Kris Kristofferson : ce hippie conservateur qui nous a quittés

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Avec la mort du chanteur et acteur Kris Kristofferson arraché, à l’âge vénérable de 88 ans, à l’affection des mélomanes et des cinéphiles, ce 28 septembre, les USA sont en deuil. Enfin, pas tous ; tant il incarnait une certaine Amérique : celle d’autrefois.

Ainsi, celui qu’on pourrait qualifier de hippie conservateur a vu le jour le 22 juin 1936, à Brownsville, Texas. Fils d’un général de l’US Air force, il commence par mettre ses santiags dans les traces de son père en s’engageant dans l’armée en tant que pilote d’hélicoptère, tout en commençant à écumer, guitare en main, les clubs et les bouges allemands, là où il est caserné.

En 1965, il lui faut bien choisir : enseigner l’art de la guerre à West Point, la prestigieuse université militaire qu’on sait, ou devenir chanteur de country, le blues des Blancs. L’armée y perd ce que l’art y gagne, car c’est la seconde voie qu’il choisit, sans jamais rien renier de son passé.

Hormis sa gueule d’ange et sa carrure d’athlète, Kris Kristofferson se révèle rapidement compositeur hors pair. L’une de ses premières chansons ? Me and Bobby McGee, tout simplement. Un tube qui n’en est pas tout à fait un lorsqu’il l’interprète, mais qui deviendra le premier (et dernier) numéro un dans les charts, lorsque transcendé par Janis Joplin. Cela, elle ne le saura jamais, ayant rendu l’âme le 4 octobre 1970, quelques jours après avoir enregistré ce qui ne tarde pas à devenir un standard américain, façon Hymne à l’amour d’Édith Piaf, chez nous.

Proche de Sam Peckinpah - cinéaste qu’on peut qualifier, sans prendre grand risque de se tromper, « d’anarchiste de droite » -, Kris Kristofferson devient, tôt, acteur. De sa carrière hollywoodienne, les médias ont évidemment célébré Une étoile est née, de Frank Pierson (1976), où il partage l’affiche avec la diva Barbra Streisand. Mais plus intéressants sont ses trois films tournés sous la houlette du Sam Peckinpah plus haut cité : Pat Garrett et Billy le Kid (1973), Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (1974) et Le Convoi (1978), là où il incarne la figure emblématique de l'Américain d'avant, désarçonné par la modernité à venir. En effet, ces deux hommes étaient nés pour s’entendre, tant leurs personnalités, à la fois rebelles et réactionnaires, les faisaient chérir l’Amérique des pionniers ; celles où les frontières n’existaient pas et dans laquelle la Maison-Blanche ne faisait pas encore la loi.

Ajoutons à cela que les deux comparses étaient solides buveurs et amateurs de marijuana. Ils se voyaient tous les deux cow-boys et, de fait, plus ou moins hors-la-loi. D’où le ralliement logique du défunt au mouvement outlaw country, destiné à désembourgeoiser une country music devenue à leurs yeux par trop conventionnelle.

Là, il se trouve en bonne compagnie : les regrettés Johnny Cash et Waylon Jennings, sans oublier Willie Nelson, autre légende de la discipline, qui vient de fêter ses 90 printemps.

Soulager la détresse des fermiers américains

C’est donc tout aussi logiquement, en pleine hystérie humanitaire Live Aid (ces concerts censés venir au secours d’Éthiopiens en pleine famine), que certains artistes inclassables, dont le même Willie Nelson, décident de porter secours à d’autres déshérités, mais de chez eux : les fermiers américains. Kris Kristofferson ne pouvait qu’en être. Il en sera, nonchalant, comme à son habitude. Ce sera donc le festival Farm Aid, qui perdurera près de vingt années durant.

Et c’est toujours en dilettante qu’il poursuit son petit bonhomme de chemin, alignant plus d’une vingtaine de disques enregistrés à la coule, avec des amis choisis, tout en poursuivant sa carrière sur grand écran. À la consternation de certaines de ses connaissances des plus progressistes, on le voit ainsi dans Vigilante Force, de George Armitage (1975), en nos contrées rebaptisé Milice privée, dont le titre se passe de commentaires, et récemment réédité en DVD.

Proche d’un autre déclassé d’Hollywood, Mel Gibson

On le voit ensuite dans Payback (1999), l’un des meilleurs films d’un autre outsider, un certain Mel Gibson. Puis ce sera la trilogie Blade, revisitant brillamment le film de vampires, dans laquelle il apparaît, sous la caméra inspirée de Guillermo del Toro, en mentor de Wesley Snipes, ici mi-homme mi-créature de la nuit. Un rôle tout en nuances… tout comme lui.

À l’aube des années 2020, Kris Kristofferson décide d’enfin prendre sa retraite. Il affiche alors 84 printemps et n’a jamais cessé d’être un homme libre, s’étant toujours conduit comme tel.

On espère que là où il se trouve désormais, les vertes prairies sont toujours aussi belles. Car dans son genre, voilà un homme qui, droit dans ses bottes, n’aura jamais démérité.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Bel hommage, amplement mérité de surcroît !… Il n’y a rien à ajouter à ce portrait fort juste et concis. Pour ma part, J’ai particulièrement apprécié les trois films qu’il a tournés « sous la houlette » (sic) de Sam Peckinpah.

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