À quand une commission parlementaire sur les groupuscules d’extrême gauche ?

BLACK BLOCS

Vendredi soir, le préfet avait la mine grave sous sa grande casquette : on attendait les Black Blocs, dimanche, à Paris. Les renseignements étaient formels, certains viendraient même de l’étranger. Il annonçait cela comme un épisode neigeux qui allait frapper la capitale, une tempête aux vents violents, une attaque de chenilles processionnaires, une offensive de la pyrale du buis ou autre catastrophe naturelle que l’on regarde venir, impuissant, en tentant de prendre quelques mesures préventives pour limiter les dégâts et rassurer la population - les vitrines barricadées des commerçants ressemblaient à celles des DOM-TOM attendant l’ouragan - mais contre laquelle on ne peut rien.

Et, en effet, ils ont débarqué, telle une nuée de sauterelles, là où on ne les attendait pas, à la manif « climat » plutôt qu’à celle des gilets jaunes, et les 7.500 policiers déployés n’ont pu empêcher les vitrines brisées, le matériel urbain dégradé, les poubelles et les scooters brûlés. « Ç’aurait pu être pire », entend-on ici et là, sur les plateaux télés et les chaînes de radio, comme au lendemain du 31 décembre quand, après avoir fait toutes les additions, je rajoute 9 et je retiens 5, on trouve « plutôt moins » de voitures fumantes que l’an passé.

« Ç’aurait pu être pire », mais ç’aurait pu être mieux ! Les Black Blocs sont donc une fatalité ? Selon l’expression consacrée, c’est une « nébuleuse » - avez-vous déjà essayé, vous, d’attraper un nuage ? - et ils ne sont pas « réunis en groupe constitué » : ils n’ont pas déclaré, en préfecture, l’Amicale des Black Blocs en goguette. Il est vrai que leur objet social ferait un peu désordre. Bref, nous expliquent les experts avec une componction résignée : « C’est compliqué. » Et le mot court, comme un écho, sur tous les plateaux télés… Compliqué, compliqué, compliqué ! Si vous tentez une objection, on vous renvoie dans vos 22 : on voit bien que vous ne connaissez pas le sujet, chère Madame. C’est compliqué !

En revanche, intercepter les militants identitaires et les faire lourdement condamner bien qu’ils n’aient rien dégradé semble simple comme bonjour. Fastoche, aussi, d’envoyer manu militari en garde à vue des manifestants de la Manif pour tous qui, pour beaucoup, n’avaient pas commis plus grosse exaction que d’écraser malencontreusement une jonquille sur le gazon. Quant à créer à l’Assemblée nationale une commission d’enquête sur les violences d’extrême droite, dont les conclusions n’ont d’ailleurs pas fait grand bruit… c'est du billard !

Il est, en revanche, abominablement difficile, ardu, problématique, complexe, inextricable - ouh là, là, ça donne mal à la tête - d’envisager une commission d’enquête sur les groupuscules d’extrême gauche… puisque personne ne semble vouloir s’y coller. Pourtant, on serait assez curieux de voir tirer les fils de la pelote, remonter les réseaux, connaître par exemple les affinités, les liens, les ponts, les partages, les proximités de ces réputés insaisissables Black Blocs avec le milieu universitaire, tant côté corps enseignant qu’étudiant, d'ailleurs. Mais pourquoi donc est-ce dans les villes à facs « rouges » comme Toulouse et Nantes que les affrontements sont les plus violents ?

Dans son livre Les Ingouvernables : de l’extrême gauche à l’ultra-gauche violente, plongée dans une France méconnue (Grasset), Éric Delbecque dénonce « la tolérance larvée de l’intelligentsia à l’égard des errements de l’ultra-gauche, de l’extrémisme (ou radicalisme) dit de gauche [qui] encourage les jeunes gens au sang chaud qui veulent en découdre, et rend d’emblée inefficace tout embryon de réprobation collective ».

Et il est vrai, comme il l’écrit encore, que la « galaxie HipPunk », regroupant zadistes, Black Blocs, altermondialistes, animistes extrémistes, etc., « revendique l’héritage des mouvances contestataires agitant les sociétés occidentales depuis les années 50, dont bien sûr le combat écologiste » (fondateur de la désobéissance civile) et « l’héritage gauchiste de mai 68 ».

Ce qui est surtout compliqué, pour des politiques, magistrats, journalistes, universitaires, c’est peut-être de condamner des individus et des agissements qu'ils ont idéologiquement eux-mêmes enfantés ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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