[ANIMAUX] L’incroyable histoire de l’animal et de ses droits
Les récents démêlés de la laie Rillette avec la procureure de Troyes et sa victoire devant le tribunal administratif, nous rappellent que le monde animal et le monde juridique ont, plus souvent qu’on ne le croit, affaire l’un à l’autre. Le prouve aussi un volumineux ouvrage, Animal & Droit (620 pages, éditions LexisNexis). Il regroupe les analyses d'une cinquantaine de spécialistes sous la direction de Claire Bouglé-Le Roux (maître de conférence en histoire du droit) et Nadège Reboul-Maupin (professeur de droit privé), toutes deux juristes de l’université de Paris-Saclay.
La sensibilité animale inscrite dans le marbre
La définition juridique de l’animal a évolué. Aujourd’hui, il n’est « ni une personne, ni un bien inerte insensible », écrit Laurent Godon (professeur de droit privé) ; en fin de compte, il s'agit d' « une figure un peu hybride ». Exit le concept absurde d’animal-machine (XVIIe-XIXe), la sensibilité animale est désormais acquise - retour au bon sens de nos pères.
La loi Grammont (première loi de protection animale) remonte à 1850, mais on en trouve des prémices en amont. Ainsi de la « truie de Montauban » en 1821, parturiente et molestée à coups de bâton. Son propriétaire porte plainte. « L’intention maligne » de l’agresseur va au-delà de l’atteinte aux intérêts matériels du propriétaire : l’animal devient victime. De telles décisions judiciaires, selon Claire Bouglé-Le Roux, « témoignent du lien fort entre propriétaire et animal, et entre juges et bêtes victimes, qui s’établit sur le terrain de la responsabilité, mais relève aussi du registre des émotions. »
Animal et protection pénale, animal dans le droit des affaires - fait-il partie du fonds de commerce ? -, où ne le trouve-t-on pas ? Il s’invite même dans les divorces où, parfois, se pose la question de la garde du chien ou du chat, voire d’un crocodile. « On peut s’en amuser ou être exaspéré, note Clara Bernard-Xémard (maître de conférence en droit privé), il n’empêche : ces requêtes traduisent l’attachement d’êtres humains à l’égard… de ceux que le Droit qualifie, dans plusieurs codes, d’“êtres vivants doués de sensibilité” ».
L’animalisme militant
Les associations animalistes et vegan poussent à la roue pour que les animaux soient reconnus comme des personnes. Aux États-Unis, l’ONG PETA a prétendu que Naruto, macaque femelle qui s’est prise en photo, pouvait bénéficier… du droit d’auteur, et a attaqué le photographe humain qui vendait la photo. L’ONG a été déboutée. Si le photographe a pu se faire de l’argent en vendant ce « selfie » du macaque, la cour a jugé que PETA avait aussi tenté de se faire de l’argent grâce à l’animal, et avait utilisé celui-ci pour faire avancer sa cause, explique Mélanie Clément-Fontaine (professeur de droit privé).
Les différents articles purement juridiques indiquent assez précisément où en est le combat animaliste dans son effort de faire progresser la cause animale - là où cela est légitime mais aussi lorsqu’il brouille les frontières entre homme et animal. Cependant l’ouvrage dépasse largement le domaine du droit. Transdisciplinaire, il s’équilibre avec l’histoire des idées, l’histoire tout court, la littérature et l’iconographie : les illustrations sont nombreuses et de qualité (peintures, affiches, caricatures…).
Un bestiaire ponctue le parcours : le rhinocéros, la tortue, le chien, l’hermine, et bien d'autres comme la girafe. Cadeau de prix envoyé par les souverains orientaux, celle-ci fut longtemps, en Occident, plus mythique qu’incarnée, nous dit Cédric Glineur (professeur d'histoire du droit). En 1826-1827, l’arrivée de la girafe offerte par le pacha d’Egypte à Charles X déclencha une « girafomania » et la bête se vit enrôler par les caricaturistes dans la contestation du pouvoir.
Maurice, le coq qui chantait
Une idée de la variété des thèmes abordés ? L’abeille napoléonienne, qui illustre « un certain modèle sociopolitique » d’ordre mécaniciste où chacun reste à sa place (Xavier Martin, professeur émérite d'histoire du droit). Mais aussi l’animal dans le droit canonique médiéval, par exemple : la chasse, sanglante et bruyante, est interdite au clerc tandis la pêche, plus méditative, est admise (Alexandre Mimouni, maître de conférence en histoire du droit). On peut encore se pencher sur le coq Maurice - puisque nous avons commencé par la laie Rillette, terminons avec lui - dont l’histoire, racontée par Nadège Reboul-Maupin, avait ému la France et la presse internationale : on lui reprochait de chanter bruyamment le matin. La loi française a depuis 2021 un article « visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ». Cocorico !
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2 commentaires
Excellente votre photo d’un juge du Syndicat de la Magistrature pour illustrer cet article.
Une raison de plus d’interdire l’abattage rituel