Adieu, Bertrand Tavernier !

Bertrand Tavernier

Enthousiaste mais réservé, d'une culture encyclopédique, Bertrand Tavernier avait découvert le cinéma dans les années 50 avec Dernier Atout, de Jacques Becker, sorti en 1942. Il souffrait alors dans l'une de ces pensions religieuses de province, glauques et sadiques, qui faisaient partie du paysage français de l'après-guerre. Fils d'un couple de résistants qui publièrent, notamment, Aragon et Triolet pendant la guerre, il vécut le déclassement de sa famille et s'évada de la grisaille, dès qu'il le put, par la porte du rêve sur grand écran. C'était alors l'époque du cinéma américain, dont il deviendra l'un des tout meilleurs connaisseurs et auquel il consacrera un ouvrage de référence.

Assistant de Melville sur le tournage de Léon Morin, prêtre (1961), il est remarqué dès 1974 avec L'Horloger de Saint-Paul. Son style est, dès ce moment, fixé sur la pellicule : à rebours de la « Nouvelle Vague », Tavernier revient à la narration, à l'esthétique classique, aux dialogues écrits. Il n'imite pas les films typiques de la « qualité française », moqués par la jeune génération : il les transcende. On pourrait même dire qu'il fut au cinéma, contre la Nouvelle Vague, ce que furent les Hussards en littérature, contre le nouveau roman. Les films de Tavernier sont de belle facture, réalisés avec souffle et sensibilité : il y met toute son âme.

Bertrand Tavernier ne s'était rien interdit, pas même, à l'opposé de la mode, les films à costume (La Fille de d'Artagnan, notamment, mais aussi l'injustement méconnue Princesse de Montpensier ou la magnifique Passion Béatrice). Il avait aussi réalisé, en adaptant la célèbre BD, Quai d'Orsay, en 2013. Tout le monde a, en ce jour triste, une bonne raison de revoir un film de Bertrand Tavernier. Les amateurs de jazz se souviendront de l'esthétique mélancolique d'Autour de minuit (1986), porté par le standard de Thelonious Monk, revisité par Bobby McFerrin ; ceux qui préfèrent les films de guerre resteront marqués par la lucidité clinique de Capitaine Conan (1996), qui aborde la question du guerrier face à la société qu'il défend. Il y a encore le glaçant Coup de torchon où Philippe Noiret, minable fonctionnaire colonial, se révèle en fou dangereux pour en finir avec l'humiliation, ou encore, toujours avec Noiret mais aussi avec Marielle, Que la fête commence..., chronique de la Régence décadente et du pourrissement de la monarchie.

Les lignes de force de son œuvre étaient, à l'inverse des indignations sur commande, très personnelles et même intimes : lutte contre la laideur du monde, hommage rendu à la tendresse et à la famille, exaspération contre le conformisme bourgeois, intérêt pour les personnages complexes, omniprésence de la question du rapport père/fils, en écho sans doute à un père en faillite, un bourgeois mondain dont il prendra le contre-pied en devenant un homme de gauche sincère, discret et écorché vif.

En un mot, le meilleur hommage que l'on puisse rendre au grand Bertrand Tavernier est peut-être, tout simplement, de revoir un de ses films ! Cinq César, un Lion d'or, ne me dites pas que c'est tout ce qu'il reste d'une vie passée à célébrer le cinéma. Non, ce qu'il en reste, ce qu'il voulait sans doute d'ailleurs qu'il en reste, c'est l'émerveillement devant une histoire belle et puissante, dont les réverbérations demeurent longtemps dans l'esprit du spectateur. Adieu, Monsieur Tavernier.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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