Marc Zermati : producteur rock devenu imprécateur réac

Pour tous les amateurs de rock un brin énervé, le nom de Marc Zermati est légendaire. Le 13 juin 2020, il partait rejoindre le grand orchestre d’en haut ; là où les angelots délaissent la lyre pour la guitare électrique, les bouclettes blondes pour les cheveux en pétard, façon Keith Richards et Johnny Thunders.
Cinq ans après, le défunt est – enfin – mis à l’honneur grâce à ce livre de Patrick Bainée, Wanna Be Your Skydog, référence à Wanna Be Your Dog, la chanson d’Iggy Pop and the Stooges, et à Skydog, le label mythique créé, en 1972, par le Zermati en question. Un ouvrage qui n’est pas, à proprement parler, une biographie, mais plutôt une série de témoignages, de chroniques des meilleurs disques par ses soins produits et d’un entretien fleuve, accordé par l’objet de ces lignes, de 2017 à 2019. Soit un patchwork permettant de dresser la personnalité d’un personnage éminemment complexe et à l’itinéraire hors du commun.
Le 21 juin 1945, donc, Marc Zermati voit le jour à Alger. Il est issu d’une famille juive. Comme tant d’autres pieds-noirs, il est contraint de s’installer en métropole, à la suite de l’indépendance algérienne. La vingtaine à peine révolue, alors qu’il travaille dans une galerie d’art, il tombe dans la marmite du surréalisme, avant de rallier la mouvance hippie. Drogues, cheveux longs et séjours à Ibiza, rien ne manque à la panoplie.
Un rocker entrepreneur
Ce qui ne l’empêche pas de demeurer un garçon n’ayant pas les deux pieds dans la même platform boot, puisque fondant, on l’a vu, le label Skydog en 1971 tout en ouvrant un magasin de disques, l’Open Market, dans le quartier des Halles à Paris, promis à devenir légendaire. Son premier fait d’armes musical ? La parution d’un album pirate, Sky High, témoin frauduleux d’un concert tout aussi légendaire, puisque réunissant sur scène rien de moins que Jimi Hendrix, le guitariste Johnny Winter et Jim Morrison, le chanteur des Doors. Bon, tout est dans cette affiche prestigieuse, sachant que Jimi Hendrix joue totalement à côté de la plaque, que Johnny Winter y est presque inaudible et que Jim Morrison, quant à lui, est bourré au-delà de l’imprescriptible. Peu importe : tout le monde se doit alors de posséder la précieuse galette, même si rarement plus d’une fois écoutée.
Dénicheur de stars
Dans la foulée, Marc Zermati, qui s’est entre-temps fait ratiboiser chez le coiffeur, est l’un des premiers à pressentir la vague punk à venir, faisant ainsi découvrir en France des groupes tels que les New York Dolls, The Jam, Generation X, les Sex Pistols, les Clash et un groupe promis plus tard à un avenir international : The Police. Les Français ne sont pas non plus oubliés, avec des groupes tels que Bijou, les Dogs et The Frenchies, formation dont la particularité est d’avoir eu comme chanteur un certain Martin Dune, pseudonyme sous lequel se cache… Jean-Marie Poiré, le futur réalisateur du Père Noël est une ordure et des Visiteurs. Notons, encore, qu’il sera tôt remplacé par la jeune Chrissie Hynde, qui connaîtra bientôt un succès planétaire à la tête de son groupe, The Pretenders.
En guerre depuis le 10 mai 1981
Autour de cette petite bande, il y a encore d’autres célébrités en devenir : le couturier Jean-Charles de Castelbajac et Patrick Eudeline, pionnier du punk français au sein de son groupe, Asphalt Jungle, désormais écrivain tout en multipliant les collaborations avec nos confrères de Causeur ou de La Furia. Un grand écart politique ? Non, pas vraiment, l’homme confiant à l’auteur de ces lignes : « Ce n’est pas moi qui ai viré à droite, c’est toute la société qui a basculé à l’extrême gauche ! » Ce qui nous amène précisément à un itinéraire semblable, celui de Marc Zermati ; ce qu’explique brillamment Dinah Douïeb, sa préfacière : « Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le 10 mai 1981, Marc redoutait que l’interventionnisme politique dans les domaines culturels ne mène à un capitalisme de connivence, fait de copinage, favorisant les monopoles et rendant la résistance des indépendants de plus en plus difficile. Il n’a jamais eu sa carte d’électeur et n’a donc jamais voté. Sa hantise, c’était l’ascension des trotskistes qui, depuis le début des années 80, succédaient aux énarques de la haute bourgeoisie. Il voyait dans cette prise de pouvoir les prémices de nouvelles dictatures en devenir, par le contrôle de la culture en France. »
Il est vrai que l’arrivée des socialistes aux affaires aura signé l’arrêt de mort d’une contre-culture tôt devenue la culture officielle. Ce que résume fort bien le journaliste Benoît Sabatier dans son monumental essai, Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, justement consacré à la fin des cultures alternatives : « Le rêve contre-culturel s’est transformé en cauchemar jeune. »
Quand Marc Sermati se lâche…
Pis, cette contre-culture promue par Marc Zermati n’était pas antonyme d’une culture classique, dont il déplorait par ailleurs le délitement ; mais venait au contraire la compléter. En cela, il était fidèle aux enseignements de Guy Debord, chef de file du situationnisme, cette gauche antitotalitaire rétive à toute forme d’autorités morales, de droite comme de gauche, lui aussi pétri de lettres classiques. Ce qui explique mieux ces sorties tonitruantes, prononcées au crépuscule de sa vie et dans ce livre relayées, au grand étonnement de ses intervieweurs. Paris ? « Quand les touristes américains débarquent, ils restent à Saint-Germain-des-Prés. Comme s’ils étaient venus en Suisse. Paris, c’est bougnoule city ! » La presse de gauche ? « Les Inrocks, Libé, c’est impossible à lire ! » Le passé de la France ? « La France vient de la Révolution, du jacobinisme. C’est une catastrophe. À cause de la Révolution de 1789. Tout part de là, cette espèce de bolchevisme à la française ! » La Seconde Guerre mondiale ? « Quand tu étudies sérieusement l’Histoire de France, tu découvres que les premiers résistants étaient des mecs des Croix-de-Feu, les mecs du colonel de La Rocque, c’est-à-dire des mecs d’extrême droite qui, eux, ne voulaient pas des Allemands. Tandis que les cocos, ils se sont très bien accommodés de ça. Ils étaient collabos parce qu’ils s’étaient associés à Staline, ils étaient copains, ils dénonçaient tous les mouvements de résistance, dont beaucoup de mouvements juifs ! » L’avenir de la France ? « On ne va nulle part, je ne vois plus d’avenir. Bon, moi je suis vieux. Mais les jeunes ? Ma petite-fille, par exemple, croit toutes les conneries qu’on lui débite à la Sorbonne. Les jeunes n’ont plus de défense. Les profs de gauche leur décrivent un monde qui n’existe pas ! »
Certes, le langage est fleuri ; mais, avec ses mots à lui, Marc Zermati dit peut-être un peu fort ce que tant de Français pensent tout bas, avec lui. Pour résumer, rockeur rebelle un jour, rockeur rebelle toujours !
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2 commentaires
M. Onfray dit, c’est la fin d’une civilisation. Je crois plutôt que c’est la fin de vieilles nations européennes.
..Hélas , nous faisons tous le même constat ..Depuis les années 60/70 , nous avons vus notre société se désagréger , lentement mais surement ..Un pays , dirigés pas des incompétents et se conformant aux dogmes d’une gauche qui avait su gangréner la société . Et, plus grave , un possible retour en arrière semblant improbable voire impossible ..