Angers : encore une cathédrale victime d’un « geste contemporain »

Le projet de galerie. ©Kengo Kuma & Associates/Lautreimage
Le projet de galerie. ©Kengo Kuma & Associates/Lautreimage

La façade de la cathédrale d’Angers va être irrémédiablement dénaturée par l’ajout d’une galerie à sa base, dont la construction est annoncée pour fin 2025. Les prototypes des éléments qui le constitueront ont été validés ce 7 février. Comme pour les vitraux de Notre-Dame de Paris, on nous vend le saccage sous prétexte de « geste contemporain ».

Du béton, toujours du béton

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’Angers est abîmée par les institutions. En 1980, en guise d’office du tourisme, le conseil départemental bâtissait une crotte de béton face aux murailles d’ardoise du château (officiellement : « un contrepoint contemporain à la forteresse médiévale »). En 1983, la municipalité installait un centre des congrès en forme de bunker, bétonné à deux pas de la belle façade de tuffeau de l’abbaye Saint-Serge d’Angers (XVIIe-XVIIIe). Il manquait le « geste contemporain » de l’évêché à l’encontre de la cathédrale Saint-Maurice. Devinez quoi ? Ce sera encore du béton - pour faire passer la pilule, il intégrera des alluvions du bassin de la Loire.

L’architecte japonais Kengo Kuma a remporté le projet. Il assure avoir relevé le défi de créer « un dialogue harmonieux » entre deux époques. Où est le dialogue entre ce bloc imposant que formera la galerie, à ouvertures hautes et étroites, et la façade qu’il rapetisse, lui faisant perdre tout élan ? L’unité, prétendument obtenue grâce au compas et aux modules, façon « bâtisseurs du Moyen Âge », n’y est pas. Le compas ne remplace pas l’œil.

Le précédent de 1745

Soyons juste : il y a un prétexte à cette construction. Le portail, jadis, était précédé d’une galerie - une Galilée, comme on dit parfois, détruite en 1807. Les restaurations récentes ont révélé la polychromie à 70 % du portail, la peinture originale du XIIe siècle et celle du XVIIe. Le « geste contemporain » restitue une galerie et la polychromie est protégée. Le prétexte est-il suffisant ? En 1745, déjà, il y avait eu un prétexte à la violente agression cléricale contre le tympan médiéval : il gênait les processions ! Le portail fut alors amputé de son linteau et de son trumeau. Huit apôtres et saint Maurice lui-même, dédicataire de la cathédrale, disparurent dans l’opération.

Parcourant la France dans les années 1830 en tant qu’inspecteur des monuments historiques, Prosper Mérimée s’extasiait devant le porche, tout abîmé qu’il est, devant les draperies des statues des piédroits, les sculptures des voussures et du tympan (le Christ entouré du tétramorphe). « Et l’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, ou de la perfection du travail, quand on l’examine de près, ou du bon effet produit par l’ensemble de la décoration » (Notes d’un voyage dans l’ouest de la France). L’ensemble sera désormais impossible à considérer, enserré dans une boîte.

Vandalisme institutionnel

Le projet de Kengo Kuma a été sélectionné par un jury des plus notables : outre l’évêque, on y trouve le maire, le préfet, le directeur régional des affaires culturelles, la directrice de l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), un représentant du ministère de la Culture, des architectes et une historienne. Un curé de campagne angevin sermonna de la sorte un évêque de passage qu’il confessait : « Quand on est ça, et qu’on fait ça, ben, c’est point ça. » On pourrait en dire autant aux membres de ce jury.

La protection du patrimoine a été établie dans les années 1830. Elle est née du souci de préserver un héritage d’églises et de châteaux particulièrement éprouvés durant la Révolution, et d’une évolution du goût, en marge du romantisme, qui s’accompagnait d’une meilleure compréhension de l’architecture médiévale. La cathédrale d'Angers a été classée monument historique en 1862. Moins de 200 ans se sont écoulés et l'on voit les institutions, à Paris, Angers et ailleurs, s’affranchir des règles qu’elle sont censées appliquer pour protéger les monuments, à coups de « gestes contemporains ».

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Samuel Martin
Journaliste

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