« La Cour des comptes devrait chiffrer les coûts réels de l’insécurité »

Christophe Eoche-Duval est l'auteur de l'ouvrage Le Prix de l'insécurité, enquête sur une défaillance de l'État.
Christophe Eoche Duval

Essayiste, haut fonctionnaire et conseiller d'État, Christophe Eoche-Duval est l'auteur de l'ouvrage Le Prix de l'insécurité, enquête sur une défaillance de l'État, publié aux Éditions Eyrolles en 2024. Heurté par la montée de l'insécurité en France et l'inaction de l'État, il a pris la décision d'étudier les données opaques de l'insécurité afin de rendre ces chiffres visibles et compréhensibles pour les Français. Ayant posé ce diagnostic inquiétant, il ne se contente pas d'alerter mais propose une solution. Il répond à BV.

 

Raphaëlle Claisse. Pourquoi avez-vous trouvé urgent de dévoiler aux Français le prix de l'insécurité ?

Christophe Eoche-Duval. Je suis comme un chercheur sur l’insécurité, mais qui a vécu une expérience in vivo. Cette recherche sur les causes de la montée de l’insécurité remonte à une trentaine d’années. L'idée m’est venue après avoir vécu le « meurtre de la route » d’une cousine proche, en 2001. J’ai vu, impuissant, une famille trois fois victime : une première fois par l’abolition de la vie d’une jeune maman de 38 ans ; une deuxième fois par l’injustice judiciaire avec une peine de « trois ans d’emprisonnement avec sursis, deux ans d’annulation du permis de conduire, 600 euros d’amende » censée réparer l'homicide ; et une troisième fois avec les conséquences post-traumatiques de ce drame, puisque j’ai vu cette famille - ses parents - s’effondrer de chagrin.

Depuis, les hommes et femmes politiques ont crié sur les plateaux télé « Plus jamais ça ! » Sauf que les grands-parents et parents du petit Yanis, victime d’un autre « meurtre de la route », le 6 février 2021 à Villeneuve-de-Raho, viennent de voir l’auteur de l’abolition de la vie de ce garçon de 8 ans « puni » par le tribunal correctionnel de Perpignan de… deux ans de prison avec sursis ! Rien ne change, parce que le logiciel « judiciaro-étatique » ne change pas. Ou, plutôt, ne veut pas changer.

 

R. C. Pourquoi la France semble-t-elle incapable de punir ?

C. E.-D. Mon enquête montre que le problème vient de ce logiciel de pensée qu'utilisent finalement toutes les majorités politiques depuis une trentaine d’années, voire plus. Ayant connu Alain Peyrefitte [homme politique, diplomate et écrivain, NDLR], je me souviens très bien de la levée de boucliers contre sa loi « Sécurité et Liberté ». Dans presque 100 % des homicides, pour quelque cause que ce soit, on trouve une forme plus ou moins grave, explicite ou implicite, de défaillances d'État : soit en amont, l’homicide aurait pu être évité (il suffit de penser à tous ces féminicides où le monstrueux passage à l’acte aura été précédé de multiples signaux), soit c’est en aval, la Justice a multiplié les défaillances qui, sans parler d’une réparation indigne, est cause de réitérations d’homicides « par imprudence » (c'est un euphémisme) : 340 auteurs d’homicides sur les dix dernières années déjà condamnés à un précédent homicide, j’appelle cela 340 fautes de l’État.

 

R. C. Au delà du coût humain, quel est le coût pécuniaire de l'insécurité, en France ?

C. E.-D. Il faut d'abord aborder le coût humain, c'est à dire le « prix de la vie », pour parler franchement. Mais les économistes de la Direction de la sécurité routière le connaissent [ce prix de la vie]. Sauf que les avocats persistent à ne pas réclamer de l’État qu’il indemnise le « juste » prix d’un homicide. Je le regrette, même si je mesure la difficulté de ce combat. J’aurais espéré que mon essai réveille plus de revendications contentieuses. L’autre aspect de votre question, c’est que très peu de chercheurs se sont penchés sur le coût global de la sécurisation d'une nation, c'est-à-dire le coût économico-social de l’insécurité. Dans mon livre, j’ai conduit cette enquête pour l’année 2020. Et j’espère que ceux qui me liront s’approprieront ces enjeux civiques et m’aideront à exiger de la Cour des comptes qu'elle publie, chaque année, les coûts réels d'une insécurité qu’on ne maîtrise plus, alors qu’on racle les fonds de tiroir pour les hôpitaux !

 

R.C. Comment l'État peut-il réduire ces dépenses pour les contribuables ?

C. E.-D. Je propose d’imposer à l’État une obligation de résultat en matière de sécurité. Et en cas d’échec, de lui appliquer le principe du « insécuriseur-payeur » au bénéfice des victimes. Je propose, en fait, que soit imposé à l’État, dans le domaine de la sécurité des gens, le même principe que l'État impose au secteur économique privé, par normes et tribunaux interposés. Cette politique du résultat a fait baisser l’insécurité dans de nombreux domaines, comme par exemple au travail, dans l’industrie et même sur la route. Je m’étonne, d’ailleurs, que le principe de « tolérance zéro » soit systématisé pour les excès de vitesse avec la généralisation de radars sur la route, censés lutter contre la violence routière, mais ne soit jamais appliqué quand il s'agit de lutter contre la délinquance et la criminalité. Il faut l’appliquer à toutes les formes d’insécurité.

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Raphaelle Claisse
Journaliste stagiaire à BV. Etudiante école de journalisme.

Vos commentaires

17 commentaires

  1. Comme on l’a déjà vu maintes fois, la Cour des comptes présente des rapports et émet des pieuses recommandations, mais elle n’a aucun pouvoir pour améliorer les dérives qu’elle dénonce… Alors, à quoi bon écouter cette institution ?

  2. Certes l’état et sa réponse sont imparfaits et c’est regrettable. Pour autant je crains qu’imposer à l’état une obligation de résultat ne mène à une inflation des règles. Cette inflation, poussée à son extrême, pourrait mener à une diminution des libertés, donc à une forma de dictature. Je préfèrerais que les juges soit soumis à évaluation et afin de tout simplifier que les peines soient encadrées par un mini-maxi auquel les juges ne pourraient déroger. Je pense à une solution ressemblant à ce qu’était (ou est encore) le règlement de discipline général des armées qui établissait un barème pour tout manquement.

  3. Le coût réel, vous n’y pensez pas, ça va faire le jeu de l’extrême droite ! On connaît le refrain.

  4. 1/ Nous n’aurions qu’un chiffre sous-évalué
    2/ je préfère, personnellement, ne pas le connaître, pour ne pas tomber en dépression.
    Gigantesque, je m’en tiens là.

  5. L’insécurité est liée à l’immigration , et l’immigration est largement musulmane , deux domaines dangereux et interdits , intérêts électoraux , peur physique , et oui ces gens tuent , les intellectuels et les politiciens jouent donc les autruches .

  6. Tout à fait d’accord, cela est même urgent. Et si cette Cour des Compte était un tant soit peu honnête ou sincère, elle en profiterait pour rajouter le coût des délits meurtres et crimes proférés par les immigrés en les incluant dans le coût de l’immigration, ou dans le montant de l’enrichissement » de cette immigration pour la France.

  7. A court, moyen et long terme, ça doit coûter une fortune. Coûts directs et indirects induits. Difficile à chiffrer tout ça mais on imagine facilement les gouffres budgétaires que ça représente pour l’état et aussi la ruine individuelle et familiale pour les victimes.

  8. Un député renaissance des Vosges propose de faire payer les détenus pour participation aux frais .
    Comme pour les hôpitaux le forfait journalier

  9. Dechéance de nationalité française pour les binationaux délinquants.
    Cela évitera de revoir les récidivistes.
    Tout comme rétablir la double peine automatique pour les délinquants étrangers

    • Pas uniquement déchéance des doubles nationalité , mais également effectuer la peine en France et expulsion direct dés la sortie de Prison sans profiter une seconde de la liberté.

  10. Le coût de l’immigration est un sujet tabou….
    On pourrait fermer la moitié des tribunaux de France

  11. Et si on faisait payer aux ministres députés, sénateurs,juges et procureurs une contribution pour chaque récidiviste ayant commis une infraction grave ayant entraîné une dépense inutile.Et si les procureurs étaient élus tous les cinq ans, Idem pour tous les juges avec obligation de bilan public trois mois avant le scrutin.Et en cas de défaite aux élections, indemnisation six mois à 80% du salaire,puis 60% pour les six mois suivants, puis 40% et donc au bout de 18 mois Zéro.Vous verriez très rapidement qu’ils se garderaient d’être laxistes et de faire les fiers auxquels on ne peut faire aucun reproche.

  12. Est ce que le coût de la sécurité de nos élus est incluse, par exp. 12 gardes du corp pour Darmanin ?

  13. Il faut compter :
    Les intervention de la police
    Les avocats subventionnés par l’état
    Les destructions
    Les cambriolages
    ….
    Les préjudices moraux des victimes et de la populations, soumis à ce laxisme des politiques de tout poils.

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