Syrie : une transition à l’épreuve des tentatives de déstabilisation

Il semble qu’Ahmad el-Chareh ait repris la main sur les événements en mettant en échec le projet des forces pro-Assad.
Capture écran Euronews
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Après l’indignation qui a submergé les réseaux sociaux, suite aux massacres, évoqués par BV, qui se sont déroulés entre le 6 et le 10 mars, dans l’ouest de la Syrie et qui, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), ont coûté la vie à 1.454 civils majoritairement issus de la communauté alaouite, il convient de lire ces événements à travers le prisme de la situation locale et régionale.

Multiplicité des attaques

Selon l’OSDH, une première série d’embuscades a été tendue par des groupes de miliciens pro-Assad contre 36 positions des forces gouvernementales, le 6 mars, à Lattaquié, Tartous et Hama. Plus de 100 agents des forces de sécurité auraient été tués dans ces affrontements. Ces attaques sont intervenues quelques heures après l'annonce, sur les réseaux sociaux, par Ghayat Dalla, un ex-général alaouite de la Quatrième Brigade connu pour ses liens avec les Gardiens de la révolution et proche de Maher al-Assad, de la formation d'un « Conseil militaire pour la libération de la Syrie ». Accusé de multiples « crimes contre l’humanité » durant la guerre civile, Dalla était également un baron du trafic de captagon. Pour Navvar Şaban, chercheur au Harmoon Center for Contemporary Studies, l’objectif principal des assaillants était de prendre le contrôle de sites stratégiques sur la côte ouest de la Syrie. Un temps déstabilisées par la multiplicité des attaques, les nouvelles autorités ont appelé à la mobilisation générale.

Selon Cédric Labrousse, spécialiste des dynamiques entre groupes armés et société civile en Syrie, l'appel a été suivi par une arrivée de milliers de combattants volontaires. Outre les troupes gouvernementales, il identifie au moins trois factions indépendantes. D'abord « des groupes syriens qui refusent l'autorité de Damas », puis « des chefs de guerre qui ont rallié le projet de nouvelle armée syrienne [pro-turque] » et,enfin, « des groupes de djihadistes étrangers », parmi lesquels « des Kirghiz, des Ouzbeks ou des Tchétchènes expulsés de la région en janvier 2025 par les nouvelles autorités ». C’est dans ce contexte que les patriarches chrétiens de Syrie réunis en urgence le 8 mars ont publié un communiqué conjoint condamnant les affrontements : « Les Églises appellent à instaurer un environnement qui facilite la transition vers un État respectueux de tous ses citoyens et jette les bases d’une société basée sur une citoyenneté égale libérée de la logique de vengeance et d’exclusion. Elles appellent toutes les parties à mettre fin à la violence et à rechercher des solutions pacifiques qui défendent la dignité humaine et préservent l’unité nationale. » La présidence syrienne a répondu en annonçant la création d’un comité composé de cinq juges, d’un responsable de la sécurité et d’un avocat chargés d’enquêter sur « les violations contre les civils et les responsables locaux ».

L’insurrection mise en échec

« La situation interne actuelle est un terrain fertile pour des interventions extérieures susceptibles de renforcer les divisions déjà existantes à l’ouest, dans le sud et le nord-est de la Syrie où se trouvent actuellement les principaux points chauds », explique Ruslan Trad, chercheur au sein de l’Atlantic Council’s Digital Forensic Research Lab, pour qui Tel Aviv et Téhéran sont, aujourd’hui, les deux acteurs majeurs impliqués dans la déstabilisation du pays : « Les forces iraniennes soutiennent une rébellion des loyalistes d’Assad, et les forces israéliennes créent une zone tampon dans le sud de la Syrie pour empêcher Damas de se stabiliser. » Coté iranien, Téhéran chercherait à contrôler le littoral syrien pour assurer au Hezbollah libanais une voie de ravitaillement militaire. Enfin, selon Othman El Kachtoul, diplomate attaché au ministère des Affaires étrangères français, cette insurrection marque un tournant majeur dans les dynamiques géopolitiques du Levant, cristallisant l'opposition croissante entre la Turquie et l'Iran. Pour lui, l’explosion des violences, quelques jours après des déclarations du ministre des Affaires étrangères turc dénonçant l’interventionnisme iranien, viserait à saper le contrôle turc émergeant en Syrie et à restaurer une présence militaire iranienne.

À ce jour, il semble qu’Ahmad el-Chareh, président par intérim de la Syrie, ait repris la main sur les événements en mettant en échec le projet des forces pro-Assad. Mais son coup de maître est l’accord de principe qu’il a signé, le 10 mars, avec Mazloum Abdi, le commandant en chef des FDS (Forces kurdes), désamorçant ainsi la menace séparatiste kurde. En cas de succès et d’un élargissement de ce modèle aux autres composantes confessionnelles, un gouvernement de transition réellement représentatif pourrait voir le jour et permettre à la Syrie d’aller de l’avant dans la transition post-Assad.

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Sophie Akl-Chedid
Journaliste - Vit au Liban

Vos commentaires

Un commentaire

  1. La majorité des victimes sont des civils alaouites et chrétiens, femmes et enfants, soupçonnés tous comme
    étant des restes du régime d’Assad,
    comme ces 2 victimes arméniennes
    de la famille Boutros, père et fils,
    exécutés parce qu’ils étaient résidents
    du lieu de naissance d’Assad. L’intérêt
    des occidentaux et pro-occidentaux
    est de voir la main de l’étranger, Iran
    et ses alliés puisqu’ils ont fait la queue pour rencontrer, le nouveau chef auto-proclamé de la nouvelle Syrie, celui qui s’était distingué dans les rangs de l’état islamique, et d’Al Qaida, qui a du coup « fait un bon job en Syrie » comme le disait Fabius . A rappeler que la tête d’Al Charaa alias Al Joulani, de Joulan (Golan) qu’il a complètement oublié,il était mise à
    prix pour un montant de 10 millions de Dollars, par les US, au moment où il accédait au pouvoir, peu avant
    d’enfiler une cravate. Mais bon on ne va pas être trop regardant, quand Al Joulani ne lève pas le petit doigt après l’invasion de la Syrie par Israël et par les sponsors Turcs de HTS.

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