Afghanistan : retour au réel
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Les télévisions occidentales diffusent en boucle des scènes de panique, d’émeute et de débandade. Les fuyards cherchent à se soustraire à l’imminente et probable vindicte des talibans que les images d’archive présentent comme des barbus sanguinaires armés jusqu’aux dents. Mais tous ces reportages à visée émotionnelle oublient de mettre les événements en perspective. Le départ, annoncé et programmé, des Américains met fin à vingt ans de présence militaire, occidentale, une présence justifiée par la lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda responsable de l’attentat du World Trade Center de septembre 2001.
Ce départ, s’il prend acte d’une défaite, ne manque pas cependant de réalisme. Car la présence occidentale nourrissait le fol dessein de civiliser ces terres traditionnellement tribales et islamiques. Seules quelques élites urbaines se sont converties, celles qui ont tiré parti de la situation, mais l’essentiel du pays – rural – est resté fidèle à ses traditions, et la civilisation venue de l’extérieur avait toutes les apparences d’une occidentalisation très peu compatible avec elles. Une fois de plus, l’Occident a succombé à l’hybris de croire que son mode de vie est le seul enviable et les quelques images de femmes en jupe dans les rues de Kaboul à l’heure d’Hollywood ont nourri à satiété, dans les opinions publiques occidentales, le fantasme de l’avènement du Grand Soir. La réalité de Kaboul est fort différente. Les quelques artefacts occidentaux seront rapidement « talibanisés », c’est-à-dire remis en conformité afghane traditionnelle.
Les élites compromises dans la tentative d’occidentalisation seront, hélas, mises au pas, certaines connaîtront un triste sort, il n’y a nul motif de s’en réjouir et il ne sert à rien, non plus, de s’indigner contre la soi-disant lâcheté américaine si on ne s’indigne pas contre la triple cécité occidentale à laquelle nous avons pris une large part. La première ayant consisté à vouloir apporter les Lumières à une civilisation multimillénaire qui, peu ou prou, avait les siennes, la seconde à précipiter le mouvement pour profiter des déconvenues de la Russie présentée comme l’éternel adversaire, et la troisième à penser que les talibans ne bénéficient pas d’un soutien populaire. Lorsqu’on est en guerre, il ne faut pas se tromper d’ennemi, mais l’Occident sait-il seulement qu’il est en guerre et contre qui ? Les successeurs d'Al-Qaïda sortiront renforcés de ces événements et les Chinois, pétris de realpolitik et dépourvus de la moindre idéologie, sauront tirer les marrons du feu que l’Occident aura nourri dans son ventre mou. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », enseignait Boileau. À l’évidence, l’Occident a de lui-même une image si brouillée que les mots lui sont venus sous forme de charabia.
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