et évolution

Dès le IVe siècle, l’Église impose aux personnes coupables de péchés graves (meurtre, adultère, hérésie et apostasie) de faire pénitence en s’aspergeant de cendres. Cette excommunication temporaire est levée le jour du Jeudi saint. En 1091, suite au concile de Bénévent dirigé par le pape Urbain II, l’imposition des cendres est officialisée et généralisée à l’ensemble des fidèles pour marquer le début du Carême par un signe d’humilité.

Aujourd’hui, le mercredi des Cendres est célébré dans toutes les paroisses, lors d’une messe où le prêtre bénit des cendres issues de la combustion des feuillages du dimanche des Rameaux de l’année précédente. Il les applique ensuite sur le front des fidèles en traçant une croix, tout en prononçant des paroles issues des Évangiles : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu redeviendras poussière » (Gn 3,19) ou « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Marc 1,15). Cette citation du Nouveau Testament invite le croyant à changer pour s’améliorer et faire le bien. Cette purification des esprits et des corps peut également se compléter pour les catholiques par un jour de jeûne et d’abstinence, car « L'homme ne vit pas que de pain » (Matthieu 4:4).

Invisibilisation dans la société

Malgré ses racines profondes en Europe et son importance spirituelle, le mercredi des Cendres et plus largement le Carême, semblent aujourd’hui de plus en plus effacés aujourd’hui dans l’espace public de façon général. Ainsi, tandis que certaines pratiques religieuses, comme le Ramadan, bénéficient d’une forte visibilité dans quelques enseignes, à l’instar de la Fnac de Nîmes qui adapte son offre commerciale aux musulmans ou encore à l’étranger, comme à Londres où le maire Sadiq Khan affiche fièrement le début du Ramadan dans les rues de la capitale britannique, le Carême, lui, demeure largement ignoré.

Aucune communication similaire n’est faite pour cette période essentielle de la foi chrétienne, illustrant ainsi un déséquilibre dans la reconnaissance des traditions religieuses.

Cette occultation, signe ostentatoire d’une déchristianisation de notre société et pouvant être attribuée également à une crainte d’une période jugée douloureuse et contraignante dans l’imaginaire collectif, n’est pourtant pas justifiée. Dans certaines régions du monde, cette période est pourtant vécue avec une ferveur particulière dans l’espace public. Aux États-Unis, des prêtres n’hésitent pas à organiser des cérémonies de Ashes to Go, où ils appliquent les cendres directement aux passants dans la rue ou dans des gares, rendant ainsi visible et active cette tradition chrétienne.

L’Église catholique insiste également sur le fait que le Carême ne doit pas être perçu comme une période de privation austère, mais comme un temps de libération intérieure. Selon l’abbé Pierre Amar, prêtre du diocèse de Versailles : « Le Carême n'est pas un temps triste : il nous libère de toutes ces chaînes intérieures qui sont en nous, qui nous paralysent et qui nous empêchent de changer. C'est un temps de reconquête de notre liberté ! »

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Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

10 commentaires

  1. En fait les grandes enseignes ont vu que le ramadan pouvait être rentable pour eux. Ils inventent plein de produits dérivés comme quand un film sort au cinéma. Et je suis certain qu’il y a déjà des agences marketing qui réfléchissent comment transformer le ramadan en une fête commerciale au delà de l’islam, à l’instar de comment ils ont fabriqué Halloween et transformé Noël.

  2. Il y aurait certes beaucoup à dire sur ce sujet, laïcité allant de pair avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, naufrage de la pratique religieuse, sécularisation de l’Eglise ( on chercherait en vain le message évangélique et la « différence » avec les politiques dans leurs discours, c’est la même langue de bois ) d’un côté, et de l’autre, une communauté musulmane sinon fière de sa foi, du moins pratiquante sans respect humain, à la fois vivier électoral pour certains qui les flattent sans vergogne, et consommateur à satisfaire, source de profits non négligeables.

  3. entre un évènement qui augmente les ventes, et un autre qui les restreint, exemple : Noël et Carême, pour rester dans le cercle chrétien, un commerçant choisira toujours l’augmentation ! donc, entre 2 évènements qui agissent différemment sur leur tiroir-caisse, celui mis en avant…. et le ramadan est bien vu comme une dépense augmentée par l’ensemble des consommateurs (terme magique)

  4. Boycotter tous ceux qui font la promotion du ramadan . Quand un gouvernement ne fait rien pour combattre ceux qui détruisent notre patrimoine religieux , quand des élus ne s’offusquent pas des millions de chrétiens persécutés ou tués dans le monde mais vont manifester pour la Palestine que penser , qu’ils ont choisi leur camp et ce n’est pas celui des catholiques de ce pays . Il faudra s’en rappeler en mettant notre bulletin de vote dans les urnes .

  5. Ce constat s’explique de plusieurs façons. Tout d’abord, l’islam n’est pas le christianisme des musulmans et le ramadan n’est pas le Carême. Confondre les deux n’a aucun sens et conduit à l’incompréhension. Le christianisme est aujourd’hui apaisé, sa pratique l’est également, on ne jure pas sur la Bible à chaque phrase, on n’invoque pas le nom Dieu en vain (Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu, car le Seigneur ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom.) Le christianisme (comme le judaïsme) est une religion de la maturité qui a trouvé sa place dans la société française laïque ; le christianisme, par essence, se prête à la laïcité. La pratique religieuse dans notre société se veut discrète, elle relève de l’intimité, de la conviction profonde. Notre société feint ou feint d’ignorer le fait religieux qui est, ou devrait être cantonné dans l’enceinte de la vie privée. Ce que nous impose l’islam est une obligation d’afficher une forme de label religieux visible aux yeux de tous (halal, port du voile, signes religieux divers,…) C’est en quelque sorte l’officialisation des bonnes pratiques de l’islam, un certificat de conformité aux normes islamiques. Le Carême est aux antipodes de cela, il est vécu de l’intérieur et pour soi, pour chaque individu. Il n’existe d’ailleurs pas de règles sur la pratique du Carême, en dehors de quelques interdits alimentaires (pas de consommation de viande les vendredis), c’est à chacun de définir sa façon de vivre le Carême (interdiction de la viande, de l’alcool, de la télévision, pratique religieuse assidue, lecture de la Bible, dons, etc.) Là où certains sont dans l’exhibition, d’autres sont dans l’approfondissement de leur vie intérieure, vouloir comparer les deux n’a pas de sens. A tout cela s’ajoute une société (pourtant laïque) qui fait d’une part la promotion de l’islam et qui tente, d’autre part, d’invisibiliser le christianisme et de nier son importance dans les racines de notre société et dans nos comportements.

    • Analyse très juste. Le christianisme ne repose pas sur des dogmes. Il y a des rites, mais ce qui compte vraiment c’est de ne comprendre les messages. L’islam c’est complètement l’inverse, que vous comprenez ou pas le message, l’important est de respecter le dogme.

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