Après l’État, c’est moi, l’État qui paye, voici l’État, c’est moisi

pièce état français

Qu’est-ce qu’elle n’a pas dit, Emmanuelle Ménard ! Remplacer, dans l’article premier de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, le mot « République » par « État français », et ce, à l'occasion de la discussion sur la loi sur le séparatisme, justement. La machine s’est emballée à vitesse grand V. Exemple : « Une députée d’extrême droite préfère parler d’État que de République. » Le Monde, Libération, L’Obs ? Non, Le Figaro

Stricto sensu, cela se tenait plutôt, puisque cette loi séculaire consacre, justement, la séparation des Églises… et de l’État. Pas de la République. Il est vrai qu’entre-temps, il y a eu le régime de Vichy, né de l’effondrement de la IIIe République et de la déroute de 1940 et baptisé « État français ». Pour la petite histoire, les pièces frappées sous Vichy ne furent officiellement démonétisées que le 17 février 2005 avec le retrait de toutes les pièces libellées en franc. Il est vrai que l’argent n’a pas d’odeur ! C’est aussi ce qu’on doit appeler la continuité de l’État.

Continuité de l’État : c’est à cela que la députée de l’Hérault voulait sans doute faire allusion. Cette continuité ne peut être niée. Il suffit de parcourir nos archives de l’état (encore lui, mais sans majuscule !) civil, de nos études notariales, de notre justice, de nos armées, etc. Les notaires furent royaux, impériaux, voire pontificaux ou ducaux en certaines régions et époques, notaires tout court, mais les piles de baux, contrats, testaments continuèrent à s’empiler sur les rayons et à faire référence pour protéger les droits de chacun, parfois par-delà les siècles et les régimes. Et les procureurs furent du roi, de l’Empire, de la République, sans d’ailleurs se départir du décorum qui va avec leur fonction. Les colonels recevaient autrefois le commandement de leur régiment « de par le roi ». Ils le reçoivent aujourd’hui « de par le président de la République ». Bref, continuité de l’État. Avec une majuscule, s’il vous plaît. Et même si ça ne vous plaît pas. Jadis, on apprenait ça, très tôt, dans les lycées d’État (appellation disparue sous Mitterrand, qui connut bien l’État français à Vichy).

Dans ces lycées, mais aussi dans les collèges et écoles de la République, on apprenait que Louis XIV aurait déclaré « L’État, c’est moi ». Le Roi-Soleil n’aurait jamais dit ça, mais l’idée y était. Une citation apocryphe comme beaucoup d'autres mais qui résumait bien l’intention du souverain de gouverner et d’assumer seul les responsabilités de l'État. Sur son lit de mort, il prononça aussi cette phrase : « Je meurs, mais l’État demeurera toujours. » Continuité de l’État, nous nous répétons.

Des citations historiques sur l’État, nous en eûmes d’autres par la suite. Sans transition et en dégringolant méchamment quatre à quatre les marches de l’escalier de l’Histoire, on arrive à la fameuse citation de François Hollande, chef de l’État de 2012 à 2017 : « Non, c’est l’État qui paye. Donc en l’occurrence, non, ça ne coûte pas cher aux collectivités locales, puisque c’est l’État qui paye. » Phrase qui a été largement reprise, amplifiée et finalement déformée pour la postérité en « Ça ne coûte rien, c’est l’État qui paye ». Hollande n’a jamais dit ça, mais on va dire que l’idée y était. Il est vrai qu’on a la postérité qu’on mérite.

Oui, franchement, l’État, c’était pas mal, au fond. Avec son cortège de grands serviteurs, quand ils n’allaient pas larbiner dans le privé, cela avait même de la gueule. On aurait pu trouver un compromis : enlever l’adjectif « français ». Après tout, nous sommes en France, qu’il paraît. Mais peut-être qu'aujourd'hui, l’État, c’est moisi.

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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