Anne Coffinier : « L’urgence est de renouer avec l’excellence académique et humaine de l’éducation à la française »

Anne Coffinier

Au moment où élèves et professeurs s'apprêtent à regagner le chemin de l'école, Boulevard Voltaire donne la parole à la présidente de l'association Créer son école. Pas moins de 120 nouveaux établissements indépendants ont été ouverts, cette année : comment expliquer l'ampleur de ce mouvement ? Y a-t-il un « effet Pap Ndiaye » ? Que faut-il attendre de cette rentrée 2022 ?

Iris Bridier : La nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale n’a pas manqué de susciter de vives inquiétudes, en avez-vous été témoin chez des parents d’élèves ?

Anne Coffinier : Oui, cette nomination a suscité des craintes et ses premières annonces ne vont pas dans le bon sens. Il en va ainsi de l’annonce de la multiplication des contractuels et de la titularisation en masse de ces derniers pour le printemps 2023. Cela démontre que l’État ne croit plus en sa capacité à attirer par les concours des personnes de qualité et à les former efficacement au métier de professeur, et qu’il se résigne à dispenser un enseignement fortement dégradé à nos enfants.

Sur la question du wokisme de Pap Ndiaye, il faut raison garder. Un ministre obéit à son Président. Il ne fera pas exception à la règle. Il y a une vie avant le gouvernement et la vie de gouvernement. Nous attendons de voir quelle sera sa politique à l’égard de l’innovation et de la liberté scolaire. C’est trop tôt pour le dire. Il y a peu de chances, néanmoins, que ce ministre se voie reconnaître le droit de tourner le dos à la politique d’endiguement de la liberté scolaire (écoles indépendantes comme instruction en famille) qu’a menée son prédécesseur sous la houlette du Président Macron.

I. B. : Avez-vous constaté une augmentation des effectifs depuis sa nomination et, si oui, peut-on parler d’un « effet Pap Ndiaye » qui expliquerait l’engouement pour les établissements privés indépendants ?

A. C. : L’engouement pour les écoles indépendantes, disons les formules d’éducation alternative, est durablement installé en France comme à l’étranger. La nature de ces écoles est à l’image des évolutions de fond de la société : désir d’une meilleure qualité de vie, d’un plus grand respect de l’environnement, d’un développement précoce de l’autonomie des êtres, de l’ouverture à autre chose qu’à l’univers scolaire, désir d’implication des parents dans l’éducation scolaire…

L’essor des écoles indépendantes est une tendance lourde, légèrement entamée cette année par les effets décourageants de la loi dite « renforçant le respect des principes de la République », mais aussi par le Covid, qui a entravé la capacité de financement des établissements. Cette tendance de fond résulte d’un changement de perspective de la société sur l’école. Je ne crois pas une seule seconde au tarissement des écoles indépendantes ni, à l’inverse, à un « boom » qui viendrait de la peur suscitée par le nouveau ministre de l’Éducation nationale. L’envie d’alternatives en éducation a des racines bien plus profondes et c’est très rassurant !

I. B. : À quoi faut-il s’attendre avec ce nouveau ministre ?

A.C. : À rien d’autre que ce que le président de la République exigera de lui, même si l’on peut craindre que cet homme, qui ne fait pas mystère de ses engagements intellectuels, affiche moins d’hostilité aux dérives wokistes que ne l’a fait son prédécesseur, sans pour autant que les paroles ne soient suivies d’actes concrets, d’ailleurs. Nous verrons et réagirons en conséquence. L’urgence est de renouer avec l’excellence académique et humaine dont l’éducation à la française a été capable par le passé et encore aujourd’hui en certains établissements publics comme privés. Pas de continuer à instrumentaliser l’école pour faire des expériences sur nos enfants et prétendre assurer une transformation politique du corps social à travers l’école. Les parents, qui sont quand même les citoyens de ce pays d’où procède la souveraineté populaire, ne reconnaissent pas à l’école cette légitimité.

I. B. : À la veille de la rentrée, bon nombre de professeurs manquent encore à l’appel. Comment redorer le blason d’un métier qui ne fait plus rêver ?

A. C. : En payant significativement mieux les enseignants et en les recentrant sur leur mission première au lieu de leur ajouter des fonctions annexes qui les épuisent. C’est la première urgence. Il convient aussi de restaurer la discipline au niveau de l’établissement pour qu’ils puissent faire leur métier dans la sérénité et le respect. À cela doit s’associer un changement de regard collectif sur le savoir et la transmission, ce qui nécessite une révolution culturelle de grande ampleur dans laquelle l’État doit prendre toute sa place. Si le savoir, la recherche, la vie de l’esprit ne retrouvent pas leur place en haut de la pyramide des valeurs de notre société, alors l’enseignant restera prolétarisé comme il l’est actuellement dans les représentations collectives. Si nous ne tournons pas le dos de manière volontariste à la fascination morbide qui nous travaille actuellement pour la déconstruction, la méfiance à l’égard de la transmission et la haine de soi civilisationnelle, nous ne pourrons pas sauver les enseignants.

Il faut engager une grande réflexion sur la place du savoir dans la société, le rôle de l’enseignant au XXIe siècle, à l’heure où l’information brute tient trop souvent lieu de connaissance. Que reste-t-il de l’acte d’enseignement à l’heure d’Internet ? Que voulons-nous qu’il reste ? Comment recréer une relation maître/élève qui soit créatrice et stimulante ? Et il faut, évidemment, que les enseignants soient les acteurs de cette réflexion. Pas qu’ils continuent d’être marginalisés, réifiés, instrumentalisés par le discours voire par l’action politique. Ce n’est pas dans un débat chaperonné par l’Éducation nationale ou des assises nationales qu’une telle réflexion pourra se déployer, mais à l’échelle des écoles, en lien avec les familles et les élites locales. Il ne sera pas facile de trouver les moyens de faire évoluer intelligemment le métier d’enseignant. Il va falloir tâtonner et essayer des voies nouvelles. Les écoles indépendantes pourront constituer à cet égard des laboratoires de service public pour inventer les modes d’apprentissage de notre temps.

I. B. : Lors d’un précédent entretien, vous demandiez au président de la République une commission d’enquête afin d’établir s’il y a eu un dysfonctionnement dans l’organisation logistique des examens avec rupture d’égalité. Avez-vous été entendus ?

A. C. : L’Éducation nationale nous a répondu en juillet en choisissant de nier en bloc l’existence des problèmes que nous avions pourtant dûment documentés en lui remettant, à la demande du cabinet du ministre, un relevé nominatif de plus de 80 dysfonctionnements enregistrés. Ce mensonge et cette arrogance de l’administration sont haïssables. L’Éducation nationale prend le risque de saper le respect des jeunes envers les institutions républicaines qui, non contentes d’être incapables d’organiser proprement un examen pour 4.000 élèves, se paient le luxe de les humilier en niant la réalité des dysfonctionnements qu’ils ont subis.

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

10 commentaires

  1. C’est bien gentil de dire ça , mais ce qui se passe dans les banlieues le rend absolument impossible . L’entrisme de l’islamisme à l’école primaire , au collège et au lycée est tel que les profs ne peuvent plus faire un cours sans être contestés . Et ce , dans toutes les disciplines . L’Histoire de France n’intéresse pas ces élèves issus majoritairement de familles musulmanes : Vercingétorix , Charlemagne , Louis XIV , Napoléon , etc. n’évoquent rien pour eux … Quant aux sciences , essayez donc de leur parler de Darwin … Et je pourrais parler des autres matières … Et même du sport .(dont la natation interdite aux filles !) …..

  2. Dans l’etat actuel de la dégradation du niveau, je ne crois pas qu’une licence soit utile pour dégrossir l’ignorance crasse de nos élèves

  3. Eric Zemmour , dont tous les faits lui donnent raison, avait prévu dans son programme le retour à l’instruction , l’école doit être un sanctuaire, et l’éducation réservée aux parents !

  4. Faudrait-il qu’il reste encore quelques français de souche sur le territoire national. A part ça non, je ne vois pas!

  5. Je crains que le ver soit dans le fruit dans le milieu enseignant.
    N’a-t-il pas participé activement, depuis les années 1960, à la déconstruction de l’enseignement public?
    N’est-il pas  » formé » par des « pédagogistes » qu’il faudrait rapidement dégager?
    Recruter ainsi des contractuels , qui n’ont jamais été devant une classe, est une marque de mépris à l’égard des enseignants. Il n’ y a pas de miracle en ce domaine.
    On assistera tout bonnement à la  » fabrique de nouveaux crétins » C’est bien ce que veulent les gouvernants pour mieux asservir les peuples.

    • Même constat, il s’agit de faire des Français qui ne réfléchissent plus par eux-mêmes et avalent toutes les couleuvres des gouvernants.
      Seule la progéniture de l’élite autoproclamée aura droit à une instruction digne de ce nom

  6. Ca vous étonne vous ?!? Même avec 100 % d’augmentation, pas pressés d’aller se faire tabasser voir plus dans des zones sauvages. Pas étonnant non plus cette pénurie de Chauffeurs de Bus, Pompiers, Policiers, pour les mêmes raisons. La vocation et l’amour du métier : d’accord, les intentions suicidaires : non !
    Après on peut tourner autour du pot feignant de se poser mille questions sur les difficultés à recruter; il est des professions « exposées » qui vont se retrouver en cruel manque d’effectifs dans l’avenir…

    • Vous avez bien cerné « le problème ».
      Les maux qui gangrènent l’Education Nationale sont bien le renoncement à la discipline, au respect des enseignants et de ses semblables. Plus généralement, une bonne dose de serrage de vis serait la bienvenue dans notre Société !

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