Adieu à Philippe Tesson : courage et sinuosités d’un homme de droite

Philippe_Tesson

Avec la disparition de Philippe Tesson, c’est une part du journalisme de droite qui tire sa révérence. Ce visage et cette voix qui ont tant de fois hanté les plateaux de radio et de télévision avaient de quoi séduire et de quoi irriter.

Le personnage faisait irrésistiblement penser à Jean d’Ormesson, jusqu’à la ressemblance physique. Tous deux étaient journalistes, assez heureux de leur parcours, de leur élégance d’esprit, de leur capacité à réjouir leur public. Ils avaient le brio de ces plumes de salon si profondément françaises et cette culture, ce goût des lettres, des arts, des idées, cet impérieux besoin d’incarner l’élégance de l’esprit, de charmer par les mots, d’éblouir plus que de convaincre, de briller plus que d’assumer ses convictions, d’exister dans l’instant plus que de penser pour l’éternité. Ils se sont pris au jeu au point d’incarner leur personnage sur la pellicule pour d’Ormesson, au point d’aimer le théâtre plus encore que la presse pour Philippe Tesson.

L’homme avait aussi de quoi irriter. Lorsque cette plume de droite traite Zemmour de « puce excitée » (octobre 2018), lutte contre son camp, se contredit pour un bon mot. Lorsqu’il lance que « Marine Le Pen, c'est un produit français, un produit à 30 % au moins de haine », Tesson semble aboyer dans le camp dominant. Mais il est plus complexe. Le 23 décembre 2014, alors qu’Éric Zemmour est renvoyé de la chaîne i>Télé (future CNews) sous les applaudissements de toute la gauche morale qui fait profession de défendre la liberté d’expression, Tesson signe dans Le Point une chronique courageuse et titre : « Zemmour victime d’une censure d’État ».

Il accuse le pouvoir et dénonce « une parade lamentable et lâche à l'impuissance qu'ils montrent depuis des dizaines d'années à conduire une politique d'immigration à la fois généreuse et ferme ». On s’étrangle à gauche. Moins d’un an plus tard, l’élégant bretteur tape à nouveau du poing sur la table, le 14 janvier 2015, au micro d’Europe 1, quelques jours après les attentats djihadistes de Paris et Montrouge, alors que des élèves des lycées refusent la minute de silence : « D'où vient le problème de l'atteinte à la laïcité sinon des musulmans ?, demande-t-il. On le dit, ça ? Eh bien moi, je le dis ! Je rêve ou quoi ? C'est ça, notre problème, actuellement, c'est les musulmans qui mettent en cause la laïcité ! C'est les musulmans qui amènent la merde en France aujourd'hui ! » Nouvel exercice d’indignation à gauche. Poursuivi par le MRAP, il revendique sa liberté de ton : « J'ai toujours été comme ça, je dis ma vérité », précise-t-il. Il sera relaxé en juin 2018.

Le personnage est ainsi fait. En dépit de ses sinuosités, il reste un journaliste ancré à droite « par sa liberté, son originalité, son individualisme », explique à BV le grand journaliste Dominique Jamet, qui fut le rédacteur en chef et éditorialiste du Quotidien de Paris et fondateur de Boulevard Voltaire. « Il avait fait un choix net contre le conformisme, le collectivisme, le socialisme, mais il restait avant tout un homme libre », précise Dominique Jamet.

Un peu trop libre, peut-être ? « C’est quelqu’un qui ne s’est jamais soumis à aucune discipline, aucune consigne, raconte Jamet. Il lui est arrivé de dire du bien d’un homme de gauche ou d’une mesure de gauche : ce n’était jamais le signe d’un ralliement. » L'homme n’est jamais meilleur que quand il joue en contre. Il mène la bataille contre Giscard, puis contre la gauche au pouvoir avec le même refus du dogme. « Il était de toute évidence par toute sa personne, par ses articles, le contraire de ce que sont la plupart de ses confrères », assure Jamet. Au Quotidien de Paris, Tesson laisse la bride sur le cou de ses journalistes. Parmi eux, un certain Éric Zemmour qui lui a rendu hommage.

Au fond, l’homme de convictions aura peut-être souffert de sa passion pour le théâtre. Il aurait assisté à plus de 12.000 pièces. Cette manière de faire de la politique comme sur scène a entretenu un doute sur la réalité de ses convictions. Était-ce volontaire ? Peut-être. Mais ce grand journaliste - je l'ai croisé de nombreuses fois à Radio Classique, j'avais évoqué avec lui, lors d'un déjeuner, l'aventure du Quotidien de Paris - était rusé, matois. « On pourrait le comparer à Voltaire, ajoute Dominique Jamet. Vieillissant, il lui ressemblait de plus en plus. Il avait son esprit critique. Il ne voulait être dupe de rien ni de personne, ni des idéologies, ni des partis. C’était un anti-mouton. » Un format rare, par les temps qui courent.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

7 commentaires

  1. le vrai problème de la droite que Tesson illustrait jusqu’à la caricature, c’est qu’elle a, de temps en temps, des individualités, elle n’a jamais (au moins depuis 1945) de troupes.
    Or c’est avec les troupes qu’on gagne les guerres, jamais avec quelques héros.. qui sont souvent incontrôlables.

    Quelques exemples: Tesson, Zemmour, Maréchal, Dupont Aignant, Bellamy, de Villiers + quelques autres que j’oublie mais peu importe, ceux là pour quels résultats = 89 députés qui proposent une politique de.. gauche ???

    CQFD

  2. Condoléance à la famille, et à son fils Sylvain Tesson que l’on suit avec curiosité d’Homère à la Sibérie. De son père je ne retiendrai que ce qu’en dit Dominique Jamet, que dans un monde de hyènes c’était un « anti-mouton ».

  3. Un journaliste comme on a envi de se les représenter . Il était, en fin de compte, fidèle à l’image que l’on se faisait de lui . Il ne s’est jamais engagé donc n’a jamais été compromis ! Son journal , le Quotidien de Paris ,lui ressemblait .C’est l’ancienne école des Pierre Lazareff patron de journal comme lui . Le problème est que leurs journaux ne leurs ont pas survécus très longtemps, tellement ils en étaient l’incarnation . Toute une époque !

  4. Un vrai journaliste comme on en a plus beaucoup , libre et indépendant , pas à la solde des élus , espèce rare de nos jours .

  5. Un bémol à ce concert de louanges propre à celui qui vient de nous quitter. J’ai de mr Tesson un souvenir u n peu méprisant envers le commun des mortels , ainsi en face d’une assemblée dans une pièce il claironnait à son entourage en ouvrant la porte «  là dedans il n’y a personne »…(on n’est pas loin des réflexions pleines de tact d’un Macron. ) il n’y avait sans doute personne de sa connaissance ni de son niveau, rien que des gens polis susceptibles de l’admirer et mr Tesson pensait qu’ils étaient transparents…et sourds.

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