[LE GÉNIE FRANÇAIS] Roland Moreno : des cartes à puce par milliards

C’est un mélange de professeur Tournesol, de Gaston Lagaffe et de l’inspecteur Gadget.
Zoem217, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
Zoem217, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Inventeur surdoué, intuitif, visionnaire, autodidacte, drôle et attachant, c’est un mélange de professeur Tournesol, de Gaston Lagaffe et de l’inspecteur Gadget. Mais le personnage en chair et en os est bien réel. Et il n’est pas là que pour amuser les enfants mais aussi pour être pris au sérieux par les grandes personnes. Dont un banquier, ingénieur polytechnicien, qui va « sauter au plafond » quand l’autodidacte Roland Moreno va lui présenter son projet.
Car il faut souvent deux génies, pour faire aboutir une grande idée : celui qui la maîtrise et celui qui y croit et a les moyens de lui apporter les fonds, le nerf de la guerre.

La bague électronique, trop « science-fiction »

On est en mars 1974. Il y a 51 ans. Dès que Roland Moreno présente au banquier le concept génial de sa bague électronique, celui-ci « grimpe aux rideaux » (c’est l’expression même de l’inventeur), percevant déjà sans doute une immense invention dont le monde entier allait profiter. En effet, le créateur revient à la banque avec son projet sous le bras : une planche recouverte de fils électriques qui partent dans tous les sens. Avant la carte en plastique, il propose une chevalière ou bague électronique, mais jugée trop « science-fiction » pour la vingtaine de banquiers présents, pourtant très enthousiastes. Il lui faudra patienter encore neuf ans…

Il tient sa passion de sa mère

Né en 1945 au Caire, Roland Moreno arrive à l’âge de trois ans à Paris avec sa mère, qui adore la France. Il a dix ans quand elle lui transmet la passion de l’électronique en lui offrant un kit d’initiation. Son instinct maternel lui souffle qu’il est surdoué ; elle est obsédée par sa réussite : « Tu feras Centrale. » Mais il abandonne ses études après un an à… la Sorbonne ! Comme il échoue en lettres à un point près, il considère que les études ne le concernent plus.
À 23 ans, il a déjà fait toutes sortes de petits boulots : coursier, maquettiste publicitaire, balayeur, distributeur de prospectus. Puis il choisit le journalisme et se fait embaucher comme pigiste pour le magazine Détective. Il n’est pas gardé. Il tente la revue L’Express, où il n’est que garçon de courses. On devine qu’il a une bonne plume, mais Roland Moreno n’est pas du sérail.

Désordre créatif

Roland se rend compte qu’il y a une clientèle pour des gadgets électroniques amusants et qui ne servent à rien ! Il se met à en fabriquer : des machines qui font sauter des allumettes en l’air ; un oiseau mécanique qui chante ; le « Matapof », une boîte pour tirer à pile ou face ; le « Pianok », un mini-orgue qui tient dans la main ; un logiciel, le « Radoteur » : dictionnaire de mots inventés et de néologismes. Mélomane, il crée le « Bachotron », une réorchestration électronique de morceaux classiques. Etc. Tout un bric-à-brac d’inventions originales, loufoques et souvent inutiles. Impossible de dresser ici la liste intégrale de ses brevets.

Une des grandes inventions du XXe siècle

C’est donc neuf ans plus tard, en 1983, que le système révolutionnaire de Moreno, la carte à microcircuit, ou carte à puce, sera commercialisé. Définition littérale : « carte en matière plastique, en papier ou en carton, de quelques centimètres de côté et de moins d'un millimètre d'épaisseur, portant au moins un circuit intégré capable de contenir de l'information ». Une première application : son usage dans les cabines téléphoniques.
Philips, IBM et Siemens auraient employé d’énormes moyens pour faire annuler les brevets de Roland Moreno, mais sans succès. Les utilisations de la carte magique sont infinies : cartes d'identité, d'accès aux bâtiments, d'assurance maladie, carte SIM pour smartphone, paiement bancaire, titre de transport (Navigo, Vélib'… à Paris), etc.
En 1980, le groupe industriel Schlumberger fait décoller la carte à puce en investissant dans la société de Roland Moreno, Innovatron, fondée dès 1972. Et notre inventeur iconoclaste devient un chouchou de la télévision. Il est invité partout pour raconter son parcours rocambolesque.

Ses filles témoignent

L’une, Marianne, raconte : « J’avais 10 ans et ses gadgets étaient nos jouets. Nous adorions le regarder travailler. Son bureau était un bazar, avec des tiroirs remplis de composants électroniques. Mon père passait son temps avec son fer à souder. » Et Julia d’ajouter : « Toute sa vie, il n’a fait qu’inventer. À sa mort, j’ai trié des cartons entiers de brevets. Jour et nuit, il était collé à son ordinateur. Il ne dormait que trois heures. »

Déconographie

Heureusement pour lui, le journalisme l’a ignoré. Car notre génial inventeur possède également une belle plume et il le prouvera en publiant, en 1990, un livre à son image, bouillonnant et hilarant, où le dérisoire cache la pertinence. Il y parle de tout, avec anecdotes, humeurs, étonnements, découvertes et explications du monde. Ce sera un best-seller, toujours en vente aujourd’hui : le contenu très riche aurait peut-être mérité un titre plus valorisant que Théorie du bordel ambiant. Déconographie, par exemple (terme utilisé par un critique).
2012. Roland Moreno meurt à 65 ans d’une embolie pulmonaire. À ce moment-là, tous les Français ont déjà dans leurs poches une carte à puce et six milliards de cartes sont imprimées de par le monde. 200 millions sont toujours fabriquées, chaque année. On dira de lui que si Moreno avait été américain, il aurait connu la célébrité d’un Steve Jobs ou d’un Bill Gates. Mais le génie français ne sait pas se vendre.

Ce génie charmant et attachant nous laissera le souvenir d’un homme qui a gardé toute sa vie un côté enfant et modeste, malgré les 150 millions qu’a rapportés sa magnifique invention à sa société. Le bonheur de cet amoureux de la France reposait sur trois réalités, selon son propre aveu : le fait d’avoir donné du travail à dix mille personnes pendant une crise de l’emploi ; la Légion d’honneur en récompense de son œuvre, mais surtout son entrée dans les dictionnaires Larousse et Robert - la reconnaissance suprême !

Picture of Antoine de Quelen
Antoine de Quelen
Ex-publicitaire et rédacteur pour la télévision

Vos commentaires

14 commentaires

    • Une quinzaine de voies publiques nouvelles portent le nom de Roland Moreno en France :

      Rovaltain, le parc technologique de Valence-TGV à Alixan (Drôme) ;
      Parc d’activités des Rives créatives de l’Escaut, Anzin ;
      Blois (Loir-et-Cher) ;
      Zone commerciale Auchan de Chauconin-Neufmontiers ;
      Zone industrielle du Brezet à Clermont-Ferrand ;
      Chauconin-Neufmontiers (Seine-et-Marne)
      La Chaussée-Saint-Victor (Loir-et-Cher) ;
      Zone commerciale Carrefour, à Évreux ;
      Parc d’activités des Épineaux, à Frépillon (Val-d’Oise) ;
      Parc d’activités Les Pierrailleuses à Granzay-Gript (Deux-Sèvres) ;
      Noyal-sur-Vilaine (Ille-et-Vilaine) ;
      Zone d’activités de Liauze à Pont-l’Abbé-d’Arnoult (Charente-Maritime)
      Les Sables-d’Olonne (ancienne rue André-Marie Ampère de Château-d’Olonne) ;
      Zone de Queue-Ane, à Saint-Sulpice-de-Royan (Charente-Maritime) ;
      Parc d’activités communautaires Angers-Saint-Léger à Saint-Léger-de-Linières (Maine-et-Loire).

  1. J’ai connu Roland, son « atelier », en effet, un bordel ambiant ! Roland était uniquement passionné par ses recherches. Son invention aurait du en faire le Bill Gates français … sauf qu’il se désintéressait totalement de l’argent et que, de toutes façons, le niveau de la fiscalité française l’aurait plutôt ruiné !!!

    • DI CLUZ : nous en avons encore et beaucoup (Jean Pierre Petit entre autre !) mais le système socialiste toujours aussi buté et encré dans sa doctrine mortifère depuis 1789, laisse grande ouverte la porte du magasin des trouvailles, aux étrangers qui ne se privent pas de faire leurs emplettes en toute tranquillité.

  2. Merci, monsieur de Quelen de nous rappeler le nom de cet inventeur et cette belle histoire de vie.

  3. Les banques avaient trouvé un moyen de réduire le recours à la monnaie banque centrale. Elles fonctionnaient en circuit fermé. C’était aussi un argument pour la carte.

  4. Dans un pays socialo-communiste, les génies s’en vont voir ailleurs si l’herbe est plus verte !

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