À l’ère du despotisme sanitaire
Plus que jamais, la lecture de Tocqueville devient la seule véritable urgence. Il faudrait que tous les Français soient invités à lire, sans recevoir bien sûr un passe démocratie après l’avoir fait, le passage hallucinant de clairvoyance qui se trouve dans le chapitre VI du second tome De la démocratie en Amérique : « Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre ? »
Alexis de Tocqueville cherchait un mot pour désigner cette nouvelle forme d’oppression inconnue dans l’Histoire. Encore aujourd’hui, les mots « despotisme » ou « dictature » sont rejetés avec des sarcasmes quand ils visent le régime subi par la France. Tocqueville décrit d’abord un peuple qui est devenu une foule d’individus, « d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs ». Comment décrire autrement ce peuple qui ne va plus voter, mais loue son bon seigneur lorsqu’il desserre un peu l’étreinte, ouvre les terrasses et les restaurants, supprime le confinement et efface le couvre-feu ? Quand il conditionne ces menus plaisirs à l’obligation vaccinale, la majorité de se dire : l’essentiel est de conserver cette façon de jouir de la vie, et pas de pitié pour les récalcitrants. La foule est devenue un troupeau, la bête des gilets jaunes a été domptée. Elle est désormais prête à obéir à tout si on lui préserve ses petits bonheurs.
Qui va le lui assurer ? Tocqueville répond encore : « Un pouvoir [...] qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance. » La crise sanitaire permet à Macron de se lover dans cette niche : veiller à ce que les hommes soient privés de leur autonomie et de leur responsabilité, mais pour leur bien.
« Il dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même… Il couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige. » Eh oui, il faudra savoir qui devra posséder le passeport sanitaire, où il sera obligatoire, par exemple selon la jauge de la salle ou la durée du trajet, ce qui le délivrera, vaccin ou test. À chaque instant, le citoyen se retrouvera en position de sujet doutant de ses droits et peut-être coupable d’une infraction entraînant une amende immédiate, sans procédure judiciaire.
Tocqueville dit encore : « L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait. » Le pouvoir « gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation a n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger »… « Dans ce système, les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent. » C’est bien ce qu’envisage la Macronie : maintenir la pression renouvelée périodiquement par la valse des variants pour que le peuple « sorte un moment » pour renouveler son protecteur et bienfaiteur.
Mais là où Tocqueville se trompe, c’est que l’égalité a désormais disparu du paysage. La « sécurité » sanitaire cache l’insécurité, celle qui a frappé récemment Théo, poignardé pour un litige sur une facture par un « sexagénaire », comme dit Libé, en oubliant qu’il est sénégalais. On pourrait ainsi sans cesse allonger la liste des privilèges accordés à des minorités pendant que la majorité perd sa liberté.
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