[ANIMAUX] Vols de moutons avant l’aïd : rumeur ou tabou ?

En Côte-d’Or, début février, un troupeau de 300 têtes a été dérobé à un jeune éleveur ovin, un dommage estimé à 50.000 euros. France 3 Bourgogne Franche-Comté rapporte les propos d’une éleveuse pour laquelle il est possible que cela soit lié au ramadan. Les vols de moutons en vue de l’aïd el-kébir, qui a lieu 70 jours après la fin du ramadan, sont-ils une rumeur ou une réalité ?

En 2022, dans L’Heure des pros, Vincent Hervouët avait fait le lien. « On rentre dans le ramadan, ça va être les moutons qui vont être enlevés. […] Au moment de l’aïd, il y a des vols de moutons partout. » Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE, ex-CCIF) avait déposé plainte. Il signalait que le journaliste confondait l’aïd el-fitr qui clôt le ramadan (sans sacrifice de mouton) et l’aïd el-kébir (cela n'empêche que le ramadan est la bonne période pour faire engraisser les moutons avant l’aïd). Le CCIE voyait dans « cette information sur les vols de moutons » une incitation « à la haine, à la violence ou à la discrimination à l’encontre d’un groupe déterminé en raison de son appartenance religieuse ». Si on lit bien, la réalité des vols eux-mêmes n’est pas contestée.

2017 : l’aveu de la préfecture du 92

Le rapprochement entre aïd et vols de mouton est-il un fantasme d’extrême droite ? En 2017, la direction départementale de la protection des populations (DDPP) des Hauts-de-Seine appelait les fermes pédagogiques du département à être vigilantes : moutons et poules étaient menacés à l’approche de l’aïd-al-adha et de Yom Kippour. « Le risque est bien réel », écrivait Le Parisien, qui citait une affaire de 2013 où des Roms avaient volé des moutons et les avaient revendus moitié prix au moment de l’aïd. Cet appel de la DDPP avait provoqué une certaine colère et la préfecture du 92 avait dû préciser que le courrier n’avait pas pour but de « stigmatiser les différents rites religieux » mais de lutter contre la délinquance. Elle rappelait que de tels courriers étaient envoyés depuis… 2013.

« Aïd : les vols d'agneaux augmenteraient », titrait Le Figaro, en 2012, en mettant au conditionnel une dépêche AFP plus affirmative : « Les vols d'agneaux se multiplient à l'approche de la fête musulmane de l’aïd. » L’adjudant de gendarmerie chargé de l’enquête d’un vol de 130 agneaux en Isère n’avait aucun doute : les agneaux allaient être « écoulés pendant la fête de l'aïd sur le marché local, nous en sommes sûrs à 100 % » (Le Point). France 3 Auvergne-Rhônes-Alpes faisait aussi le lien.

En Afrique, le sujet n’est pas tabou

Ce qu’il était permis d’affirmer en France, en 2012, l’était beaucoup moins, dix ans plus tard - voire ne l’est plus du tout. Nos voisins d’outre-Méditerranée n’ont pas ces pudeurs. Un article tunisien de 2023 fait clairement le lien entre aïd et vol de moutons : « En cette période qui précède l’aïd… » De même un article algérien de 2021 : « À quelques jours de la fête de l’aïd el-adha, Ahcene et Islam, deux frères éleveurs d’ovins, ont été victimes d’un vol de 75 moutons. » Et au Maroc, la même année : « À l’approche de l’aïd al-adha, les "frakchias", ou voleurs de bétail, multiplient leurs forfaits à travers le pays. »

En Afrique noire musulmane, où l’aïd el-kébir porte le nom de tabaski, même constat. « Les vols de moutons deviennent monnaie courante, durant la tabaski, les animaux étant très prisés pour le sacrifice rituel », explique le site sénégalais KoldaNews. Idem au Mali (« En cette période festive, chaque jour, une dizaine de vols de moutons de tabaski et de cambriolages de boutiques sont signalés dans la localité ») ou en Côte d’Ivoire. Ces articles seraient-ils islamophobes, aux yeux du CCIE ?

La réponse de la Fédération nationale ovine

Retour en France. Interrogée par BV, la Fédération nationale ovine (FNO) nous répond qu’elle n’a pas de statistiques officielles sur les vols, « donc impossible de vous dire s'il y a une augmentation visible de vols à l'approche de l’aïd. Ce phénomène a toujours existé et est, malheureusement, bien connu des éleveurs de brebis. » La profession, nous dit la FNO, étudie « des équipements de traçage des brebis, mais ce genre de dispositif n'empêchera pas les vols ». On a l’impression que la fatalité remplace les statistiques. C’est regrettable, car seules des statistiques mises en regard des dates de l’aïd permettraient de faire émerger la vérité.

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