Alexis Poulin : « Les politiques ont peur de l’embrasement des quartiers »
Après plusieurs nuits d'émeutes, malgré le confinement, en banlieue parisienne mais aussi en province, Alexis Poulin analyse la gestion du maintien de l'ordre dans ces zones où « on a laissé faire le communautarisme et la pauvreté ».
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Les émeutes ont commencé il y a trois jours à Villeneuve-la-Garenne et se sont propagées un peu partout en Île-de-France. Elles démarrent également en province, dans les banlieues des principales grandes villes. Comment qualifieriez-vous la situation ?
Il n’y a rien de nouveau. Malheureusement, ces scènes où les policiers ou les pompiers sont pris à partie à coups de feux d'artifice sont légion. Avant le confinement, il y avait un concours sur les réseaux sociaux de la plus belle embuscade pour les forces de l'ordre. Ce n'est pas nouveau, mais s’y ajoute le confinement. Il y a des territoires qui sont des territoires perdus de la République ou « en reconquête républicaine », comme le dit Christophe Castaner, qui avaient un statut particulier puisque le ministère de l'Intérieur avait demandé de ne pas trop en faire dans ces quartiers, car on savait que c’était électrique et que ça pourrait dégénérer.
Il y a eu quelques cas d'interpellations musclées qui ont été montrées sur les réseaux sociaux en parlant de violence policière. L’étincelle, c'est le motard qui serait tombé parce qu'un policier aurait ouvert sa portière dans ce but, ce qui reste à prouver puisque plusieurs versions sont contradictoires. Saluons, d’ailleurs, ce motard qui a appelé au calme depuis son lit d'hôpital.
Vous avez de nombreux habitants de ces quartiers qui prennent un malin plaisir à organiser, tous les soirs, des émeutes contre les forces de l'ordre qui sont, elles, bien fatiguées d'avoir à faire face à ces feux d'artifice. Comment en est-on arrivé là ? Ces quartiers sont devenus des ghettos à cause d’une incurie politique qui dure depuis des années. On a laissé faire le communautarisme ou la pauvreté. Dans ces quartiers, on vit le confinement de manière beaucoup plus difficile. Si on ne peut pas travailler, si on est au chômage partiel et qu'on va peut-être perdre son emploi, on ne peut pas nourrir des familles ! Dès lors, les queues s'allongent devant les soupes populaires. Il y a un vrai problème de précarité. C'est dans le 93 qu'on a le plus de malades, des gens qui sont obligés d'aller travailler sans protection et qui payent donc un triple tribut. D’abord parce qu'ils sont victimes de la politique du « vous devez aller travailler sans protection », ensuite parce qu’ils sont victimes de ceux qui veulent semer le trouble dans ces quartiers et, enfin, parce qu’ils seront victimes de la crise économique qui va venir. Aujourd’hui, nos responsables politiques se mettent à genoux devant eux et leur disent merci, alors qu’ils seront demain mis à la porte car ils seront une variable d'ajustement pour sauver les bénéfices des actionnaires. C'est un tout qui fait que la réalité de ces quartiers est extrêmement complexe et différente de ce qu'on peut vivre ailleurs. Pour ce qui est des émeutes, c'est évidemment quelque chose d'intolérable, ce n'est pas normal que cela ait lieu tous les soirs.
Le rôle du préfet de police Didier Lallement est proprement hallucinant. On l'a vu plein de zèle face aux Parisiens qui ont quitté la capitale pour le confinement mais on ne l'a pas vu à Villeneuve-la-Garenne ou dans aucune autre zone où les forces de l'ordre sont victimes de ces attaques…
Évidemment que non. Il est invisible dans cette crise, peut-être trop occupé à lire la notice des drones qu'il a commandés. Quand on voit les moyens qui ont été mis sur les manifestations des gilets jaunes tous les samedis pour mettre en garde à vue d'une manière massive ou pour utiliser tous les moyens de coercition possibles et imaginables, on se demande s’il n’y a pas deux poids deux mesures. Et quand on voit les forces de l'ordre qui sont assez peu nombreuses, comparé à ce que sont ces émeutes, on se demande si c'est volontaire, si l’État a peur. Est-ce que l'État est encore capable de maintenir l'ordre dans certains territoires ? C'est la question de la « reconquête républicaine ». Ce n'est pas seulement une réponse sécuritaire qui est attendue, parce que c'est toujours les policiers qu'on envoie en première ligne pour faire ce que n'ont pas fait les politiques depuis des années.
Mais y a-t-il la volonté de faire quoi que ce soit ?
Non, justement. Il y a une peur de l'affrontement. Nous ne pouvons de toute façon pas arrêter ces gens dans la mesure où on ne va pas les mettre en prison à cause du confinement. Derrière, il y aurait aussi des représailles. La question est : quelles sont les forces en présence ? Au-delà des stocks de feux d'artifice et de drogue, y a-t-il des stocks d'armes dans ces quartiers ? Y aurait-il un risque d'affrontement extrêmement violent si jamais la police venait à intervenir de manière plus musclée pour stopper ces émeutes ? Tout le monde a en mémoire le traumatisme de 2005. Le préfet Lallement ne va pas aller parader le lendemain dans ces quartiers parce qu'il sait très bien qu'il n'est pas le bienvenu et que cela se passerait très mal, même s'il était entouré de cinq compagnies de CRS.
Du côté de la préfecture, les forces de l’ordre ne veulent pas aller à l'affrontement. Ces émeutes sont aussi un message envoyé aux autorités. Elles signifient « laissez les trafiquants travailler tranquillement et ils assureront le calme ». La tentation est de déléguer le pouvoir régalien à ces intermédiaires.
C'est ce qui est fait depuis des années ! On peut peut-être se rassurer en se disant que la DGSI a les moyens de savoir ce qu'il se passe dans ces quartiers, mais rappelons-nous les mauvaises décisions prises qui étaient celles de supprimer la police de proximité, du manque de moyens des renseignements et du manque de moyens du ministère de l'Intérieur. Enfin, était-ce un bon choix de mettre Christophe Castaner à la tête de ce ministère ? Depuis deux ans, on peut se poser sérieusement la question. Le problème du plafond de verre de la compétence est réel.
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