Algérie : selon l’écrivain Kamel Daoud, l’architecture coloniale est en danger

Mais une spécialiste voit dans ces destructions ponctuelles plus de négligence que de volonté politique.
Musée national Zabana, à Oran, édifié au début des années 1930.
Par Maya-Anaïs Yataghène — Flickr: Algérie - Oranie, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16214601
Musée national Zabana, à Oran, édifié au début des années 1930. Par Maya-Anaïs Yataghène — Flickr: Algérie - Oranie, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=16214601

L’écrivain et prix Goncourt Kamel Daoud alerte, dans Le Point, sur la destruction progressive de l’architecture coloniale en Algérie. L’architecture Art déco, des années 1920 et 1930, serait particulièrement visée.

Or, il y a de quoi faire. Ou, plutôt, de quoi détruire. Entre les deux guerres, à Oran particulièrement (mais aussi à Alger, Bône, Constantine, tout comme au Maroc), la prospérité s’accompagne d’une intense campagne de construction dans le style alors à la mode. Constructions privées, mais aussi, écrit Ibtissem Rezgui dans la thèse qu'elle a consacrée à Annaba (Bône), « bâtiments publics dans une architecture moderne et hygiéniste, tels que les écoles, les stades, les marchés, les hôtels des postes, les salles des fêtes et les salles de spectacles ». La colonie n’est pas moins bien servie que la métropole.

Jointe par BV, Nabila Metair (architecte et auteur de Oran, Art déco, Éditions Bel Horizon, 2021), cite comme les plus beaux exemples oranais : le musée Ahmed Zabana, « construit initialement à l'occasion du centenaire de la colonisation (1930) » ; l’actuelle Maison de la Culture (ex-Maison du Colon), « avec une frise iconographique en mosaïque, reprise dans une description de Camus, qui raconte l’agriculture et la mission civilisatrice » (Mater Africa). Et, enfin, les marchés construits dans les années 1930, comme le marché Michelet.

Façade Art déco à Oran. (Source: Bel Horizon Oran Facebook).

Architecture coloniale

Selon Kamel Daoud, les bâtiments oranais, vieux d’un siècle, « malgré l'éclat de quelques façades, ont souvent piètre allure ». Ils sont victimes « de la peste de la mémoire sélective (ce sont les œuvres des colonisateurs, répète le récit officiel, qui les laisse s'effriter peu à peu) ». Ils datent d’une époque d’autant plus honnie qu’on y bâtissait grand et beau, ce qui n’est plus le cas - sauf exception. Le lent effritement aboutit à la destruction.

Les enseignants d’architecture de l’USTO-Mohamed-Boudiaf ont publié, le 10 février, une longue déclaration sur les destructions qui frappent un quartier historique d’Oran, Sidi El Houari. « L’architecture est un langage, rappellent-ils, et la destruction de ces édifices revient à brûler les pages d’un livre dont nous sommes les héritiers. » Destructions bien réelles, mais qui... ne concernent pas directement le patrimoine Art déco, précise Nabila Metair. Elle avoue son incompréhension de l’article de Kamel Daoud : « D’ailleurs, le bâtiment auquel il fait allusion au début de son article date de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle. »

Des Oranais attachés au patrimoine

Certes, il existe un courant conservateur « qui s’exprime sur les réseaux sociaux et qui est hostile à tout ce qui rappelle l’histoire coloniale », admet-elle. Mais il faut nuancer : « Il n’y a pas de détestation généralisée, ni par la population, ni par les autorités. J’ai recensé, durant dix ans, les bâtiments du centre-ville d’Oran et travaillé sur deux guides : l’un publié en France, l’autre en Algérie. Le recensement effectué sur le terrain m’a permis de rencontrer de nombreux habitants attachés à leur patrimoine. » De fait, confie encore Nabila Metair à BV, « si l’on regarde les avis sur Facebook (réseau social prisé, en Algérie), on constate l’incompréhension et la colère des Oranais dès qu’il est question de destruction ». Kamel Daoud ne dit pas autre chose : « De nombreux Oranais considèrent le patrimoine Art déco comme une partie de leur identité. Les adeptes de la restauration perçoivent ces démolitions comme une tragédie. »

Analyse urbaine ou politique

Selon Nabila Metair, les destructions d’immeubles Art déco en Algérie sont à mettre sur le compte d’une prise de conscience tardive de leur valeur : « Comme en France, le patrimoine du XXe siècle n’a été labellisé que tardivement. » Ibtissem Rezgui dresse un constat proche pour la ville d'Annaba : constructions privées menacées, édifices publics qui manquent d’entretien et « sont souvent victimes de lourds travaux de modernisation, qui ont tendance à dénaturer leur caractère architectural ».

Kamel Daoud, lui, fait une lecture plus politique de la situation, liée aux tensions actuelles entre la France et l’Algérie et au sort fait à Boualem Sansal. Quoi qu’il en soit, chaque édifice abattu amoindrit irréversiblement le patrimoine en question et affaiblit la notion d’ensemble, si importante dans l’architecture urbaine. Si Oran veut rester une capitale Art déco et en faire un atout touristique, elle a intérêt à veiller sur son patrimoine - en mettant de côté toute autre considération.

Façade du musée d'art moderne d'Oran (1922). @Kingdz16/Wikimedia commons

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Samuel Martin
Journaliste

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