[L’ÉTÉ BV] [LIVRES] Le Grand Orient, sous l’œil critique de Michel Maffesoli

GRAND ORIENT

À l'occasion de l'été, BV vous propose de redécouvrir des livres qui ont marqués l'année écoulée. La série commence avec Le Grand Orient : Les lumières sont éteintes de Michel Maffesoli. 

À la fin du XVIIIe siècle, dans son opéra La Flûte enchantée, Mozart représentait une apologie de la franc-maçonnerie naissante. Aujourd’hui, deux siècles plus tard, les francs-maçons relèveraient plus de l'opérette. Tamino et Pamina, Sarastro ou Papageno pourraient être députés, maires, présidents d'un conseil départemental, chefs d’entreprise et autres. Leur quête initiatique serait de se servir au lieu de servir et d’élever leurs âmes. Mais lorsque l’arrivisme et la médiocrité du combat politicard remplacent la fraternité dans une quête spirituelle, le but est dévié, l’âme est corrompue, elle se détourne des chemins initiaux.

C’est ce que déplore et dénonce Michel Maffesoli dans son dernier essai et pamphlet Le Grand Orient, les lumières sont éteintes, car cette lumière est devenue trop souvent un pauvre lumignon éclairant la quête illusoire des vanités.

Ce qui plaît, chez Michel Maffesoli, que l'on pourrait volontiers définir comme un penseur impertinent et donc libre, c’est cette acuité du discernement. Elle l’amène, quel que soit le sujet et à travers le dédale étymologique des mots, simples ou complexes, et une foule de références éminemment choisies, à rechercher non pas la Vérité, celle qui fait rêver parce qu’elle nous échappe, mais l’une ou l’autre de ces vérités qui tournent autour. Faire éclater par l’intelligence la gangue du conformisme clos et des discours bien-pensants, pour laisser paraître le vide fondamental et l’imposture qui les fonde, et ce, au terme d’une analyse percutante et irréfutable. Loin de l’abrutissante litanie des analyses médiatiques, pleines des valeurs de la République et d’un modernisme éculé, son écriture pétille joyeusement. Il dénonce en bloc le psittacisme, ou art du perroquet, des journalistes, l’aveuglement d’un progressisme qui tourne en rond, le machiavélisme pathétique de gouvernements à la dérive, maniant les peurs et les hypocondries pour se maintenir, le délabrement d’une époque moderne en état de momification, la secessio plebis, ou fracture entre le peuple et ses pseudo-élites, sujet tabou par excellence. Il annonce les soulèvements en gestation dans un monde où, selon l’expression de Bergson, le clos a remplacé l’ouvert.

Et c’est bien de cela qu’il est question dans son livre. Conçu à l’origine pour le progrès des âmes, le Grand Orient de France s’est enfermé dans les poncifs du monde actuel. Dès lors, la mouvante tolérance a laissé la place au sectarisme le plus rigide.

Voilà une obédience, une communauté d’initiés, c’est-à-dire de gens qui ont choisi d’explorer ensemble, comme dans l’antique Eleusis, les mystères de la vie et de la mort, les liens entre le visible et l’invisible, et de construire, en maçons et en frères, leur destin individuel. Voilà donc cet ordre initiatique accroché à un monde mourant, devenu une sorte de club où l’on vient chercher les instruments d’une carrière. Et d’où s’en vont les initiés authentiques, ceux qui cherchent les lumières, et où reste tout un monde d’arrivistes qui barbotent.

Michel Maffesoli montre brillamment et sans concession comment tout cela s’est fait et perdure. Il n’est qu’à voir les titres des chapitres : « Wokisme maçonnique », « Gouvernement de boutiquiers », « Le poisson pourrit par la tête », « Abâtardissement »…

Comme l’Église catholique qui a troqué le sacré pour l’esprit pratique et un idéal de kermesse, le Grand Orient est aujourd’hui en déshérence. Il s’est coulé dans un monde moderne intolérant et sectaire, il a abandonné le sacré sans voir que ce monde a de plus en plus - c’est le titre d’un autre de ses livres - la nostalgie du sacré. Le livre de Michel Maffesoli est précisément un appel au respect du sacré : la quête initiatique plutôt que la recherche des vanités. Le poisson a pourri par la tête, dit-il ; c’est aussi l’image de la corruption de l’âme.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 22/07/2024 à 12:04.
Jean-Pierre Pélaez
Jean-Pierre Pélaez
Auteur dramatique

Vos commentaires

14 commentaires

  1. Malheureusement beaucoup de frères en profitent pour tisser leurs réseaux au détriment de ceux qui n’en font pas partie.
    J’en sais quelque chose car j’en ai été victime, ils n’hésitent pas à vous mettre la tête sous l’eau, pourvu qu’ils arrivent à leur fin.
    Dissoudre ces organisations serait l’idéal, mais les décideurs en faisant partie, autant rêver.

  2. Ce n’est pas Da Ponte qui était le librettiste de la ZauberFlöte, mais Emmanuel Schikaneder, un ami de Mozart, directeur d’un théatre privé à Vienne, Les deux hommes étaient Francs-Maçons de la même loge, dans laquelle ils ont aussi fait entrer Haydn. Schikaneder chantait aussi et il a été le premier Papageno. L’opéra était en Allemand, comme l’Enlévement au Sérail. Le Grand-Prêtre Sarastro évoque bien sur Zoroastre. Un autre compositeur a écrit une « Tragédie-Lyrique » en 1749, intitulée « Zoroastre ». C’était Jean-Philippe Rameau, qui n’était pas Franc-Maçon, mais son librettiste, Louis de Cahusac, l’était !

  3. Je partage les conclusions de l’auteur sur ce qu’est devenue la maçonnerie notamment celle représentée par le Grand Orient, complètement dévoyée
    Mais je voudrais ajouter mon témoignage
    Il existe encore une maçonnerie traditionnelle (dont j’ai fait partie il y a maintenant très longtemps)
    La loge à laquelle j’appartenais s’appelait « travail famille patrie », le premier terme étant particulièrement adapté à ce qu’est la maçonnerie, les deux autres reflétant les convictions profondes de cette loge chrétienne où la croyance en Dieu était une condition d’admission
    Aucun d’entre nous ne s’occupait dans ce cadre de sa carrière ou de celle des autres, encore moins de politique
    Nous étions à la recherche d’un approfondissement de nos connaissances et d’une meilleure compréhension de nous-mêmes et des autres essentiellement par un travail personnel sur des textes philosophiques
    Lorsque je l’ai quittée, il ne s’est rien passé dans ma vie personnelle ou professionnelle et je n’ai fait l’objet « d’aucune vindicte de qui que ce soit »
    Il faut donc être prudent lorsqu’on évoque la « Maçonnerie », il existe encore une « Maçonnerie de tradition », héritière du compagnonnage

    • « il existe encore une « Maçonnerie de tradition », héritière du compagnonnage » C’est vrai, mais elle est plus discrète que celle qui d’est dévoyée dans les gamelles politiques et affairistes.

  4. « Qui veut faire l’ange fait la bête », a écrit Pascal dans ses Pensées. Cette sentence s’applique parfaitement aux francs-maçons, qui oublient que pour se perfectionner il faut commencer par se mortifier et prier, faute de quoi ils sont misérablement emportés par leur orgueil et leur vanité à être supérieurs aux autres. C’est un écueil sur lequel s’échouent également des religieux sincères. Et comme le dit Pascal, ce qui les attend et par conséquent le monde, c’est le malheur. Mais en ce qui concerne les francs-maçons, il s’agit le plus souvent d’adhérer à la FM pour s’élever sur un plan strictement matériel en profitant des relations que cette appartenance leur apporte. Bravo à l’auteur, Jean-Pierre Pélaez, pour son article très juste !

  5. La plupart des maçons que j’ai rencontrés dans ma carrière étaient des affairistes qui se servaient de leur réseau pour gagner de l’argent, une distinction ou un poste, ce n’était ni des penseurs, ni des philosophes, l’avenir de l’humanité était bien la dernière chose à laquelle ils pensaient.

  6. La Franc maçonnerie a perdu son essence initiale ,elle est devenue un refuge pour avoir un carnet d’adresses permettant des relations bénéfiques et lucratives. Comme une religion les membres sont partisans et sectaires et leur goût du secret les rend impopulaires.

  7. La maçonnerie est une secte doublée d une mafia qui a pour but de détruire la France chrétienne tout simplement

    • Essentiellement le catholicisme, les Protestants étant curieusement respectés (origine anglo-saxonne de la Franc-Maçonnerie affairiste).

  8. Quand on voit le niveau des politiques et que l ‘on sait que beaucoup d ‘entre eux sont francs-maçons , on comprend tout de la décrépitude de toutes ces obédiences !!

  9. Pendant une trentaine d’années, sceptique d’abord, effaré ensuite puis dégouté, j’ai observé, au sein de l’une des institutions sensibles d’un domaine régalien, la conquête du pouvoir par le GOF.
    J’ai d’abord vu des individus, médiocres mais encore capables de faire le travail, accéder aux responsabilités au détriment des plus compétents.
    Au fil des années, ce sont d’authentiques incapables qui sont venus coiffer certains départements cruciaux au bon fonctionnement général.
    Et tout leur fut pardonné, échecs cuisants comme parfois, malversations.
    Certes, parmi ces frères, il y avait quelques individus sortant nettement du lot, mais entourés de courtisans pitoyables.
    Initialement symbiote de la jeune République, la francs-maçonnerie n’en est plus actuellement que le parasite.
    Le résultat est à l’exact opposé de ce que préconisait Churchill en matière de choix des responsables : l’homme qu’il faut, là où il le faut, quand il le faut.

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