[ENTRETIEN] « La science du conclave n’est pas une science exacte »

La période de pré conclave est très importante : elle oblige les cardinaux à mieux se connaître.
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Comment se déroulera l'élection du futur pape ? Quel sera le profil du futur chef de l'Église ? Quel camp (progressiste ou conservateur) pèsera le plus au conclave ? Réponses avec Christophe Dickès, historien du Vatican auteur, entre autres ouvrages parus, de Pour l'Église. Ce que le monde lui doit (aux Éditions Perrin).

 

Sabine de Villeroché. Qui désignera le futur pape pour succéder à François ?

Christophe Dickès. Après la mort d'un pape, il y a toujours neuf jours de deuil ; ensuite s'ouvre ce qu'on appelle la période de pré-conclave, qui réunit 250 cardinaux, dont 135 électeurs. Les autres ne votent pas. C’est une période importante pendant laquelle les cardinaux discutent entre eux de façon formelle et informelle, à la fois pour déterminer quels sont les défis de l'Église catholique aujourd'hui et demain et, en même temps, et par voie de conséquence, dessiner le portrait de ce que doit être le futur pape. À l’occasion de ce pré-conclave, tous les cardinaux peuvent prendre la parole durant quatre ou cinq minutes lors des congrégations dites générales. Il ne s’agit pas pour eux, de mettre leur candidature en avant mais il y a des personnages qui, pendant ce pré-conclave, peuvent jouer un rôle important dans l’élection en portant des noms. Ce sont les faiseurs de papes.

À cette heure, les cardinaux ne se connaissent pas ou peu. Ils sont obligés de prendre du temps (entre six jours et deux semaines) pour savoir qui est qui. Une présentation de chaque cardinal, sorte de trombinoscope, est d’ailleurs distribuée à tous. Et ce n'est qu'après cette période de vie pré-conclave que les cardinaux électeurs entrent en conclave. Conclave vient du latin cum clave, littéralement « avec la clé » : ils sont là enfermés au sein du Vatican et n’en ressortent que le jour où celui qui a été élu a accepté son élection. Car ce qui fait un pape, c'est d'abord l'élection en elle-même, et aussi le fait que la personne qui est élue accepte (elle peut très bien refuser la charge, ce qui oblige à un nouveau vote).

 

S. d. V. Comment se déroule un conclave ?

C. D. Le conclave débute par une messe placée sous le signe du Saint Esprit qui sera dite par le cardinal Re, doyen du collège cardinalice. Puis les cardinaux entrent en procession et prêtent serment sur la Bible en s’engageant à garder le secret et à voter en conscience sans influence extérieure. Le premier jour, il y a un tour de scrutin et, les jours suivants, il y a quatre tours de scrutin. Pour ma part, je pense que l'élection se fera en deux ou trois jours. L’élection se fait aux deux tiers des voix.

 

S. d. V. Le bruit court que lorsque le pape François a nommé 108 nouveaux cardinaux, l’équilibre qui jusque-là était maintenu entre les camps progressiste et conservateur a été bouleversé. Qu’en pensez-vous ?

C. D. Ce n’est pas faux. Mais la catégorie progressiste versus conservateur ne correspond pas vraiment à une réalité plus complexe et nuancée. Il n’y a pas une unanimité sur des sujets aussi divers que la prêtrise d’hommes mariés, les femmes diacres ou la messe en latin ou, encore, la question des structures de pouvoir dans l’Église. Même si, aujourd’hui, il y a un pôle conservateur et un pôle progressiste, la complexité caractérise le ventre mou du conclave qui va faire l'élection. La question est de savoir si le ventre mou sera suffisamment lucide sur ce qui va se passer. Le cardinal Bergoglio a été élu sur une vision de l'Église. Mais une fois élu, il a rencontré l'opposition de beaucoup de cardinaux qui avaient voté pour lui sans connaître ce cardinal de manière approfondie. C’est pour cela que la période de pré-conclave est très importante : elle oblige les cardinaux à mieux se connaître. Aujourd'hui, il y a même un site Internet The College of Cardinals Reports" qui donne en quelque sorte l'option de 22 papabili, c'est-à-dire des personnages qui pourraient être élus. Le site a l’avantage de donner le positionnement de chacun d’entre eux sur divers sujets.

 

S. d. V. Quel sera le pape de demain, issu du camp progressiste ou du camp conservateur ?

C. D. Je pense que les choses sont beaucoup plus ouvertes que lors du conclave précédent. Autant le cardinal Bergoglio a été poussé par une frange progressiste - le cardinal belge Daneels a clairement dit que plusieurs cardinaux progressistes avaient poussé sa candidature -, autant, aujourd'hui, les choses sont bien plus ouvertes. Mais la science du conclave n’est pas une science exacte. La preuve ? En 2005, j’avais rencontré un des plus grands spécialistes de la papauté qui m’affirmait que le cardinal Ratzinger ne serait absolument pas élu. On connaît la suite. Cette fois-ci, la notion de parti (conservateur/progressiste) est diluée dans cette masse de 135 cardinaux. C’est d’ailleurs la première fois qu'il y a autant de votants.

 

S. d. V. Quelles sont les grandes figures des papabile qui émergent ?

C. D. On parle beaucoup du cardinal Parolin, le numéro deux du Saint-Siège : il connaît parfaitement la Curie, ce qui peut être un avantage parce que le pape François a créé un fossé entre lui et la Curie. Or, les cardinaux ont besoin de voir que le pape travaille correctement avec la Curie, ce qui n'a pas été le cas avec François. Et c'est pour cette raison que certains pensent que les choix se porteront sur un cardinal italien, qualité essentielle, si je puis dire, pour parler avec la Curie romaine.

Le nom du cardinal Tagle, Asiatique, très proche de la ligne du pape François, est aussi évoqué, ainsi que celui du cardinal Zuppi, Italien, vraiment très à gauche. Au centre, le cardinal Ouellet, Canadien et vieux connaisseur, aussi, de la Curie, pourrait être un choix de compromis, tout comme le cardinal français Aveline. Mais je ne crois pas à l’élection d’un pape jeune : je ne crois pas les cardinaux prêts à élire un pape qui resterait au pouvoir 20 ou 25 ans, à l’instar d’un Jean Paul II. À droite, citons Pizzaballa, patriarche de Jérusalem, lui aussi très jeune, ou le cardinal Sarah, représentant la branche minoritaire mais très médiatique et très aimé. Je le vois davantage en faiseur de papes qui pourrait porter un candidat.

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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

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