Affaire Pétain : Élisabeth Borne sévèrement taclée par Emmanuel Macron

Les meilleures plaisanteries ont une fin. Le sketch joué par le Premier ministre Élisabeth Borne et le Président Emmanuel Macron n’échappe pas à la règle. La première estime que le Rassemblement national est enfant de Vichy ; le second vient de sévèrement la recadrer, lors du Conseil des ministres de ce mercredi, ordonnant d’éviter les « mots des années 90 » et les « jugements moraux » contre le mouvement de Jordan Bardella.

Ou le sketch en question était écrit à l’avance, et c’est une catastrophe. Ou il était improvisé, et c’est un désastre. Dans les deux cas, c’est pathétique. Mais assez drôle, fût-ce de manière involontaire.

Ainsi, évoquer le maréchal Pétain était-il vraiment finaud, sachant qu'en novembre 2018, Emmanuel Macron avait déjà suscité la polémique en déclarant « Je ne fais aucun raccourci mais je n’occulte aucune page de l’Histoire. Et le maréchal Pétain a été, pendant la Première Guerre mondiale, aussi un grand soldat. Voilà. C’est une réalité de notre pays » ? De même Bruno Le Maire est-il dans son rôle en prenant la défense d’Élisabeth Borne, déclarant, ce matin, sur France Inter : « On peut rappeler parfaitement, comme l’a fait la première ministre (sic), l’histoire du RN tout en combattant le parti sur ses propositions et ses idées. » Là, ce n’est plus de la cacophonie, mais du free-jazz.

.@BrunoLeMaire sur le rappel à l'ordre d'Emmanuel Macron sur le RN : "Le Rassemblement national a une histoire, et surtout aujourd'hui c'est un parti dont aucune des solutions ne fonctionne" #le7930inter pic.twitter.com/X3MaPo3Uj6

— France Inter (@franceinter) May 31, 2023

Assez logiquement, le sketch en question emporte un large succès d’estime au Rassemblement national. Sur BFM TV, Laure Lavalette, députée lepéniste du Var : « Il s’agit d’un non-événement d’une petite femme politique sur le départ », rappelant malicieusement les déclarations de l’irremplaçable Gérald Darmanin, prononcées ce 2 mai sur la même chaîne d’info, à propos de Marine Le Pen : « Ce n’est pas une femme d’État, c’est au mieux une petite femme politique. »

De son côté, son collègue Kévin Mauvieux, député RN de l’Eure, se charge des finitions sur France Info : « Je suis ravi de voir qu’Emmanuel Macron a enfin compris qu’il fallait parler des vraies idées. […] Que tout le monde se mette au travail pour les Français et qu’on mette fin aux "task forces anti-RN" qui, au lieu de travailler pour les Français, travaillent pour la politique. »

Pas faux. De leur côté, les Insoumis exultent, non sans raison. Manuel Bompard, député LFI des Bouches-du-Rhône : « Emmanuel Macron aurait pu recadrer madame Borne le jour où elle a dit qu’elle considérait que La France insoumise et la NUPES, qui sont l’opposition républicaine, étaient plus dangereuses que le RN. » Comme quoi l’anti-lepénisme, à fortes doses consommé, peut rendre fou.

Au fait, le parallèle avec le maréchal Pétain était-il pertinent ? Rien n’est moins sûr. En effet, il n’y a qu’un seul Président de la Cinquième République à avoir reçu la Francisque de ses mains : un certain François Mitterrand. Hasard du calendrier, la sortie du remarquable livre de Sébastien Le Fol, ancien du Point – pas véritablement un brûlot extrémiste, donc –, En bande organisée (Albin Michel), consacré à l’itinéraire tortueux du Florentin durant les années les moins lumineuses de notre Histoire.

Interrogé par nos confrères de Technikart, l’auteur admet : « Moi, on m’a appris que, pendant l’Occupation, seule la gauche avait résisté et la droite avait collaboré. Le Paradoxe français, de Simon Epstein (Albin Michel, 2008), dans lequel cet universitaire israélien dresse un inventaire méticuleux des destins croisés d’antiracistes pacifistes d’avant-guerre et de ce qu’ils sont devenus pendant la guerre, ainsi que d’antisémites d’avant-guerre et de ce qu’ils sont devenus pendant la guerre, a été une révélation pour beaucoup de monde. »

Comme quoi la réalité était toujours plus complexe qu’il n’y paraît. À la naissance du Front national, il y eut beaucoup de résistants, principalement venus de l’extrême droite (Pierre Sergent, Michel de Camaret, Roger Holeindre ou André Figuéras) et quelques rescapés de la Collaboration, mais dont le point commun était un passé communiste (André Dufraisse) ou trotskiste (Roland Gaucher). Jean-Marie Le Pen estimait alors devoir rassembler tous ces gens au nom de la lutte anticommuniste.

Mais cela, Élisabeth Borne, dont l’ignorance est encyclopédique, ne le sait pas, tout comme Bruno Le Maire. Logique : on saurait en même temps lire des livres d’Histoire et en écrire d’autres à ne lire que d’une main. En attendant, plus fort que Shirley et Dino, le duo Babeth et Manu s’est surpassé. Le jour où ils rendront service à la politique en arrêtant d’en faire, une grande carrière les attend dans le music-hall.

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